Frank Lowenstein : Israël fait le « contraire d’Oslo » en Cisjordanie
Pour l'ex représentant du Département d'État pour les négociations israélo-palestiniennes, l'Etat juif a transféré le pouvoir aux implantations au lieu de l'Autorité palestinienne
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Dans un climat de doutes croissants quant à la viabilité du plan de paix du président américain Donald Trump, l’envoyé spécial de l’administration Obama pour les négociations israélo-palestiniennes dénonce ce qu’il décrit comme le rejet « alarmant » par Israël d’accords antérieurs visant à aller vers une solution à deux états.
S’adressant au Times of Israel la semaine dernière, l’ancien haut fonctionnaire du Département d’Etat Frank Lowenstein a déclaré qu’Israël était en train de mettre en œuvre « le contraire d’Oslo », ce qui signifie que l’Etat juif a progressivement transféré le pouvoir aux habitants des implantations israéliennes en Cisjordanie plutôt qu’à l’Autorité palestinienne, comme convenu initialement dans les accords bilatéraux des années 1990.
Plus tôt ce mois-ci, The New Yorker a rapporté que c’est cette prise de conscience de Lowenstein au printemps 2015 qui a « scandalisé » Barack Obama et qui a refusé de bloquer la résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant les implantations israéliennes.
M. Lowenstein a déclaré au Times of Israel qu’il connaissait depuis longtemps la réalité en Cisjordanie, mais qu’il n’avait pas été en mesure de l’expliquer pleinement à ses supérieurs avant la sixième année de la présidence d’Obama, lorsqu’il a découvert une série de cartes montrant comment 60 % des terres au-delà de la Ligne verte étaient devenues inaccessibles pour le développement des Palestiniens.
« Nous le savions depuis le début. Je n’arrivais pas à comprendre comment l’expliquer aux gens avant d’avoir vu ces cartes », se rappelle-t-il, en disant qu’elles étaient essentielles pour illustrer au secrétaire d’État de l’époque, John Kerry et au président Obama, la réalité de la consolidation de la présence israélienne en Cisjordanie.
« Si je dis au secrétaire d’État Kerry : ‘Israël a annoncé 15 000 nouvelles unités de peuplement pendant les négociations’, il peut comprendre cela… mais parfois les images racontent une histoire d’une manière plus facile à comprendre et à expliquer au public », a ajouté M. Lowenstein.
Lowesnstein a expliqué que les implantations israéliennes, qui occupent environ 1,5 % des terres de Cisjordanie, n’étaient pas sa principale préoccupation. C’est plutôt la création de près de 100 avant-postes illégaux qui a permis à Israël de priver les Palestiniens de près des deux tiers de la Cisjordanie.
Alors que la communauté internationale considère que toutes les activités de peuplement sont illégales, Israël fait la différence entre les habitations légales construites et autorisées par le ministère de la Défense sur des terres appartenant à l’État, et les avant-postes illégaux construits sans les permis nécessaires, souvent sur des terres privées palestiniennes.
M. Lowenstein a reconnu que les 60 % qu’il a soulignés étaient équivalents à la zone C, qui est placée sous le contrôle total d’Israël dans le cadre des accords d’Oslo. Toutefois, il a souligné que l’objectif de l’accord était de transférer progressivement des parties de la zone C à l’Autorité palestinienne.
What a one-state reality looks like https://t.co/N2TN46GGbh pic.twitter.com/lSsGLdpIBA
— Richard Goldwasser (@_Goldwasser_) July 9, 2018
« C’est ainsi que je me suis rendu compte que tout cela était le contraire d’Oslo. Au lieu de transférer le pouvoir aux Palestiniens, ils ont effectivement transféré le pouvoir aux résidents des implantations », a poursuivi M. Lowenstein.
En découvrant ces cartes, le bureau de Lowenstein a fait une présentation plus large d’illustrations similaires rassemblant des données provenant en grande partie d’ONG israéliennes qui ont mis en évidence – entre autres choses – les avant-postes israéliens et les démolitions de maisons palestiniennes.
La présentation a circulé parmi les hauts fonctionnaires de la Maison Blanche et a été utilisée pour illustrer le concept « Oslo inversé » aux Israéliens et aux Palestiniens.
Selon Lowenstein, les responsables israéliens ont examiné les cartes et n’ont pas contesté leur exactitude, ce que l’ancien envoyé spécial a trouvé révélateur, car « lorsque les Israéliens sont en désaccord avec quelque chose, ils nous le font savoir ».
Le confident de Kerry a déclaré qu’une fois que la Maison Blanche a été en mesure de « comprendre la situation » grâce à la visualisation des cartes, elle a fait des propositions sur ce qui pourrait être fait « pour empêcher cette réalité sur le terrain ».
Ces suggestions ont été soumises sous la forme du rapport du Quartet pour le Moyen-Orient de juillet 2016, qui demandait notamment à Israël de transférer « les pouvoirs et responsabilités dans la zone C » à l’Autorité palestinienne, en plus de freiner la croissance des implantations.
Le rapport, qui critiquait également l’incitation au terrorisme palestinien, a été rejeté à la fois par Israël et par l’Autorité palestinienne.
Mais Lowenstein a affirmé que l’objectif de l’administration Obama était toujours de présenter un ensemble de principes que les deux parties pourraient utiliser comme base de négociation si elles choisissaient un jour de reprendre les pourparlers.
Les « Principes de Kerry » ont été introduits par le secrétaire d’Etat en décembre 2016 pendant les derniers jours du mandat d’Obama et ont recommandé une solution à deux Etats basée sur les frontières d’avant 1967 avec Jérusalem comme capitale pour les deux pays.
« Les cartes, le rapport du Quartet et les Principes de Kerry constituaient le ‘guichet unique’ de l’administration suivante ou de toute autre personne désireuse d’aborder la question », a résumé M. Lowenstein.
Mais, outre le fait qu’aucune des deux parties n’a entièrement souscrit à l’approche à trois volets de l’administration Obama, la nouvelle Maison Blanche de Trump a construit son propre plan de paix qui devrait s’écarter assez profondément du constat « Oslo inversé ».
Alors que Lowenstein souhaitait bonne chance à l’administration Trump avec son propre processus de paix, l’ancien envoyé spécial a déclaré que la Maison Blanche faisait face à une bataille difficile pour amener les parties à la table.
De plus, il a déclaré que ce qui ressort de l’expérience de la présentation de la carte, c’est que les illustrations n’ont pas réussi à faire bouger les décideurs concernés.
« Même lorsque les gens voient ces cartes et comprennent ce qui se passe, ils haussent les épaules et passent à autre chose », a-t-il conclu.