En se mariant au « Nid d’aigle », Alan Feldstein voulait faire un pied de nez à Hitler
Feldstein et Felice Jacobs ont dressé une houppa au refuge d’Hitler en montagne, mais cet acte symbolique n’était que le début d’une lutte de toute une vie contre le sectarisme

JTA — Felice Jacobs et Alan Feldstein auraient pu se marier à Phoenix, où ils se sont rencontrés et où sa mère travaillait à la synagogue réformiste locale. Ils auraient pu organiser leur mariage sur la base de l’armée américaine en Autriche où Alan était stationné à l’époque.
Au lieu de cela, ils ont choisi le Nid d’aigle, l’ancien domaine des nazis dans les Alpes bavaroises, un endroit qui, à ce que l’on sache, n’avait jamais accueilli de mariage juif.
« Nous nous sommes mariés là-bas parce que mon mari voulait faire un pied de nez à Hitler », s’est souvenue Felice Feldstein la semaine dernière.
À peine 10 ans après la défaite et la mort d’Hitler, les noces des Feldstein en août 1955 sont si remarquables que la Jewish Telegraphic Agency (JTA) en a fait un reportage à l’époque, identifiant l’événement comme « le premier mariage juif orthodoxe célébré dans la ville de Berchtesgaden, le refuge d’Hitler en montagne, un foyer du nazisme ».
Ce n’était pas la dernière fois qu’Alan Feldstein, décédé le mois dernier à 88 ans, prenait une position très affirmée.

En tant que nouveau membre du corps professoral de l’Université de Virginie en 1968, Feldstein est rentré chez lui avec seulement une demi-coupe de cheveux, le résultat d’un boycott improvisé et individuel après avoir appris que le barbier ne servait pas les clients Afro-américains.
Après avoir travaillé au laboratoire national de Los Alamos à son retour d’Europe, Feldstein a obtenu un doctorat en mathématiques de l’Université de Californie, Los Angeles. Il a ensuite entrepris une carrière universitaire, d’abord à l’université Brown de Providence, dans le Rhode Island. Lorsqu’un collègue déménage pour Charlottesville, Feldstein tente de convaincre sa femme de se rendre aussi dans le Sud.
Felice était sceptique. Les tensions raciales dans le Sud étaient élevées : Charlottesville avait récemment opéré une déségrégation des écoles après un combat prolongé, et Martin Luther King, Jr. avait été assassiné au printemps avant leur déménagement. Alan a apaisé son anxiété en lui montrant un journal local présentant une déclaration centrale en faveur de l’intégration raciale, signée par des centaines de résidents locaux.
« Cela m’a suffi pour dire : Nous déménageons dans une ville libérale. Tout ira bien », se rappelle-t-elle.
La révélation sur le salon de coiffure fut un choc. Mais Feldstein fit plus que s’en aller. Il est allé voir le doyen, qui, il le savait, s’y faisait couper les cheveux, pour l’inciter à participer à un boycott.
Sa demande n’a pas été bien reçue. « C’est le problème avec les étrangers qui viennent ici et nous disent quoi faire », a dit le doyen à Alan, selon les notes qu’il a prises à l’époque.
Pour Alan, les « étrangers » désignaient clairement les Juifs, ce qui ne faisait que le galvaniser davantage. En fin de compte, un boycott des barbiers isolés soutenu par le mouvement étudiant de l’université de Virginie a amené de nombreux magasins à accepter de servir les clients Afro-américains.

Toutefois, la fierté d’avoir remporté cette victoire a été de courte durée, le contrat d’Alan n’ayant pas été renouvelé. Selon son fils Mark, tout le monde avait interprété cette décision comme des représailles. La famille a quitté Charlottesville, et Alan est retourné à l’Arizona State University, où il a enseigné pendant le reste de sa carrière.
Mark Feldstein a déclaré que l’activisme de son père a inspiré le sien: « Au collège, il a réalisé une exposition sur les manuels racistes utilisés dans la classe. Il a également lancé sa propre carrière dans le journalisme. Mark est maintenant titulaire de la chaire du journalisme radiodiffusé à l’Université du Maryland, après une longue carrière dans le journalisme d’investigation.
Le mariage au Nid d’aigle était une histoire fondamentale dans la famille. « Leur mariage à Berchtesgaden, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a été un événement extraordinaire », a déclaré Mark. « Et nous en étions tous très fiers. »
Les troupes américaines occupaient alors Berchtesgaden, mais les vastes bunkers souterrains construits par les nazis avaient déjà été transformés en destination touristique.
Felice n’a pas participé aux visites touristiques. Elle s’est focalisée sur d’autres aspects, notamment celui se marier dans un autre pays, avec un mariage civil à Salzbourg, avec de surcroît, une cérémonie religieuse à l’Alpine Inn, qui se trouvait au dessus d’un tunnel dans lequel la collection d’art, pillée par le chef nazi Hermann Goering a été trouvée après la guerre.
À l’Alpine Inn, le couple s’est marié sous une houppa traditionnelle des mariages juifs. Le rabbin officiant était Oscar Lifschutz, un colonel de l’armée américaine, qui au cours de sa la longue et riche carrière militaire, a escorté la dépouille du chef sioniste Theodor Herzl de sa tombe à Vienne vers un nouveau site de sépulture en Israël en 1949.
Par la suite, Felice se souvient que le couple a dîné dans une « très, très belle salle », pour un montant total de 125 dollars, soit environ 1 300 dollars d’aujourd’hui. La mère d’Alan, ainsi qu’une dizaine de camarades de combat, étaient présents au mariage.
« C’était peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et je pense que ma mère et lui avaient tous les deux l’impression qu’il ne s’agissait pas seulement d’un pied de nez à Hitler, mais aussi une sorte d’affirmation de la survie juive face à la tentative d’extinction de notre peuple », a analysé Mark Feldstein.
De nombreuses personnes de la famille Feldstein comptent parmi les victimes. Alan était avec son grand-père lorsque la nouvelle du meurtre d’un membre de sa famille est arrivée. Mark a appris que sa famille habitait un village au bord de la rivière qui s’est retrouvé juste en face d’un camp de concentration. « Aucun Juif ne s’en est sorti, y compris de notre famille », a-t-il dit.
« La sœur de ma grand-mère, son mari et sa famille ont été assassinés. J’ai une photo de famille. Ils étaient, je suppose, de riches Juifs et ils ont déménagé à Berlin. Et cela a signé leur triste fin », a raconté Felice.
Au cours de la décennie suivante, le couple s’est lancé un nouveau défi : mettre au monde quatre enfants juifs. Après Mark, trois filles sont venues : Rachel, Suzie et Sarah.
Mark Feldstein a raconté, reprenant la légende familiale, que lorsque sa grand-mère paternelle a appris la troisième grossesse du couple, elle s’est montrée très critique. Elle a demandé pourquoi ils désiraient avoir tant d’enfants.
« Hitler a assassiné six millions de personnes », avait répondu son père. « Elle a répliqué : « Vous ne voulez quand même pas les remplacer tous, n’est-ce pas ? »
Felice a dit que ses quatre enfants ont veillé à ce qu’elle et son mari de 66 ans ne soient jamais seuls dans les derniers mois de leur vie.
« Je suis la personne la plus chanceuse au monde », a-t-elle dit.
En raison de sa mauvaise santé au cours des dernières années de sa vie, Alan Feldstein n’a pas parlé en détail à sa famille de la marche suprémaciste blanche de 2017 à Charlottesville, qui a vu des néo-nazis défiler devant la synagogue réformiste où Mark Feldstein a étudié pour sa bar mitzvah.
Il ne leur a pas non plus parlé de Madison Cawthorn, candidat républicain au Congrès de la Caroline du Nord, dont le voyage au Nid d’aigle de Berchtesgaden en 2017 a permis de faire connaître au grand public en août 2020 le site de mariage des Feldstein .
Mais sa famille savait qu’il était bouleversé par le virage à droite que les États-Unis semblaient prendre lorsque Donald Trump a été élu président en 2016.
« Il a vu des parallèles avec ce qui s’est passé en Allemagne dans les années 1930 », a déclaré Mark Feldstein. « La montée de l’autoritarisme, la promotion du racisme – il en était troublé, vraiment troublé. »
Alan Feldstein est décédé le 29 janvier et a été inhumé en toute intimité le 31 janvier. La famille a exhorté les personnes endeuillées à faire des dons à leur synagogue en Arizona, le temple Emanuel de Tempe. Puis, la semaine dernière, la synagogue a envoyé un courriel aux membres de la communauté : la synagogue a été vandalisée, des croix gammées ont été tracées sur ses poubelles.
« Avez-vous l’impression d’avoir bouclé la boucle depuis Berchtesgaden jusqu’aux événements ici ? » , a demandé Mark Feldstein à sa mère.
« Eh bien, c’est un point de vue », a déclaré Felice Feldstein. « Bien sûr, [Alan] ne sait pas ce qui s’est passé la semaine dernière à la synagogue, mais je peux imaginer à quel point cela l’aurait bouleversé. »
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