Évasif sur l’après-guerre à Gaza, Netanyahu risque d’en faire payer le prix à Israël
L'annulation par le Premier ministre du débat du cabinet de guerre sur le « jour d'après » prouve que la priorité va à la politique et non à la stratégie
Le report du débat sur le « jour d’après » à Gaza, prévu jeudi soir au sein du cabinet de guerre, témoigne de l’aggravation de la ligne de fracture politique au sujet de la guerre.
Il ne s’agit pas d’une ligne de fracture entre droite et gauche, mais entre ceux qui pensent à la campagne militaire à Gaza et ceux qui pensent à la campagne politique pour la Knesset. Jeudi, ce sont les forces de la Knesset qui l’ont emporté.
Sous la pression du ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, chef du parti HaTzionout HaDatit et partisan de la reprise des implantations juives dans la bande de Gaza, Netanyahu a annulé le débat prévu jeudi dans le cadre limité du cabinet de guerre, annonçant son intention de tenir cette discussion au sein du cabinet de sécurité élargi, dont Smotrich et son collègue ministre d’extrême droite, Itamar Ben Gvir, sont membres.
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La haute direction de l’armée a lancé de nombreuses mises en garde aux dirigeants politiques israéliens au sujet de la question du jour d’après, surtout la semaine dernière.
Aucun des généraux qui font aujourd’hui partie de l’État-major n’était en poste au moment de la création de la zone de sécurité du Sud-Liban, au lendemain du retrait d’Israël de la majeure partie du Liban, en 1985. Ils ont dans l’ensemble commencé leur carrière à la fin des années 1980 ou au tout début des années 1990. Pour autant, la plupart d’entre eux sont familiers du concept de la « responsabilité rampante ».
Ehud Barak, le Premier ministre qui a supervisé le retrait de la zone de sécurité vers la frontière internationale en 2000, avait l’habitude de dire « Une chaise en plus, une table en moins », pour décrire le processus progressif au terme duquel Israël s’est retrouvé souverain de facto sur le Sud-Liban pendant les années où la zone de sécurité a été maintenue.
Un exemple : une partie de l’eau de la zone de sécurité était fournie par Israël au moyen de tuyaux installés et exploités par la compagnie des eaux Mekorot. Qu’est-ce que c’était, si ce n’est une responsabilité civile ?
La situation à Gaza est encore très éloignée de la réalité qu’Israël a créée au Sud-Liban avec la zone de sécurité. Le Liban était une guerre voulue. La guerre du 7 octobre est une guerre subie. Mais le principe d’un vide dans la gouvernance, dans la règle, est semblable. Au Liban, Israël a été entraîné dans ce vide et l’a comblé, sans choisir et sans planification à long terme. Le danger est cela se reproduise à Gaza.
La réalité a, elle aussi, une dynamique qui lui est propre et qui, dans le cas de Gaza, pourrait rapidement confronter Israël à l’inévitable. Un des scénarios plausibles est celui d’une épidémie à Gaza qui ferait s’effondrer un système de santé déjà chancelant. Dans une pareille situation, Israël devrait prendre en charge les malades et peut-être même évacuer certains d’entre eux vers nos installations médicales. Et cela, bien sûr, serait aux antipodes de la déclaration faite par Netanyahu, au début des combats, selon laquelle l’objectif était l’absence totale de responsabilité civile israélienne sur Gaza.
Se préparer à la « phase quatre »
Derrière les portes closes de la haute direction de l’armée, on parle déjà de la « phase quatre » de la guerre, dans laquelle la bande de Gaza serait responsable de sa propre gouvernance civile, et Israël, de l’autre côté de la frontière, prêt à faire face à tout danger. (La première phase de ce processus a été les frappes aériennes de cibles du Hamas après l’invasion des terroristes, le 7 octobre, et le rétablissement de la stabilité en Israël par Tsahal ; la deuxième phase était – et est toujours – l’opération terrestre de haute intensité soutenue par l’armée de l’air israélienne conçue pour démanteler les capacités militaires du Hamas et assurer la libération des otages ; la troisième phase, enfin, est la transition vers une opération de moindre intensité et plus ciblée, pour s’attaquer aux poches de résistance.)
Ces discussions au sein de l’armée portent sur la façon de se préparer dès maintenant à la quatrième phase à venir, de sorte que lorsque l’ordre arrivera, les infrastructures seront prêtes.
Une partie de la phase quatre relève de questions de sécurité. À long terme, l’armée israélienne voudrait transposer à Gaza la situation actuelle et les activités opérationnelles en Cisjordanie.
La question du Gaza d’après-guerre est au centre des préoccupations de l’establishment militaire en ce moment, qui s’attelle, bien sûr à gérer l’actuelle campagne militaire, mais qui est est déjà tourné vers l’avenir.
Certains disent que les dirigeants militaires exigent en fait des dirigeants politiques un cadre pour le jour d’après, car cela est nécessaire pour planifier efficacement la phase trois, déjà partiellement mise en œuvre dans le nord de la bande de Gaza.
Une source haut placée a déclaré à l’auteur de ces lignes que sans une préparation approfondie et solide du jour d’après, c’est le principe même des phases qui pourrait s’effondrer : au lieu de passer de la phase trois (combats ciblés) à la phase quatre (retrait de la bande de Gaza et gouvernance civile par une direction locale), Israël pourrait se retrouver à revenir en phase deux (combats de haute intensité). Mais pour l’instant, l’échelon politique retarde les discussions et reporte les décisions à prendre sur le jour d’après.
En outre, les interactions entre les différents cénacles supposés traiter du « jour d’après » sont peu claires.
Le Conseil de sécurité nationale, auquel le Premier ministre a confié la responsabilité de préparer l’après-guerre de la bande de Gaza ; la branche de planification de Tsahal ; les différentes équipes que le ministre de la Défense Yoav Gallant a mises en place, et enfin la Commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, qui a consacré beaucoup de temps à la question ces derniers temps — tous ces organes travaillent en parallèle et non en étroite coordination.
Les hauts cris de Biden
On peut supposer que la visite du Secrétaire d’État américain Anthony Blinken, à la fin de la semaine, portera principalement sur cette question. Dans une chronique publiée vendredi dans le New York Times, Thomas Friedman a abordé la façon dont la Maison-Blanche entrevoit la solution.
« Israël est encerclé par ce que j’appelle les porte-avions de l’Iran (par opposition à nos propres porte-avions) : le Hamas, le Hezbollah, les Houthis et les milices chiites en Irak. L’Iran est en train d’acculer Israël à une guerre sur plusieurs fronts avec ses mandataires. Je suis vraiment très inquiet pour Israël », a écrit Friedman.
Mais Israël n’aura ni la sympathie de la communauté internationale dont il a besoin, ni les multiples alliés dont il a également besoin pour affronter la pieuvre iranienne, ni les partenaires palestiniens dont il a besoin pour gouverner toute la bande de Gaza post-Hamas, ni le soutien durable de son meilleur ami dans le monde, Joe Biden, à moins qu’il ne soit prêt à privilégier une solution à long terme pour se séparer des Palestiniens et cheminer aux côtés d’un partenaire palestinien légitime et digne de confiance.
« Biden l’a crié à Netanyahu lors de ses appels privés. »
« Pour toutes ces raisons, si Netanyahu continue de refuser – parce que, encore une fois, politiquement, le moment n’est pas opportun pour lui -, Biden devra lui aussi choisir entre les intérêts de l’Amérique et ceux de Netanyahu. »
Comme c’est souvent le cas en période de crise entre Jérusalem et Washington, Friedman fait passer les messages de la Maison Blanche avec férocité et force détails. Cet éditorial, par exemple, a été écrit après une conversation avec Biden. Ce n’est pas une coïncidence s’il fait référence aux « cris » de Biden au téléphone avec Netanyahu dans le contexte du « jour d’après » pour Gaza.
Le Premier ministre s’est montré très ferme sur la nécessité d’empêcher que le « Hamastan » à Gaza ne devienne le « Fatahstan » – terminologie très évocatrice qui touche une corde sensible de la population, surtout à un moment comme celui-ci.
Mais le fait est que nous ne sommes pas en campagne électorale. Nous sommes en guerre. Au-delà de ce qui est inacceptable pour lui et son gouvernement, le dirigeant de la nation doit donc préciser ce qui est acceptable et souhaité. Les chefs militaires ont besoin de savoir à quel futur Gaza les soldats doivent s’attendre.
Lors de sa conférence de presse de samedi soir, Netanyahu a clairement indiqué une fois de plus qu’il n’avait aucunement l’intention de démissionner mais bien au contraire de rester au pouvoir après la guerre afin de superviser la démilitarisation de Gaza et s’assurer qu’elle ne soit plus jamais une menace pour Israël.
Pour l’heure, Netanyahu garde pour lui les détails de la solution qu’il envisage pour la bande de Gaza d’après-guerre. A supposer qu’il ait une vision viable pour Gaza, pour le jour d’après.
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Cet éditorial, initialement publié en hébreu sur Zman Yisraël, le site en hébreu du Times of Israël, Zman Yisrael, a été traduit et adapté.
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