Guerre Hamas-Israël : Pour Le Drian, le « grand gagnant de tout cela, c’est l’Iran »
Pas de normalisation avec Ryad, question palestinienne au centre du débat et fragilité d'Israël : le trio gagnant de Téhéran selon l'ex-ministre de la Défense français
Jean-Yves Le Drian, ancien ministre français des Affaires étrangères, a estimé jeudi « à titre personnel » que la France devait reconnaître un État palestinien, un moyen de pression sur Israël pour sortir, selon lui, de la situation de blocage à Gaza.
Sur Sud Radio, au micro de Jean-Jacques Bourdin, M. Le Drian a d’abord regretté la frappe récente sur le consulat d’Iran en Syrie, « une espèce de logique de la tension de la part d’Israël » qui peut être « dramatique pour la suite ».
Il a aussi dénoncé ce qu’il a appelé « l’hyperviolence indiscriminée qui est engagée en représailles d’un acte terroriste insupportable qui était celui du Hamas. Il n’empêche que cette hyperviolence indiscriminée aboutit à une espèce de guerre sans fin dans la mesure où on n’a pas identifié, on ne sait pas à partir de quel moment Israël dira : ‘Nous avons éradiqué Hamas.’ Parce que, ‘éradiquer Hamas’ ça veut dire quoi aujourd’hui ? On ne sait pas. »
Alors que l’animateur lui demandait ce qu’il comprend « de la stratégie et des objectifs du gouvernement israélien », l’ancien ministre a répondu : « Je ne sais pas, et ils ne nous l’ont pas dit. Quels sont les objectifs ? En termes militaires – j’ai été ministre de la Défense –, on dirait : ‘Quel est l’état final recherché ?’ On ne le sait pas, et donc on est dans une espèce de guerre sans fin qui va aboutir à isoler complètement Israël, mais qui aboutit aussi à un espèce de renforcement du ressentiment anti-occidental au niveau de la planète – ce n’est pas l’intérêt d’Israël. Ce n’est pas dans la sécurité d’Israël que d’agir ainsi. »
Les deux objectifs de l’armée sont d’éliminer le Hamas et de libérer les otages.
« Que demandez-vous au gouvernement israélien ? », lui a demandé Jean-Jacques Bourdin. « Il faut établir aujourd’hui les conditions du cessez-le-feu », a répondu M. Le Drian. « Avec les otages libérés, les conditions du cessez-le-feu, l’accès humanitaire libre, et ensuite, parallèlement, le début d’une discussion politique qui permettra de toute façon, progressivement, à ce qu’il y ait deux États reconnus, en sécurité l’un et l’autre – c’est l’objectif de tout le monde sauf de M. Netanyahu. »
« Pourquoi est-ce que la France ne reconnaît pas d’ores et déjà un État palestinien ? L’Espagne y réfléchit », a déclaré M. Bourdin. « À titre personnel, je pense qu’il faudrait le faire », a répondu M. Le Drian. « Je pense qu’il faut poser des actes de ce type pour avancer en Israël. Alors, j’observe comme vous qu’il y a aujourd’hui quelques perturbations en Israël puisque Betty [sic Benny] Gantz a demandé qu’il y ait des élections anticipées. Peut-être qu’on est là à un tournant avec ces trois actions : à la fois ce drame des sept humanitaires américains [sic], à la fois cette intervention d’Israël en Syrie, et à la fois cette annonce d’un responsable important de la vie politique israélienne demandant des élections anticipées. Mais on ne peut pas continuer comme cela, et le grand gagnant de tout cela, aujourd’hui, c’est l’Iran. Parce que l’Iran a d’abord empêché, par l’action du Hamas, que l’Arabie saoudite reconnaisse Israël, normalise ses relations avec ce pays. Ça n’a pas marché. Ensuite, l’Iran a permis de mettre la question palestinienne au centre du débat. Ensuite, l’Iran a pu démontrer que, finalement, Israël n’était pas invincible. Il y avait des fragilités. Et ensuite, ils n’interviennent pas directement puisqu’ils utilisent des proxys divers et variés en mer Rouge. Heureusement pas pour l’instant le Hezbollah – j’espère que ça durera –, mais on voit bien aussi des forces pro-iraniennes en Irak qui interviennent, et tout cela risque d’aboutir à une escalade, une extension du conflit, ce qui est aujourd’hui le cas, donc il faut être extrêmement prudent, la situation est grave. »
« Donc il faut appeler à la création d’un État palestinien ? », a réagi l’animateur. « Il faut d’abord appeler au cessez-le-feu », a répété l’ancien ministre. Jean-Jacques Bourdin a ensuite rappelé que le Premier ministre espagnol appelait à un État palestinien. « Je sais, et les autorités américaines disent publiquement qu’il faut aller vers deux États », a répondu M. Le Drian. « Oui, deux États, mais d’ores et déjà aujourd’hui, à titre personnel, vous dites, ‘il faut un État palestinien’ », a dit M. Bourdin. « Je pense qu’il faudrait le reconnaître, à titre personnel », a dit M. Le Drian.
« La France livre des armes à Israël. Est-ce qu’il faut cesser ? », a ensuite dit M. Bourdin. « Oh, très peu », a répondu le responsable. « C’est très marginal, minuscule. » La réponse n’a pas semblé plaire à l’animateur non plus, qui en 2015 avait jugé bon de demander à l’antenne de RMC à Roland Dumas si Manuel Valls, à l’époque Premier ministre, était sous « influence juive ». Le présentateur de Sud Radio a ensuite abordé le sujet de la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU demandant un embargo sur les armes pour Israël – un texte présenté par 55 pays membres de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI), ce que Bourdin n’a pas semblé bon de rappeler. « Oui, et il y a une initiative française pour renforcer la procédure que je viens de vous indiquer qui consiste à dire cessez-le-feu, ouverture humanitaire, libération des otages et engagement d’un processus politique. Je pense qu’il y a beaucoup d’acteurs qui y sont prêts, et il faut maintenant que les Israéliens sortent de leur isolement, parce qu’ils vont se mettre au ban de l’ensemble de la communauté internationale, ce qui n’était pas le but recherché. »
« Est-ce qu’il y a un risque de génocide à Gaza ? », a enfin demandé M. Bourdin. « Le mot génocide, il faut l’utiliser avec beaucoup de précautions, donc je ne l’utilise pas là », a conclu l’ancien ministre, avant que le sujet du Sénégal et de l’Afrique ne soit abordé.
La communauté internationale plaide pour la reconnaissance mutuelle par les Israéliens et les Palestiniens de deux États vivant en paix côte à côte. Près de 140 pays ont reconnu unilatéralement un État palestinien, mais aucun membre du G7 ne l’a fait.
En début de semaine, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez s’était dit décidé à ce que Madrid reconnaisse un État palestinien avant l’été.
Le 22 mars, en marge d’un sommet européen à Bruxelles, M. Sanchez et ses homologues irlandais, maltais et slovène avaient publié une déclaration commune dans laquelle ils se disent « prêts à reconnaître la Palestine » lorsque « cela peut apporter une contribution positive » à la résolution du conflit israélo-palestinien « et que les circonstances sont réunies ».
En février, le président français Emmanuel Macron avait déjà indiqué que la reconnaissance d’un État palestinien n’était « pas un tabou ».
La guerre dans la bande de Gaza a été déclenchée par une attaque barbare sans précédent du groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre qui a causé la mort de près de 1 200 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP réalisé à partir de chiffres officiels israéliens.
Israël a lancé en représailles une opération militaire dans la bande de Gaza qui a fait près de 33 000 morts, d’après le ministère de la Santé du Hamas. Les chiffres avancés par la branche palestinienne des Frères musulmans sont invérifiables et ne font pas de distinction entre civils et terroristes.