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Analyse

Évincer Netanyahu pourrait s’avérer être la plus grande erreur de Benny Gantz

Le dirigeant de Kakhol lavan pourrait être prêt à chasser le chef du Likud du fauteuil du Premier ministre - et perdre ainsi le poste de Premier ministre

Haviv Rettig Gur

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Le chef du parti Kakhol lavan Benny Gantz au siège de son parti, à Tel Aviv, le 12 septembre 2019. (AP Photo/Oded Balilty)
Le chef du parti Kakhol lavan Benny Gantz au siège de son parti, à Tel Aviv, le 12 septembre 2019. (AP Photo/Oded Balilty)

Le parti Yisrael Beytenu a annoncé jeudi qu’il soutiendrait une loi empêchant le Premier ministre Benjamin Netanyahu de former le prochain gouvernement, un geste qui pourrait bien faire pencher la balance en faveur de la législation.

Après avoir tenu une réunion de faction plus tôt jeudi, Yisrael Beytenu a fait savoir dans une déclaration qu’il avait décidé « de procéder à l’avancement de deux lois ». « La première limitera l’exercice de la fonction de Premier ministre à deux mandats. La seconde loi empêchera un député mis en examen de former un gouvernement. »

C’était une bombe. Beaucoup de choses divisent la coalition anti-Netanyahu – sur presque tous les sujets, Kakhol lavan est plus proche du Likud que de la Liste arabe unie. Mais tous sont temporairement unis par la conviction spécifique et étroite que le temps de Netanyahu au pouvoir devrait prendre fin.

Comme l’a déclaré vendredi le député Ahmad Tibi de la Liste arabe unie lors d’une interview avec la chaîne publique Kan : « Notre bloc n’est pas un bloc d’amis marchant ensemble sur un chemin commun. »

Lors d’une consultation interne à Yisrael Beytenu qui a fait l’objet d’une fuite dans les médias, Liberman aurait décrit son objectif ainsi : « Une chose est claire : nous ne laisserons pas Netanyahu nous conduire à une quatrième élection. Notre objectif est d’établir un gouvernement le plus rapidement possible et d’envoyer Netanyahu à la retraite. Même les membres du Likud à la Knesset qui me parlent me disent : ‘Bravo pour cette initiative.’ Ils veulent le voir finir son mandat et quitter [la résidence du Premier ministre] Balfour [rue de Jérusalem] ».

Le président d’Yisrael Beytenu, le député Avigdor Liberman, lors de la conférence internationale annuelle de l’Institut d’études de sécurité nationale, à Tel Aviv, le 30 janvier 2020. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

Pourtant, tout le monde au Likud n’est pas en deuil. Certains conseillent la patience et insistent sur le fait que ce revers n’en est pas du tout un.

Les 11 derniers mois ont appris au Likud qu’il ne peut pas obtenir la majorité absolue. Mais ils lui ont également enseigné que le soutien à Netanyahu de 45 à 48 % de l’électorat était stable et fiable. Laisser Gantz tenter de diriger le pays par son gouvernement minoritaire en s’appuyant entièrement sur le fait que les partis arabes et les partis de droite Telem et Yisrael Beytenu voguent tous dans la même direction, voilà ce que cette faction du Likud est en train de faire valoir. Laissons Gantz essayer d’adopter des budgets, désigner des ministères, combattre le Hamas à Gaza et survivre à un vote de défiance, tout en satisfaisant les programmes diamétralement opposés de ses anciens alliés.

Et lorsqu’il échouera, lorsque la revendication sous-jacente au cœur de Kakhol lavan – à savoir qu’il s’agit d’une alternative viable et stable au règne du Likud – se révélera être le mirage qu’elle est, le Likud sera là, se jetant sur des élections pas trop lointaines pour reconquérir le trône pour une nouvelle décennie de domination politique inattaquable.

C’est une perspective réconfortante pour la droite, et cela décrit bien le principal défi que Gantz devra relever. Et qui sait ? Peut-être qu’au moment où l’ancien chef d’état-major tombera, Netanyahu en aura fini avec son procès et sera retourné sans encombre sur le champ de bataille politique.

Ce dernier, pour sa part, semble vouloir adopter une approche plus agressive. S’il ne parvient pas à préparer un nouveau mandat de Premier ministre à partir des résultats de lundi, son objectif sera de faire inscrire à l’ordre du jour des questions qui obligeront les partenaires divisés de Gantz à se chamailler et à se dresser les uns contre les autres. Les tirs de roquettes depuis Gaza ou la promesse préélectorale de Gantz de mettre en œuvre certaines parties non spécifiées du plan de paix Trump sont de bons points de départ.

Ayman Odeh, au centre, leader du parti Hadash qui fait partie de la Liste arabe unie, lors d’un discours avec les autres dirigeants de l’alliance au siège électoral de l’union à Shefa-Amr, le 2 mars 2020. (Crédit : Ahmad GHARABLI / AFP)

En poussant la coalition Kakhol lavan à bout, Netanyahu forcera de nouvelles élections lors desquelles son accusation selon laquelle Gantz a l’intention de former un gouvernement « dépendant de la Liste arabe unie » paraîtra plus crédible – et lors desquelles il demandera explicitement un mandat à ses soutiens pour renverser la loi lui interdisant de devenir Premier ministre.

Ce sera sa chance, face à ce qu’il espère être un Gantz affaibli et un Liberman discrédité, de remporter la « victoire par KO » qui lui échappe depuis avril.

Le Likud se trouve donc maintenant dans un débat interne complexe sur l’avenir, avec des perspectives moins sombres que ce que ses déclarations amères de jeudi pourraient laisser croire.

Mais ce débat interne n’est pas la chose la plus étrange de ce moment politique. Le plus étrange, peut-être, est le simple fait que le meilleur espoir de Gantz de soustraire la première place des mains de Netanyahu est peut-être la chose même qui dénie de manière décisive et permanente à Gantz sa victoire durement acquise.

Dans un sens important, Netanyahu a déjà fait son travail pour son parti et son camp politique. Il a obtenu 36 sièges pour le Likud lundi, ainsi qu’une pluralité constante et mesurable pour l’alliance droite-religieuse.

Les partisans du Likud le soir des élections au siège du parti à Tel Aviv, le 3 mars 2020. (Crédit : Olivier Fitoussi / Flash90)

En effet, avec cette stabilité, la seule chose qui empêche le Likud de revenir facilement à la tête du gouvernement est Netanyahu lui-même.

Ce dernier est fêté et adulé à droite, mais il est également détesté par un nombre étonnamment important de dirigeants de droite pour des raisons plus viscérales et personnelles que tout désaccord politique. Liberman, Naftali Bennett et Ayelet Shaked de Yamina, les députés Kakhol lavan Moshe Yaalon, Yoaz Hendel et Zvika Hauser font partie des nombreux responsables politiques de droite qui sont d’accord avec Netanyahu sur la plupart des questions politiques, mais qui ont une longue litanie d’abus et de trahisons qu’ils pensent avoir subis aux mains de celui-ci. Netanyahu a le talent de pousser ses proches alliés et ses partisans dans les camps de ses ennemis, et certains de ces anciens alliés et conseillers sont devenus de puissants adversaires politiques.

Pendant la campagne, l’intéressé a accusé ses adversaires d’être un camp « Tout sauf Bibi ». Ses adversaires sont largement d’accord. L’opposition de Liberman à Netanyahu découle de plus de 20 ans d’inimitié et de méfiance mutuelles, dont une grande partie est due à Netanyahu lui-même. Le soutien d’Yisrael Beytenu à une loi qui le priverait de la première place a été présenté par Liberman lui-même jeudi comme un instrument brutal destiné à accomplir une seule chose : se débarrasser enfin du Premier ministre en place depuis longtemps.

Mais il y a un hic : les opposants du Likud sont plus désireux de se débarrasser de Netanyahu que de remplacer le Likud en tant que parti au pouvoir. Et cela crée une opportunité surprenante pour le parti. En retirant Netanyahu de l’équation, on débouche sur une grande partie de ce qui se trouve entre le Likud et une nette majorité à la Knesset pour gouverner. Un Likud désormais dirigé par un Yuli Edelstein, un Israel Katz ou un Gilad Erdan, ou tout autre dirigeant de premier plan, trouverait un Yisrael Beytenu extrêmement accommodant et un Parti travailliste encore plus sympathique (sans parler de la faction Telem des anciens Likoudniks de Kakhol lavan) désireux de s’assurer, pour eux-mêmes et pour leurs électeurs, les privilèges du pouvoir maintenant que la promesse de campagne d’évincer Netanyahu a été tenue.

Soudain, les intérêts d’un Likud fort de 36 sièges et d’un Netanyahu isolé divergent.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (au centre) rencontre les chefs des partis de droite, après les élections israéliennes qui, une fois encore, semblent le laisser sans majorité claire, le 4 mars 2020. (Crédit : Yonatan Sindel/FLASH90)

Il est important de noter ici que le Likud n’agira pas, de son propre chef, en fonction de cet intérêt et n’écartera pas Netanyahu. Il a montré, surtout dans la course de lundi, que son Premier ministre a le soutien de la base du parti, et même de nombreux partisans de formations alliées comme Shas et Yamina.

Quelqu’un de l’extérieur, comme Gantz, devrait forcer la destitution – mais c’est le Likud qui profiterait probablement le plus de cette aubaine.

En d’autres termes, il est fort probable que le départ de Netanyahu rende Gantz insignifiant pour les partenaires dont il a besoin pour avoir une chance de remporter la première place.

C’est un piège amer et ironique. Gantz, l’architecte et l’artisan de la fin du règne de Netanyahu, l’éleveur étonnamment prospère des nombreux chats qui composent la coalition Kakhol lavan, un homme qui a reconstruit pour une durée encore inconnue une identité politique de centre-gauche longtemps dormante, peut être rendu sans intérêt par son succès même.

Même un gouvernement d’unité pourrait aller au-delà de sa portée. Pourquoi le Likud partagerait-il le pouvoir avec un Gantz de 33 sièges alors qu’il pourrait monopoliser les postes de direction au sein d’une coalition sans doute plus stable avec les nombreux partenaires nouvellement disponibles et beaucoup plus petits ?

Gantz est maintenant à deux doigts de renverser Netanyahu – mais il a besoin de lui comme cible pour maintenir sa position d’alternative à Netanyahu.

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