France : Une jurée d’un festival de films LGBT dénonce l’antisémitisme qu’elle a subi
La région Île-de-France retire sa subvention de 20 000 euros au festival Chéris-Chéris après que Julia Layani s'est vue interdite de monter sur scène avec les autres membres du jury pour mentionner les otages israéliens dans un long texte « pour la paix »
Sur son compte Instagram suivi par près de 40 000 personnes, la podcasteuse et entrepreneuse Julia Layani n’a pas pour habitude de partager de la négativité. Mais vendredi dernier, elle a choisi de dénoncer l’antisémitisme dont elle a été victime à l’occasion d’un festival de courts-métrages LGBT+.
La veille, la cérémonie de clôture du festival Chéris-Chéris avait lieu dans le 3e arrondissement de Paris. À cette occasion, des membres du jury, dont Julia Layani faisait partie, avaient décidé de prendre la parole pour dénoncer les « atrocités qui se passent dans le monde », en se focalisant tout particulièrement sur Gaza, le Liban et l’Iran.
Julia Layani souhaite elle aussi monter sur scène pour s’associer au message en précisant à l’avance aux autres membres du jury qu’elle aimerait ajouter une mention aux otages israéliens retenus à Gaza par les terroristes du Hamas.
Le 7 octobre 2023, en plus des 1 206 personnes assassinées, 251 personnes ont été prises en otages par le Hamas lors de son attaque massive sur les communautés du sud d’Israël. Aujourd’hui encore, plus de 420 jours plus tard, 101 otages sont toujours à Gaza.
Dans son message, Julia Layani explique qu’elle a appris avant l’ouverture du festival que des membres du jury avaient l’intention de signer une tribune adressée à la direction du festival pour la faire virer du jury parce qu’elle serait une « sioniste d’extrême-droite ». Elle apprendra plus tard que c’est parce qu’elle a reçu Caroline Fourest dans un épisode de son podcast « Conversations avant la fin du monde ».
La journaliste et éditorialiste Caroline Fourest est directrice de la rédaction du magazine Franc-tireur. Elle est accusée par l’extrême-gauche de soutenir la conduite de la guerre à Gaza par le gouvernement de Benjamin Netanyahu.
« Nous n’avons donc plus le droit d’avoir des opinions différentes », déplore Julia Layani sur son compte Instagram. « Et même si vous n’êtes pas d’accord, avez-vous tellement perdu votre humanité pour ne plus pouvoir discuter ? Non, la mode est à l’annulation, cancel sans autre forme de procès, dans rencontre, sans communication. »
Alors que la cérémonie de clôture du festival Chéris-Chéris est sur le point de commencer, un membre du jury prend Julia à l’écart pour lui dire que « le groupe ne veut pas ajouter au texte les otages israéliens ».
« Pourquoi ? », s’offusque alors la podcasteuse. « Parce que ce n’est pas le sujet », lui répond-on. « Ce n’est pas le sujet ? Mais vous allez parler des crimes commis à Gaza, c’est précisément le sujet non ? », insiste Julia Layani.
Ne pouvant pas avoir une pensée pour les otages israéliens et étant interdite de monter sur scène avec le reste du jury, Julia est alors convaincue d’être victime d’antisémitisme. Elle dit avoir vécu « le moment d’émotion et de frustration le plus fort de ma vie ».
Elle décide alors de monter sur scène seule, sans autorisation préalable pour partager son expérience avec le public. Dans une vidéo de son discours, on l’entend dire : « Je viens de subir quelque chose d’extrêmement violent là en coulisses […] il y a un groupe qui vient de monter sur scène qui a envoyé un texte en amont […] qui est un très beau texte d’ailleurs, je voulais juste rajouter quelque chose qui m’est cher… je suis de confession juive, ça peut peut-être dérangé certains ».
« Je voulais simplement rajouter qu’il y a également les otages israéliens qui sont à Gaza », déclare-t-elle sous les applaudissements d’une partie de la salle. « Ça fait une semaine que je vois des mails et des tribunes qui s’écrivent contre moi… », dit-elle avant d’être interrompue par un spectateur au fond de la salle : « C’est parce que tu soutiens Fourest ».
Pour Julia Layani, l’accusation de « sioniste d’extrême-droite » ne passe pas. Interrogée par Le Parisien, elle déclare : « J’ai toujours prôné des idées féministes, progressistes, et lutté contre toutes formes de discriminations. En juin dernier, lors de l’élection européenne, j’ai publiquement affiché mon soutien à la tête de liste EELV [écologiste] Marie Toussaint. J’ai toujours lutté contre l’extrême-droite ».
« Parmi les personnes qui ne voulaient pas de moi dans ce jury, il y avait une instigatrice », raconte-t-elle. « Elle voulait dézinguer tous ceux qui étaient, à ses yeux, prétendument sionistes, c’est-à-dire tous les feujs comme moi. Pour elle, sioniste est égal à Netanyahu. Elle ne connaît même pas la définition du mot qui date du XIXe siècle. »
Suite à la publication de son message, Julia Layani a reçu de nombreux messages de soutien, notamment de la part de la région Île-de-France. La première vice-présidente (LR) de région, Florence Mosalini Portelli, a annoncé que Valérie Pécresse allait suspendre la subvention de 20 000 euros accordée par la région au festival Chéris-Chéris. Elle dénonce un incident « révoltant » mais pas « surprenant ».
La région suspend sa subvention au festival Chéries-chéris. Ce qui s’est passé est révoltant, une honte! Et hélas pas surprenant. La politique de @vpecresse est et restera intransigeante dans sa lutte contre l’antisémitisme. https://t.co/RmohrYjcHt
— Florence Mosalini Portelli (@FloPortelli) November 28, 2024
Le groupe de cinéma mk2, fondé en 1974 par Marin Karmitz et aujourd’hui dirigé par ses fils Nathanaël et Elisha Karmitz et qui a accueilli le festival dans l’une de ses salles, a condamné « sans ambiguïté celles et ceux qui se serviraient de sa confession juive ou de la programmation de son podcast pour l’ostraciser ».
La direction de « mk2 veut aussi rappeler que depuis 30 ans, le festival Chéris-Chéris place l’émancipation et la lutte contre les discriminations au cœur de son projet » et a tenu à exprimer son « choc » et sa « stupéfaction ».
COMMUNIQUÉ
mk2 exprime son indignation après les incidents dénoncés par Julia Layani, survenus lors de la cérémonie de clôture du festival Chéries-Chéris. mk2 défend et défendra toujours la pluralité de points de vue, dans nos salles, nos productions, nos conférences, nos médias. pic.twitter.com/hY5HqSQ5kZ— mk2 (@mk2) November 28, 2024
Dans un communiqué, la direction du festival Chéris-Chéris a condamné « avec la plus grande fermeté toute forme d’antisémitisme, de racisme, d’islamophobie et d’exclusion » et a tenu à affirmer son « soutien absolu à Julia Layani ».
Invitée sur Radio J, Julia Layani affirme que « le mot ‘antisémitisme’, on a plus le droit de la prononcer parce qu’on est taxé de paranoïaque ». « Silencier une personne parce qu’elle est taxée d’être ‘sioniste d’extrême-droite’, en tout cas ce qui veut dire, si l’on silencie un Juif, qu’est-ce que c’est l’antisémitisme si ce n’est pas ça ? ».
« Depuis le 7 octobre, j’ai décidé de ne pas parler de ce sujet parce qu’il me brûlait trop à l’intérieur. C’est personnel, je vois une psychologue, j’en parle avec elle, il n’y a pas de problème, je gère. Mais, on me le rappelle […] même quand on ne s’exprime pas sur le sujet, on nous le rappelle en permanence », déplore-t-elle.