En Ukraine, à Babi Yar, l’Histoire actionne la sonnette d’alarme
Biden déclare que "la liberté triomphera toujours de la tyrannie" et que Poutine "paiera le prix" de sa guerre. Mais la liberté ne triomphe pas toujours en temps voulu
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Babi Yar, le site où les nazis avaient abattu 34 000 Juifs en l’espace de quarante-huit heures au mois de septembre 1941, ne se situe pas dans les profondeurs d’une forêt, à l’écart de l’animation et des agitations de la vie humaine au quotidien.
Déambulez dans Kiev, tournez à l’angle d’une rue, puis d’une deuxième et Babi Yar est là et surgit sous vos yeux. C’est là que les Juifs de la ville et de ses environs avaient été rassemblés sur ordre des forces d’occupation allemandes et de leurs collaborateurs locaux.
Ils étaient venus parce qu’ils croyaient qu’ils allaient être emmenés quelque part, où ils seraient réinstallés. Mais on leur avait pris leurs objets de valeur, certains avaient été contraints de se déshabiller et il leur avait été demandé de descendre dans le ravin, en bas, passant devant une rangée de soldats, et ils avaient été abattus – victimes et corps misérables empilés les uns sur les autres.
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Cette horreur, qui n’avait guère interrompu l’effervescence habituelle de la ville, avait été perpétrée aux yeux de tous et encouragée et facilitée par de nombreux complices locaux des nazis, comme l’a rappelé l’historienne en chef de Yad Vashem, Dina Porat, dans une interview accordée mercredi matin à la radio israélienne .
Mardi soir, Vladimir Poutine a pris pour cible et endommagé le secteur de Babi Yar lorsqu’un missile a visé la tour de télévision locale et les studios que l’Union soviétique avait choisi de construire aux abords de cette terre gorgée de sang et, ce faisant, il a encore davantage souligné la résonnance historique de l’affront qu’il fait subir actuellement à l’Ukraine, et du grand danger qui se pose.
Comme les nazis, le président cherche à engloutir un pays voisin indépendant, dénaturant son passé et son présent, faisant le pari qu’une communauté internationale molle, autocentrée, ne mobilisera pas l’énergie nécessaire pour le repousser.
De manière immonde, il affirme avoir envahi l’Ukraine pour « dénazifier » le pays – l’Ukraine dont le président est un Juif qui ne s’en cache pas, un pays dont le « crime » a été de tenter de conserver son indépendance face à la Russie, de déraciner la corruption, de se rapprocher de l’Occident et de se démocratiser.
Dans la poursuite de cet objectif, face à une Ukraine qui s’est transformée en entité indépendante robuste, patriote et unifiée, il recourt dorénavant à des menaces nucléaires à la fois vague et inquiétantes et attaque ouvertement des cibles civiles.
Nous écrivons le mot de Holocauste avec un grand H pour souligner ses dimensions propres, uniques, qui resteront incompréhensibles pour l’éternité – l’échelle vertigineuse des meurtres, l’obstination acharnée de cette entreprise qui visait à anéantir notre peuple dans son intégralité. Nous protestons ainsi contre des initiatives qui viseraient à comparer la Shoah à d’autres tragédies humaines – même à d’autres génocides – qui risqueraient de banaliser ou de minimiser son envergure et son impact.
Mais quand le président ukrainien Volodymyr Zelensky demande, comme il l’a fait la nuit dernière : « A quoi bon dire ‘Plus jamais ça’ si le monde garde le silence au moment où une bombe s’abat sur le site même du massacre de Babi Yar ?’, il n’est pas cynique, ce n’est pas une invocation grossière de la tragédie vécue par notre peuple abandonné il y a huit décennies. C’est un plaidoyer sincère, légitime, un appel à l’aide pour pouvoir mettre un terme au malheur qui frappe aujourd’hui et de manière si symbolique Babi Yar.
Poutine, qui possède l’arme nucléaire, dispose d’armements que les nazis étaient dans l’incapacité de mobiliser pour entraîner les dommages les plus colossaux et les plus rapides. Et personne ne sait s’il est effectivement prêt à prouver qu’il peut les utiliser.
Poutine avait fait le pari que l’Ukraine s’effondrerait. Comme le reste du monde, d’ailleurs. La résistance sidérante des Ukrainiens a petit à petit renforcé l’intérêt et le soutien international témoignés à l’égard du pays en guerre, mais cette résistance est tristement dérisoire face à la puissance militaire russe.
Profondément soucieux – et c’est compréhensible – d’éviter une confrontation directe qui pourrait dégénérer en troisième guerre mondiale, le président américain Joe Biden a répété, mardi soir, que les États-Unis n’enverraient pas de troupes pour combattre la Russie en Ukraine et que le monde libre, avec à sa tête les États-Unis, refusait de tenter d’imposer une zone d’exclusion aérienne sur l’Ukraine.
Biden a aussi fait part de sa conviction que « la liberté triomphera toujours face à la tyrannie » et que Poutine « paiera le prix » de son agression. Mais la liberté ne triomphe pas toujours et certainement pas toujours en temps utile.
Poutine reconnaît probablement qu’un retrait, aujourd’hui, serait perdre le pouvoir. L’une des hypothèses les plus optimistes serait, comme l’a vivement recommandé Zelensky, que ses soldats, tout simplement, déposent les armes et partent, avec le soutien des Russes chez eux. Ce qui paraît toutefois hautement improbable pour le moment.
Poutine va devoir être stoppé – et le plus tôt sera le mieux. Les pressions financières, si elles sont écrasantes, vont le rendre furieux mais elles ne seront pas suffisantes. Toutes les pressions non-militaires doivent être exercées. Mais c’est peu probable, encore une fois, qu’elles aient l’effet voulu.
Nous pouvons tous voir de quoi a été fait le passé. Il est impossible de dire que quelle initiative prochaine pourrait prendre ce dictateur frustré, sans entrave. Et à Babi Yar, c’est l’Histoire qui actionne la sonnette d’alarme.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel