En Syrie, les puissances s’accordent sur un retour du régime dans le sud
Les provinces de Deraa et Qouneitra ont un intérêt stratégique pour le pouvoir de Bashar el-Assad, mais aussi pour l'Iran, la Russie, Israël, la Jordanie et les Etats-Unis.

Sept ans après avoir donné naissance à la révolte populaire en Syrie, le sud du pays semble sur le point de retomber dans l’escarcelle du régime en vertu d’un consensus émergeant entre les puissances impliquées dans le conflit.
Un retour des provinces de Deraa et Qouneitra dans son giron serait un succès de plus pour le régime qui, fort du soutien russe, a repris cette année le contrôle total de la région de Damas et a désormais la main sur 60 % du territoire.
Cette zone, bordée par la Jordanie et la partie du Golan israélien, a un intérêt stratégique pour le pouvoir de Bashar el-Assad de part sa proximité avec Damas, mais aussi pour l’Iran, la Russie, Israël, la Jordanie et les Etats-Unis.
Elle est principalement contrôlée par les rebelles, le groupe jihadiste Etat islamique y maintenant aussi une présence limitée.
Des forces progouvernementales, dont environ 500 conseillers militaires iraniens et membres du groupe terroriste chiite armé Hezbollah, sont déployées dans la région.
Le régime y a récemment envoyé des renforts et ses hélicoptères ont lâché la semaine dernière des tracts sur Deraa, menaçant la ville d’une offensive imminente et appelant les rebelles à désarmer.
Mais si l’option militaire n’est pas à écarter, la voie diplomatique est pour l’instant privilégiée.
« Il est clair qu’il existe un consensus entre Américains, Israéliens, Jordaniens et Russes pour que les forces du régime se déploient sans s’engager dans une opération militaire », explique à l’AFP Nawar Oliver, spécialiste de la Syrie au centre de réflexion Omran, basé en Turquie.
« C’est le premier exemple d’un consensus international pour le retour du régime » dans un territoire, estime-t-il.
« Sentinelles »

La Russie joue un rôle majeur dans ces tractations sur une région où Washington, Amman et Moscou avaient convenu l’an dernier d’un cessez-le-feu et où Moscou, Téhéran et Ankara -qui soutient les rebelles- avaient instauré une « zone de désescalade ».
Moscou a appelé la semaine dernière Jordaniens et Américains à négocier dans les plus brefs délais sur le sud syrien et le président Vladimir Poutine a discuté du sujet jeudi avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Israël, qui craint plus que tout une implantation iranienne à sa frontière, a conduit en mai des frappes aériennes sur des installations militaires en Syrie présentées comme iraniennes.
L’Etat hébreu souhaite, via les discussions menées par Moscou, la création d’une zone tampon dans le sud de la province de Qouneitra pour que les forces du régime lui « servent de sentinelles » en maintenant à distance les Iraniens et le Hezbollah, estime Nicholas Heras, chercheur au Center for a New American Security.
En échange, le régime pourrait être autorisé à reprendre le contrôle de la province de Deraa.
L’Iran, lui, marchanderait en contrepartie sa « liberté de mouvement le long de la route terrestre Téhéran-Beyrouth », selon M. Oliver.
Cette route inquiète toutefois Israël et les Etats-Unis car elle permet à l’Iran de fournir des armes au Hezbollah libanais.
Or les Américains cherchent à créer une « une situation qui soit vivable pour Israël » dans le sud syrien, explique Nicolas Heras. « C’est très compliqué, cela implique qu’Assad demande aux Iraniens et au Hezbollah de partir ».
D’ailleurs, malgré le consensus apparent, « certains ne font pas confiance au régime pour contrôler son allié iranien et l’éloigner de cette zone sensible », remarque Sam Heller du centre de réflexion International Crisis Group.

« Gagner sans guerre »
Dans ce concert d’intérêts multiples, le régime pourrait récupérer une zone stratégique sans aucun effort militaire.
La reprise de la province de Deraa est un « enjeu existentiel » pour le pouvoir, affirme M. Heras. Sans elle, « Bachar al-Assad ne peut pas être complètement tranquille sur son trône à Damas », à une centaine de kilomètres de Deraa.
Samedi, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem a laissé entendre qu’un accord était en gestation, mais il a posé une nouvelle condition: le retrait des forces américaines de la base d’Al-Tanaf, dans le sud-est du pays.
Vu de Jordanie, le processus mené par la Russie est, selon M. Heras, le « dernier et meilleur espoir » d’éviter qu’une offensive militaire du régime pousse des centaines de milliers de Syriens supplémentaires vers sa frontière.
« Les Jordaniens ont besoin qu’Assad gagne sans faire la guerre, c’est exactement ce que la Russie veut offrir », résume-t-il.
Sur place, les groupes rebelles semblent être tenus à l’écart des tractations.
« Nous ne sommes pas impliqués dans les négociations », déplore un responsable du « Front du sud », coalition de groupes insurgés locaux. Responsable d’une autre formation rebelle, Abou Youssef est catégorique: « la décision des révolutionnaires du sud est de rester, se battre et empêcher l’entrée du régime et ses alliés ».
A Deraa, les habitants attendent, à l’image d’Ahmed Abou Hazem qui fulmine: « Le régime envoie des renforts, les pays étrangers discutent mais pendant ce temps, les gens n’ont aucune idée de ce qu’il va advenir ».