En Syrie, des comédiens affrontent leurs souffrances par le rire
Une troupe d'improvisation fait des blagues sur le courant, les pénuries et autres luttes quotidiennes, réapprenant à rire aux Damascènes, éprouvés par 12 ans de guerre
Dans un café de Damas à l’ambiance tamisée, Sharief Homsi dresse le portrait sarcastique du « prince charmant » syrien dont la fortune se mesure désormais en bidons d’essence et bonbonnes de gaz, dans un pays en proie à toutes sortes de pénuries.
« Epouse-moi, j’ai un avenir radieux : 100 litres d’essence, des panneaux solaires et trois bonbonnes de gaz », lance-t-il, feignant de demander la main de son amoureuse, devant un public hilare.
Chaque semaine, lui et ses amis comédiens se produisent au café Deez, faisant des blagues sur les coupures de courant, les pénuries et autres luttes quotidiennes, réapprenant à rire aux Damascènes, éprouvés par douze ans de guerre.
Les comédiens peuvent rire de leurs problèmes, à une condition : ne pas parler politique et religion, hautement tabous dans la capitale gouvernementale.
Le public préfère « rire et oublier les problèmes qu’il ne peut pas résoudre », explique Sharief Homsi. « Il n’y a rien d’autre à faire que de rire. »
Début 2023, lui et ses amis ont fondé le premier groupe d’improvisation de Syrie, nommé Styrie, combinaison de « Syrie » et « hystérie ».
« La situation du pays est hystérique », explique à l’AFP ce comédien de 31 ans. « On doit l’affronter par le rire hystérique (…) dans un pays rempli de problèmes et de morosité. »
La petite troupe de 35 membres, devenue populaire, attire une foule qui a désespérément besoin d’un échappatoire.
Et avant chaque représentation, l’équipe se réunit chez un de ses membres pour répéter.
L’un d’eux se tient au milieu de ses collègues, tentant un nouveau numéro : « Ils m’ont dit d’attirer les foules avec des histoires drôles ».
« J’ai bien réfléchi et j’ai découvert que ce qui était le plus drôle dans ma vie était… ma vie », poursuit-il devant ses amis comédiens dans une petite chambre peu éclairée… quand l’électricité n’est pas coupée.
« Il a maintenant tellement d’ex que sa vie est devenue une équation » impossible à résoudre, réplique un autre membre du groupe, dans un jeu de mots entre ex et la lettre X désignant une inconnue en mathématiques.
« Lignes rouges »
L’humoriste Malke Mardinali explique à l’AFP qu’ils s’inspirent de leur « quotidien plein de souffrances » pour les « partager » avec un public qui traverse les mêmes épreuves.
« En Europe, ils ont l’électricité, même sous trois mètres de neige », dit-il. « Chez nous, dès que Fayrouz (diva arabe, NDLR) chante ‘l’hiver est revenu’, le courant se coupe », lance-t-il devant le public hilare.
La guerre en Syrie, déclenchée en 2011, y a ravagé les infrastructures et fait plus d’un demi-million de morts.
Amir Dayrawan, 32 ans, était tombé en dépression après avoir perdu sa sœur et son neveu tués par des tirs de mortiers il y a quelques années.
Son moral était à nouveau au plus bas après le séisme dévastateur qui a frappé la Turquie et la Syrie le 8 février.
« La comédie m’a aidé à affronter les craintes que j’avais intériorisées », confie-t-il.
« Nous ne parlons pas de politique et si nous faisons parfois allusion à des sujets liés au sexe ou à la religion, c’est sans dépasser les lignes rouges que nous connaissons bien », souligne Amir Dayrawan.
« Un jour, j’espère que nous pourrons nous libérer intellectuellement et discuter de n’importe quel sujet sans crainte », poursuit-il.
Sur scène, Mary Obaid a aiguisé ses « punchlines » sur les bus syriens encore plus bondés du fait des sévères pénuries d’essence.
Cette femme de 21 ans, qui se dit fière d’être le seul élément féminin du groupe, fait rire aussi l’assistance en racontant ses mésaventures quand l’électricité est coupée… en plein maquillage.
« Sans misère, il n’y aurait pas de comédie », conclut-elle.