France : à Calais, un délicat travail lors des décès de migrants
Médecins légistes et associations s'activent pour identifier les victime, faciliter leur inhumation et rendre un peu de dignité aux migrants
Identifier la victime et faciliter son inhumation : médecins légistes et associations tentent de rendre leur dignité aux migrants tués à Calais, dans le nord de la France, lors de leur périlleuse quête d’Angleterre.
Près d’une trentaine d’entre eux ont péri depuis juin 2015, heurtés par un véhicule ou un train, noyés ou électrocutés sur le site d’Eurotunnel. Dernier cas en date : le 9 mai, un Pakistanais de 24 ans dont le rêve d’Angleterre a été fracassé par une voiture sur la rocade portuaire de Calais.
En cas de mort violente sur la voie publique, le corps est « systématiquement autopsié pour qu’aucune ambiguïté sur son décès ne subsiste », explique à l’AFP Stéphane Chochois, médecin légiste et chef de l’unité médico-judiciaire au centre hospitalier de la ville.
L’identification des corps peut ensuite prendre des mois et les dépouilles restent parfois longtemps à la morgue. Il faut activer toutes les pistes : interroger les compagnons de voyage du migrant décédé, tenter de mettre la main sur tout document attestant son identité, faire parler des puces de téléphone ou, à défaut, les empreintes et l’ADN du défunt.
Certaines conditions particulièrement terribles du décès ne facilitent pas cette tâche. Le médecin légiste se souvient ainsi d’un corps disséminé « sur 20 mètres » l’été dernier » après avoir été traîné par un train ».
Soutien psychologique
La plupart du temps, seules les associations permettent d’établir le lien entre la police, l’hôpital ou les pompes funèbres et les familles ou la communauté de la victime.
« Souvent, la police m’envoie des photos ‘présentables’ que j’imprime et qui me permettront de retrouver des proches habitant la ‘Jungle' », ce bidonville immense et tristement célèbre près de Calais où s’entassent les migrants, « pour identifier définitivement puis préparer l’après », raconte Lou, psychologue au sein de l’organisation Médecins du Monde.
Le soutien psychologique est central dans ses missions. Comme « en octobre, quand une Syrienne de 26 ans est décédée après avoir été percutée par une voiture sous les yeux de son fils de 9 ans… Il y a du boulot… A Eurotunnel, par exemple, les agents bénéficient d’un soutien. Mais les migrants, eux, n’en ont aucun », souligne la psychologue.
Elle accompagne alors les communautés et les guide dans leurs démarches administratives.
« Faire rapatrier un corps n’est pas toujours évident quand on vit à des milliers de kilomètres, surtout quand on ne maîtrise pas la langue ni les us et coutumes », dit-elle.
Une croix en bois et un nom
La jeune bénévole pointe également le caractère aléatoire de chaque situation : « Les liens changent en fonction des ambassades, dont certaines financent en partie le rapatriement, en fonction des prix, qui varient fortement, ou des procédures parfois très compliquées ».
Si les familles dans le pays d’origine ont pu être contactées, souhaitent et peuvent payer des rapatriements oscillant entre 3000 et 6000 euros, les démarches sont relativement rapides. La diaspora peut aussi décider de cotiser pour offrir une fin décente à ces malheureux.
A défaut, un enterrement est organisé dans la commune où est décédée la victime, qui ne peut refuser le corps.
« On ne meurt jamais par hasard à Calais »
Lou, psychologue à Médecin du Monde
Dans le cimetière nord de Calais, les tombes de migrants sont facilement repérables au milieu du carré musulman : une simple croix en bois, sur laquelle est gravé un nom, accompagné le plus souvent de la seule date de décès. Il y a parfois des restes de fleurs, fanées, sur le petit monticule de terre livré aux mauvaises herbes.
Lorsqu’aucune identification n’est possible, ils sont enterrés plus loin. Lou pointe du doigt un endroit isolé du cimetière, le carré des indigents, et soupire : « Que ce soit à la frontière ou au bidonville, on ne meurt jamais pas hasard à Calais ».