Face au gouvernement israélien, un groupe LGBTQ sioniste américain dans l’urgence
Après avoir plaidé en faveur d’Israël dans la communauté gay américaine pendant des années, A Wider Bridge fait face à une impasse alors que la nouvelle coalition de l’État juif comprend des politiciens fièrement homophobes.
JTA – Le gala annuel de A Wider Bridge, organisation LGBTQ juive, avait tout d’un événement festif : des invités en tenue de cocktail – une femme portait une robe arc-en-ciel à volants à plusieurs niveaux – venus déguster salade, riz, poulet, desserts et papoter – mais aussi célébrer la réussite de quatre militants juifs.
Il s’agissait du tout premier gala de l’organisation depuis la pandémie de COVID-19, et pourtant, l’ambiance lundi soir n’était pas totalement à la fête.
Au fil des discours et des conversations dans la salle est monté le sentiment que A Wider Bridge – qui défend à la fois la communauté LGBTQ en Israël et Israël au sein de la communauté LGBTQ américaine – entrait dans une ère nouvelle, pleine d’incertitudes.
« Pour les LGBTQ israéliens, c’est le sol qui se dérobe sous leurs pieds », a déclaré le directeur exécutif du groupe, Ethan Felson, dans un discours prononcé devant les quelque 200 participants.
« Les appels reçus par les hotlines sont en hausse. Les incidents de violence émotionnelle et physique contre la communauté LGBTQ sont en hausse en Israël… Vous pouvez imaginer les défis auxquels la communauté trans est confrontée : c’est une attaque en règle contre leurs droits et leur existence-même », a-t-il ajouté, citant des militants LGBTQ en Israël.
La crise décrite par Felson s’est déclarée sous le nouveau gouvernement israélien, composé de responsables ouvertement anti-LGBTQ à des postes de haut niveau.
Leur projet de réforme judiciaire menace l’ensemble des droits LGBTQ qu’Israël a longtemps montrés en exemple pour témoigner de son ouverture.
Cette nouvelle réalité complexifie le travail de A Wider Bridge aux États-Unis comme en Israël.
Au cours de la soirée, émaillée de discours pour récompenser quatre lauréats, d’un stand-up de la comédienne juive Judy Gold et d’un message vidéo de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, ont été évoqués les défis auxquels sont confrontés les droits LGBTQ en Israël, qui ont conduit l’organisation à multiplier par deux ses dons aux organisations LGBTQ israéliennes cette année.
« Je fais ce travail depuis 35 ans et j’ai connu des périodes très compliquées, mais je n’ai jamais ressenti un tel sentiment d’urgence », a déclaré Felson à la Jewish Telegraphic Agency lors de l’événement.
« L’urgence de ce qui se passe en ce moment éclipse tout ce que j’ai pu faire tout au long de ma carrière. »
Le gala, organisé dans un espace décoré de piliers dorés dont les fenêtres cintrées donnaient sur Union Square à Manhattan, s’est déroulé au moment-même où le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, rendait visite à la communauté hassidique Chabad de Crown Heights, à Brooklyn.
Smotrich dit de lui qu’il est « fier d’être homophobe » : il siège, dans la coalition gouvernementale israélienne, aux côtés d’Avi Maoz, à la tête du parti anti-LGBTQ Noam.
La coalition comprend également des partis haredi, ou ultra-orthodoxes, hostiles de longue date aux droits LGBTQ.
Le projet de loi de la coalition, qui entend priver la Cour suprême d’une grande partie de ses pouvoirs et de son indépendance, met également en danger les droits LGBTQ en Israël.
En Israël, la loi ne permet pas aux couples de même sexe de se marier, mais la Cour Suprême a statué en 2006 que le pays devait reconnaître les mariages homosexuels célébrés à l’étranger.
Une décision de justice de 2021 a par ailleurs ouvert la voie à la parentalité pour les couples LGBTQ via les mères porteuses.
« Le débat sur la communauté LGBTQ israélienne a radicalement changé », a expliqué Felson.
« La communauté LGBTQ israélienne était perçue comme sûre, sécurisée et prospère, et ne faisait en rien partie des groupes vulnérables. Mais ce n’était pas une image fidèle à la réalité. Elle a toujours été menacée par les thérapies de conversion, la transphobie, les violences. Et il y a des ministres, au sein de l’actuel gouvernement, qui aggravent encore la situation, qui jouent de cette vulnérabilité. »
Pour autant, Felson a affirmé que le travail de A Wider Bridge aux États-Unis, à savoir entretenir la relation entre groupes LGBTQ israéliens et américains, n’en sera pas affaibli pour autant.
« Nous aimons autant Israël qu’hier, autant que l’année dernière », a-t-il déclaré.
« Nous sommes aux côtés d’Israël et de sa communauté LGBTQ. Un pays est bien plus que ses dirigeants. »
« Nous n’avons jamais fait pression pour un gouvernement. Nous n’avons jamais été là pour appuyer un gouvernement plus qu’un autre. Il est évident, pour toutes les personnes impliquées dans le débat sur Israël, que les gouvernements se font et se défont, avec lesquels nous sommes plus ou moins en phase, mais que cela n’affecte en rien notre relation à ce pays », a-t-il poursuivi.
Depuis le début de l’année, A Wider Bridge a fait don de 180 000 dollars à 20 organisations LGBTQ israéliennes, soit le même montant distribué annuellement, ces dernières années.
À la fin de la soirée, Felson a annoncé une campagne d’urgence pour recueillir 180 000 $ supplémentaires, ajoutant que l’organisation avait reçu un don anonyme de 75 000 $ pour amorcer la campagne.
D’autres orateurs ont évoqué la situation des Israéliens LGBTQ en des termes on ne peut plus clairs.
Dans une vidéo préenregistrée, Rotem Sorek, PDG de Ma’avarim, organisation de défense des transgenres en Israël, a déclaré avoir remarqué, depuis la prise de pouvoir de la nouvelle coalition gouvernementale, une augmentation des appels téléphoniques à la hotline de son organisation.
« En ce moment, il y a un changement de pouvoir, une nouvelle forme particulière de transphobie », a expliqué Sorek.
« Les gens commencent à se dire que les personnes trans ne sont pas des êtres humains comme les autres. »
Les propos préenregistrés de Kamala Harris n’ont pas évoqué la situation en Israël mais mis en vedette la lauréate Roselyne « Cissie » Swig, donatrice de longue date du groupe de San Francisco qui a reçu le prix Tzedek.
Dans son discours de réception du prix, Swig a dit son inquiétude pour les droits LGBTQ en Israël.
« Je suis assez âgée maintenant pour avoir connu les débuts d’Israël », a déclaré Swig, qui est âgée de 90 ans.
« Ce qui se passe en ce moment, d’un point de vue juridique, est un troublant, pour moi comme pour d’autres. J’aimerais que l’avenir soit plus certain. »
Felson a conclu que, face à ces défis de taille, son organisation n’était pas isolée.
« Les gens sont désormais parfaitement conscients que ces problèmes ne peuvent pas être purement et simplement ignorés », a-t-il déclaré.
« Ce ne sont pas des questions purement rhétoriques. C’est un débat réellement existentiel. »