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Analyse

États-Unis : l’activité accrue en ligne fait craindre des violences antijuives

Avec des attaques déjouées et des forums de suprématistes blancs inquiétants - comme cette "Journée du meurtre des Juifs" - les experts redoutent une radicalisation croissante

Un agent du FBI arrive sur la scène d'une fusillade à Jersey City, dans le New Jersey, le 10 décembre 2019. (Crédit : Kena Betancur/AFP via Getty Images/ via JTA)
Un agent du FBI arrive sur la scène d'une fusillade à Jersey City, dans le New Jersey, le 10 décembre 2019. (Crédit : Kena Betancur/AFP via Getty Images/ via JTA)

WASHINGTON (JTA) — Pour tous ceux qui sont chargés de la surveillance de l’antisémitisme, ce mois-ci, c’est un cauchemar induit par une pandémie qui est presque devenu réalité.

Dans le Massachusetts, un homme a été arrêté pour avoir tenté de faire exploser une bombe artisanale à l’entrée d’une maison de retraite juive.

Le dispositif incendiaire avait été placé aux abords de la Ruth’s House, dans la banlieue de Springfield, dans l’ouest de l’État, le 2 avril.

C’était la veille de la date définie comme étant la « Journée du meurtre de Juifs », telle qu’elle avait été annoncée sur le fil d’un réseau social suprématiste blanc et que l’attaquant présumé aurait lu. La cible favorisée dans le cadre de cette journée, était-il écrit, serait une « maison de retraite juive ».

Les responsables de la sécurité des communautés juives s’interrogeaient, depuis le mois de janvier, sur les dangers possibles qu’une pandémie pourrait poser. Parmi leurs inquiétudes, le pic d’activités sur internet, pendant une éventuelle quarantaine, qui permettrait de mettre davantage de personnes en contact avec les poisons toxiques du racisme, de l’antisémitisme et de la glorification de la violence – présents dans tous les recoins sombres de la Toile.

La maison de retraite médicalisée et de vie assistée Ruth’s House à Longmeadow, dans le Massachusetts. (Capture d’écran : Google Street View)

Les responsables juifs qui traquent l’antisémitisme s’inquiétaient ainsi d’une « audience plus à l’écoute, de davantage de personnes passant du temps sur internet, de la capacité de certains messages à résonner particulièrement auprès de certains », explique Oren Segal, vice-président du Centre sur l’extrémisme au sein de l’ADL (Anti-Defamation League).

Amy Spitalnick, à la tête du groupe Integrity First for America, qui s’applique à poursuivre en justice pour leurs actes les suprématistes blancs, indique pour sa part que les groupes extrémistes – disposant de beaucoup de temps libre – risquent d’inciter à des attaques plus nombreuses et plus sophistiquées.

« Tous ces gens restent chez eux, devant leurs écrans, et ils ont tout le temps de prendre part à ces attaques et de disséminer autour d’eux leurs haines et leurs projets », dit Spitalnick.

Michael Masters, à la tête du Secure Community Network, l’aile sécuritaire des groupes juifs nationaux, explique que la révélation de l’arrestation, le 15 avril, a concrétisé les inquiétudes transmises par son groupe aux communautés de tous les États-Unis depuis le mois de janvier, lorsque le SCN a commencé à réfléchir à la pandémie et à l’intégrer dans ses bulletins.

« Cet incident rejoint très exactement nos préoccupations à court et à long terme : une augmentation de l’antisémitisme, une hausse des haines et des incitations à la violence sur les forums et sur les plateformes internet, ce qui motive, encourage et soutient les individus potentiellement désireux  de passer à l’acte contre notre communauté », continue-t-il. « Ce n’est pas conceptuel ».

Michael Masters (Crédit : Andrew Collings/Jewish Federations of North America via JTA)

Tandis que le volume de l’expression de l’antisémitisme a augmenté en ligne et a, au mois à deux reprises, amené les suprématistes blancs à passer à l’acte, Masters note que d’autres manifestations de haine antijuive, comme les actes de vandalisme et les graffitis, n’ont pas connu de hausse pendant la pandémie.

Voilà comment la pandémie a pu changer, et parfois amplifier, la menace représentée par les suprématistes blancs violents.

De grandes cibles vulnérables

Dix jours avant sa tentative d’attentat contre la Ruth’s House, Timothy Wilson est tué par balles par des agents du FBI venus l’arrêter. La pandémie a donné l’opportunité à ce suprématiste blanc connu d’attribuer sur internet la responsabilité de l’épidémie aux Juifs.

Timothy Wilson de Kansas City, Missouri. (Crédit : Facebook)

La majorité des lieux de rassemblement – c’est le cas notamment des synagogues – ont été fermés en raison de la pandémie. Mais Wilson, avait indiqué le FBI, avait prévu de commettre un attentat au camion piégé dans un grand hôpital de la banlieue de Kansas City, à cause, en partie, du nombre important de victimes potentielles présentes dans l’établissement en raison de la pandémie.

Wilson, qui avait songé à attaquer une synagogue entre autres cibles, avait « décidé d’accélérer son plan visant à utiliser un engin explosif improvisé transporté par un véhicule, dans le but de faire de nombreuses victimes et d’importants dégâts », selon l’alerte du FBI.

Segal explique que la même logique aurait parfaitement pu s’appliquer à ceux qui avaient entendu l’appel du suspect du Massachussetts à attaquer des maisons de retraite juives. Les foyers et autres résidences accueillant des seniors sont considérés comme des lieux particulièrement sensibles de contamination virale.

« C’est la double peine », explique-t-il. « Qui est le plus vulnérable et le plus menacé dans ce contexte de pandémie ? C’est le troisième âge ».

La contagion du complot

Des théories anciennes faisant état de l’implication des Juifs dans la propagation des épidémies de peste ont refait surface et bénéficient dorénavant d’une exposition plus large, continue Masters.

« A partir de la mi-janvier, on a commencé à identifier un grand nombre de tropes antisémites historiques relatifs aux virus et à la maladie, à la peste bubonique et à la peste post-bubonique’, note-t-il. Ces tropes issus « du Moyen Âge ont ressuscité avec l’apparition du coronavirus, et on en est arrivé à ‘Ce sont les Juifs qui le répandent, ce sont les Juifs qui en sont responsables et qui veulent le propager pour faire des profits financiers’. »

Rick Wiles, pasteur de Floride connu pour ses théories du complot antisémites, est fondateur de TruNews. (Capture d’écran de Vimeo via JTA)

Cela fait des mois que circulent sur les réseaux sociaux préférés des suprématistes blancs, comme Telegram et Gab, des fils dans lesquels les Juifs sont accusés de profiter de la pandémie – des accusations qui sont ensuite relayées sur des plateformes comme Instagram et Twitter. Rick Wiles, un pasteur chrétien responsable d’un site d’information d’extrême-droite, TruNews, a déclaré, le mois dernier, que la pandémie était une punition divine à l’encontre des Juifs et que ces derniers la répandaient.

Les accusations lancées contre les Juifs, désignés comme des vecteurs volontaires de diffusion de la maladie, remontent aux siècles pré-ère commune – et n’ont cessé de se renforcer au 14e siècle, une époque marquée par les épidémies de peste noire.

Les cibles privilégiées d’agressions dues aux préjugés pendant cette pandémie de coronavirus auront été les Asiatiques. Des groupes Juifs avaient très tôt dénoncé ce phénomène.

Faire du virus une arme

Des échanges sur les réseaux sociaux suprématistes blancs ont suggéré des attaques contre des sites juifs et autres en utilisant le virus – en léchant les poignées de porte ou en contrevenant aux directives sur la distanciation sociale pour faire se propager la maladie.

« Allez dans les synagogues, voyagez en Israël, mettez une kippa et toussez sur tous ceux qui sont autour de vous » sont quelques exemples des scénarios que Masters a pu voir.

Il explique que les menaces semblent plus être des paroles en l’air n’impliquant pas de passage à l’acte. Toutefois, dit-il, elles sont emblématiques de la manière dont le virus et les Juifs sont dorénavant associés – une association puissante – parmi les suprématistes blancs.

« Ce que nous évaluons dans nos conversations avec les forces de l’ordre, c’est que si de telles menaces ne sont pas des indicateurs réels de ce que ces gens vont être amenés à faire, c’est un arc narratif toutefois troublant de la part des suprématistes blancs », dit-il.

Des invités inattendus

Autre facette du paysage de la pandémie, le « Zoombombing » [lié à l’application de vidéoconférence Zoom], des actes de piratage et d’intrusions malveillants dans le cadre de rassemblements virtuels qui ont remplacé pour le moment les rencontres en face à face.

Les suprématistes blancs ont ainsi interrompu des réunions juives, des sessions et des cours d’étude de la Torah en diffusant des slogans nazis et des obscénités. Cette semaine encore, un événement de commémoration de la Shoah qui était organisé par l’ambassade israélienne à Berlin a été bloqué après l’intrusion d’images de Hitler et de militants hurlant des slogans antisémites.

Les organisations juives nationales et locales, ainsi que les synagogues, ont organisé des séminaires sur internet disant aux membres de la communauté et à leurs fidèles comment bloquer les intrus. L’ADL est entrée en contact avec Zoom, qui a renforcé ses protections.

Masters estime qu’il est difficile de dire s’il s’agit d’une manifestation des suprématistes blancs ou d’une manifestation purement malveillante.

« Les gens exploitent les faiblesses partout où elles se trouvent – il y aura toujours des trolls et il y aura des personnes qui auront réellement le désir d’effrayer la communauté », dit-il.

Masters ajoute que les Juifs américains peuvent également se montrer plus vulnérables face aux expressions d’antisémitisme à cette période où la pandémie a imposé l’isolement.

« Les incidents de vandalisme et de graffitis antisémites n’ont pas été plus pernicieux que la normale », clame-t-il. « Nous assistons régulièrement à ce type de harcèlement et d’antisémitisme ».

« Mais il a un impact psychologique particulier sur la communauté en ce moment précis parce que les communautés sont précisément fermées et que tout le monde se sent socialement isolé et particulièrement vulnérable », ajoute-t-il.

La pandémie peut partir mais la maladie persiste

Les Juifs américains devaient d’ores et déjà faire face à « l’environnement de menace le plus complexe et le plus dynamique que la communauté ait connu dans toute l’histoire de la nation », dit Masters, évoquant la vague d’attaques violentes contre des cibles de la communauté juive dans l’année qui a précédé la pandémie avec notamment deux attaques meurtrières contre des synagogues.

Des premiers intervenants nettoient la scène de la tuerie qui a fait plusieurs victimes dans une épicerie casher, le mercredi 11 décembre 2019, à Jersey City, (New Jersey). (AP Photo/Kevin Hagen)

Le bouleversement social ayant sous-tendu ces attaques se manifestera à des degrés bien plus importants et de manière exponentielle à la sortie de la pandémie, a-t-il averti, avec une hausse massive du chômage qui créera plus d’aliénation et une tendance générale de désignation d’un bouc-émissaire pour tous les malheurs subis.

Et, au même moment, les institutions juives reverront leurs dépenses à la baisse, peut-être dans le secteur de la sécurité.

« Viendra le moment où nous reprendrons les offices et où nous ouvrirons nos portes aux fidèles, aux membres des centres communautaires et où les étudiants reviendront sur les campus. Et avec cette augmentation des discours de haine en ligne qui servira d’excuse à la propagation de l’antisémitisme et de la haine, nous nous inquiétons véritablement de ce que les individus sensibles à ce type de message, voyant notre communauté revenir au travail, n’entendent les appels à la violence et passent à l’action », note Masters.

Spitalnick, dont le groupe a traduit en justice les organisateurs de la marche meurtrière de Charlottesville, en Virginie, qui avait rassemblé les suprématistes blancs, note qu’ils ont été en capacité d’exploiter leurs plateformes en ligne pour diffuser leurs messages de haine avant le défilé.

Elle clame qu’il aurait fallu faire davantage pour empêcher la période de troubles actuels de donner une nouvelle résonance à ces phénomènes.

« Le cas de Charlottesville montre combien les réseaux sociaux ont permis et libéré les violences qui ont pu avoir lieu », dit Spitalnick. « Il doit y avoir une approche qui inclut le secteur privé, au lieu de se retrouver dans cette partie de cache-cache où, quand nous les supprimons d’un site, nous les retrouvons sur un autre ».

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