En Namibie, les victimes du génocide de 1904 en quête de réparations
Longtemps, cet épisode meurtrier est resté ignoré. Tant en Europe qu'en Afrique. Au point que "Shark Island" est aujourd'hui un camping où les touristes viennent planter leur tente...
C’est une mince langue de terre qui plonge dans la baie de Lüderitz, dans le sud de la Namibie. Alignées sur un belvédère, des dizaines de stèles gravées du nom de soldats allemands tombés au début du XXe siècle lors d’une guerre coloniale oubliée.
A côté, une unique plaque de marbre blanc honore la mémoire de quelques-uns de leurs adversaires, anonymes.
De 1904 à 1908, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, tous membres des tribus herero et nama qui avaient osé défier l’autorité de Berlin, sont morts de faim, de froid ou de mauvais traitements dans cette petite péninsule reculée d’Afrique australe à l’époque colonie allemande.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Shark Island » (L’Ile au requin), c’est son nom, était alors un camp de concentration. Un des outils d’une politique de répression systématique que nombre d’historiens considèrent aujourd’hui comme le premier génocide du XXe siècle.
Longtemps, cet épisode meurtrier est resté ignoré. Tant en Europe qu’en Afrique. Au point que « Shark Island » est aujourd’hui un camping où les touristes viennent planter leur tente…
« Ça fait mal, vraiment mal ». Elue d’origine nama au Parlement namibien, Ida Hoffmann est en colère.
« Si les Allemands (…) avaient respecté notre douleur, nos sentiments et payé des dédommagements, cette chose qui est devenue un endroit où les gens fêtent leur lune de miel ne serait pas là », fulmine la sexagénaire. « Honte à eux ! »
Le « eux » craché par la députée met dans le même sac de l’infamie les autorités de Berlin et celles de Windhoek, engagées depuis deux ans dans des discussions sur la reconnaissance des massacres et d’éventuelles compensations.
Répression féroce
Les faits ne sont pas contestés. En 1904, la guerre éclate en Namibie lorsque Hereros et, un an plus tard, Namas se révoltent contre les colons allemands, maîtres depuis 1884 de ce qui s’appelle alors le Sud-Ouest africain.
La répression est féroce. Massacres, déportations, travaux forcés, l’ordre d’extermination alors signé par le général Lothar von Trotha est scrupuleusement exécuté. Pour sauver leur peau, de nombreux indigènes s’enfuient à la hâte vers le Botswana voisin.
Selon les historiens, 80 000 Hereros, sur une population de 100 000 à l’époque, et 10 000 Namas, sur 20 000, sont tués.
Longtemps dans le déni, l’Allemagne commence à reconnaître sa responsabilité à l’occasion du centenaire des massacres, en 2004. Elle semble prête à reconnaître le génocide mais, pour l’heure, refuse catégoriquement l’idée de réparations.
Comme le répète à l’envi le porte-parole de sa diplomatie Martin Schäfer, l’aide au développement « très généreuse » versée à la Namibie constitue « l’expression de (sa) responsabilité particulière » dans ces événements. Point final.
Une position qui fait bondir l’ex-ministre et député herero Kazenambo Kazenambo, qui exige la restitution de toutes les terres confisquées pendant l’ère coloniale.
« Le génocide a provoqué des déplacements qui ont contraint notre population à vivre dans des zones sous-développées », tonne-t-il. « Nous vivons les uns sur les autres alors que des gens qui habitent Berlin ou Francfort ont des hectares de terres inutilisées ».
‘Plus rien’
A 300 km au nord de la capitale namibienne Windhoek, Okakarara, à portée de canon de l’un des champs de bataille les plus meurtriers de cette guerre, est un bastion de la communauté herero.
Les pieds dans le sable qui encercle sa baraque coiffée de tôles, Sarafia Komomungondo rumine le passé.
« Avant la guerre, nous étions bien (…), nous avions des sources de revenu, le bétail surtout », raconte l’octogénaire aux yeux bleus perçants, bicorne traditionnel sur la tête. « Aujourd’hui nous n’avons plus rien (…), les gens se couchent sans avoir mangé, alors des réparations nous feraient du bien ».
« Les pauvres deviennent plus pauvres, les riches plus riches. Les Hereros ne font pas partie de ceux du gouvernement », constate amèrement sa voisine, Veronika Mujazu, 69 ans.
Plus peut-être encore qu’aux Allemands, de nombreux membres de la communauté herero en veulent à leurs dirigeants.
Depuis son indépendance en 1990, la Namibie est dirigée sans partage par son mouvement de libération, la Swapo. Le parti est contrôlé par l’ethnie majoritaire du pays, les Ovambos. Les Hereros, qui ne représentent que 10 % de ses 2,5 millions d’habitants, les accusent d’ignorer leurs intérêts.
« En Afrique, pour être politiquement fort il faut le nombre », explique sans détour Ester Muinjangue, la directrice de la Fondation pour le génocide ovaherero.
‘Discriminations’
« Nous ne sommes que le troisième ou quatrième groupe (ethnique), alors nous sommes désavantagés », poursuit-elle, « nous sommes exclus, donc nous ne pouvons pas influencer les négociations ni leurs résultats ».
Les chefs traditionnels herero et nama réclament depuis des mois un siège à la table des négociations entre Windhoek et Berlin, sur le modèle de celles qui ont réuni l’Allemagne, Israël et les communautés juives après 1945. Mais les deux capitales le leur refusent catégoriquement.
Les deux tribus ont donc riposté en déposant une plainte pour génocide contre l’Allemagne devant un tribunal de New York. Première victoire, un juge l’a acceptée en mars.
Les autorités namibiennes balaient ce nouveau front judiciaire d’un revers de main, persuadé qu’il finira en impasse.
« Ceux qui ont initié cette plainte ne viennent pas de notre camp politique », note leur très madré négociateur, Zed Ngavirue.
« Il peut y avoir ici et là des discriminations car nous sommes une société plurielle, mais il faut comprendre qu’au final un accord qui a du sens ne pourra être obtenu qu’au niveau des Etats », insiste le diplomate, « car il faudra faire respecter des obligations ».
Sans entrer dans les détails, M. Ngavirue fait état de « progrès » dans les négociations, persuadé que Berlin a intérêt à un accord.
L’ex-ministre Kazenambo, lui, reste sceptique. Mais il le jure, il continuera le combat jusqu’au bout. « Pour nous ce n’est pas une question d’argent, il s’agit de moralité et de dignité », lâche-t-il, « et nous ne cèderons jamais là-dessus ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel