Espagne: le mausolée de Franco s’ouvre aux experts pour préparer des exhumations
Des premières exhumations de victimes de la guerre d'Espagne ordonnées par la justice ont commencé lundi au mausolée de Franco

Les moines qui veillent depuis des décennies sur le mausolée de Franco ont été contraints, lundi, d’y laisser entrer des experts, en vue des premières exhumations de victimes de la guerre d’Espagne ordonnées par la justice.
« C’est un évènement historique, les techniciens sont entrés, il semble qu’on va obtenir quelque chose », a dit à l’AFP la petite-fille d’un combattant républicain, Purificacion Lapena, jointe devant l’entrée du site de El Valle de los caidos (La vallée de ceux qui sont tombés pour l’Espagne) auquel elle n’a pas eu accès.
Son propre père, aujourd’hui âgé de 93 ans, ne veut pas mourir avant que le grand-père et le grand-oncle – les frères Manuel et Antonio-Ramiro Lapena Altabas – en soient exhumés.
En 1936, ces deux militants anarchistes avaient été fusillés puis jetés dans une fosse commune en Aragon, dans le nord de l’Espagne.
Et en 1959, en secret, leurs restes avaient été transférés dans le mausolée pharaonique que le dictateur Francisco Franco avait imaginé et fait construire, à 50 km de Madrid.
Vainqueur de la guerre civile sanglante et chef de l’Etat de 1939 à 1975, Franco avait décidé – au nom d’une prétendue « réconciliation » nationale – d’y transférer les restes de plus de 33 000 victimes – nationalistes et républicaines – du conflit, généralement sans même avertir les familles.
La tombe fleurie de Franco
Tout récemment encore, un guide vendu sur place – préfacé par un ancien père supérieur de l’abbaye du site – assurait que le lieu « resterait dans l’Histoire comme l’œuvre la plus géniale de Franco ». Une œuvre « réconciliatrice » où « le sang et le sacrifice d’un million d’Espagnols des deux camps se mêlent dans le sacrifice et le sang du Christ ».
Un discours insupportable pour une partie des Espagnols qui n’y ressentent que douleur et indignation.
Entre 1941 et 1959, le mausolée fut en partie construit par des prisonniers républicains, contraints au travail forcé, parfois morts pendant les travaux.
Franco, lui, s’était réservé la meilleure place.
Depuis sa mort en 1975, il est enterré près de l’autel de « sa » basilique surmontée d’une croix de 150 mètres de haut. Sa tombe – toujours fleurie – voisine avec celle du fondateur du parti fascisant La Phalange, Jose Antonio Primo de Rivera.
« Il est insupportable que les restes d’un grand nombre de républicains se trouvent toujours aux côtés de Franco et Primo de Rivera », dit Mme Lapena, et « tout aussi insupportable qu’on continue à raconter aux touristes que ce site est un symbole de réconciliation ».
Le tribunal de San Lorenzo de El Escorial a finalement ordonné en 2016 que les restes des frères Lapena soient remis à leur parente, « afin de leur donner une sépulture digne ».
Depuis, deux autres familles de victimes, cette fois du camp franquiste, réclament l’exhumation de deux combattants nationalistes.
Mais le prêtre bénédictin qui gère la basilique aura tenté d’entraver jusqu’au bout ce procesus : il refusait l’entrée du site aux techniciens jusqu’à ce que la Conférence des évêques l’incite à appliquer la décision judiciaire.
Lundi, « les experts sont notamment venus percer un mur pour y placer une sonde avec une microcaméra », a expliqué à l’AFP le mari de Mme Lapena, Miguel Angel Capape, président d’une association de proches de disparus, dans l’attente à présent de leur rapport.
Mélangés et rongés par l’humidité, « les restes sont en mauvais état parce qu’on les a très mal traités », admet-il.
Si ces exhumations avaient tout de même lieu, ce seraient les premières réalisées sur ordre judiciaire et au grand jour.
En 1980, des familles de Navarre (nord) avaient déjà obtenu l’exhumation discrète de 133 corps de républicains, au terme de longues négociations politiques entamées en 1978.
Pour la famille Lapena, le site est de toute façon « un problème politique et sa solution devra être politique », selon les mots de M. Capape.
L’an dernier, une large majorité de députés espagnols – 198 sur 350 – avait demandé, en vain, au gouvernement conservateur de Mariano Rajoy que les restes de Franco en soient retirés, pour que le mausolée ne soit « plus un lieu de mémoire franquiste et national-catholique ».