Haredim: l’emploi des hommes stagne ; l’écart de revenus avec le reste des Israéliens se creuse
Parallèlement à l'agitation suscitée par les faibles taux d’enrôlement, l'Institut israélien de la démocratie s'alarme de l'intégration limitée des ultra-orthodoxes sur le marché du travail
Selon une étude publiée mercredi par l’Institut israélien de la démocratie (IDI), le taux d’enrôlement des hommes ultra-orthodoxes – ou haredim – est en baisse, la croissance de leur emploi est au point mort et l’écart de revenus entre cette communauté et le reste de la population s’est creusé.
Ces tendances, si elles se poursuivent, auront des répercussions considérables sur l’armée et l’économie israéliennes, a déclaré Gilaad Malach, de l’IDI, qui a rédigé le rapport en collaboration avec Lee Cahaner.
« Afin de maintenir la même qualité de sécurité et de développement économique, la population laïque devra supporter une plus grande part du fardeau [mot utilisé pour parler du service militaire en Israël] », a déclaré Malach.
« Cela s’est manifesté dans le discours public sur le service militaire, mais il en va de même dans le domaine économique. Si une population est moins intégrée, l’autre devra donner davantage. »
Les données préliminaires pour 2024, basées sur les données fournies par le Bureau central des statistiques (CBS), font état d’une stagnation à long terme de la croissance de l’emploi chez les hommes haredim, avec un léger fléchissement l’année dernière.
54 % des hommes ultra-orthodoxes avaient un emploi au cours des trois premiers trimestres de 2024, contre 55,5 % en 2023. Après une hausse significative au début des années 2000, les chiffres oscillent entre 50 % et 55 % depuis plus d’une décennie, contre environ 85 % dans la population non haredi.
Pour les femmes, les taux d’emploi ont augmenté régulièrement, passant de 71 % en 2015 à 81 % en 2023. Cependant, les données préliminaires pour les trois premiers trimestres de 2024 montrent un taux de 80 %, ce qui pourrait indiquer une stabilisation ou une stagnation. Le taux d’emploi des femmes laïques est, quant à lui, de 83 %.
En janvier 2024, les chercheurs ont noté une augmentation « spectaculaire » de 8,5% du nombre de célibataires étudiant en yeshiva âgés de 18 à 23 ans par rapport au même mois en 2023, ce qui représente le double de la croissance de la population haredi pour la même période et la plus forte augmentation en un an des étudiants en yeshiva depuis 2015.
Malach et Cahaner ont déclaré que cette augmentation pourrait imputable au retour des partis politiques haredim dans la coalition gouvernementale et de l’augmentation conséquente de 55 % du soutien financier de l’État aux yeshivot.
Entre 2013 et 2023, le nombre total d’étudiants en yeshiva, mariés ou non, a augmenté de 83 % pour atteindre 169 366, tandis que le nombre d’hommes haredim incorporés chaque année dans l’armée israélienne a chuté de 36 % pour atteindre 1 266.
Selon Malach et Cahaner, le service militaire est un « phénomène marginal » pour les ultra-orthodoxes.
Depuis le 7 octobre 2023, Israël mène une guerre sur plusieurs fronts, la plus longue de son histoire, qui met à rude épreuve l’armée permanente et les réservistes.
La communauté haredi, qui cherche à préserver son identité unique par l’auto-ségrégation, a jusqu’à présent résisté aux tentatives d’enrôlement des hommes ultra-orthodoxes en âge de servir dans l’armée.
Mais un arrêt de la Haute Cour de justice, rendu l’année dernière, déclarant qu’il n’y avait pas de base juridique pour éviter l’enrôlement des hommes haredim, a poussé le gouvernement à se démener pour trouver une solution, la pression publique augmentant pour exiger que la communauté ultra-orthodoxe partage le fardeau du service national.
« Les ménages haredim paient un tiers de l’impôt sur le revenu, de l’assurance nationale et de l’assurance maladie que paient les ménages non haredi, bien que le ménage haredi moyen soit 1,5 fois plus grand », a expliqué Malach.
Le ménage laïc moyen dépense chaque mois 4 496 shekels en impôts et paiements à l’État, soit le triple des 1 469 shekels dépensés par le ménage ultra-orthodoxe moyen.
« Cela signifie que les autres devront payer davantage. S’ils ne représentent que 10 % de la population, c’est une chose. Mais s’ils représentent 15 ou 20 % de la population, c’est tout autre chose. »
La population ultra-orthodoxe d’Israël, qui connaît une croissance rapide, compte 1,39 million de personnes, soit 13 % de la population, et devrait représenter 16 % de la population d’ici à 2030. Bien que le taux de fécondité des haredim soit en baisse, il reste plus de deux fois supérieur à celui des laïcs, ce qui signifie que les haredim représenteront un pourcentage de plus en plus important de la société dans les années à venir, si le taux de fécondité reste le même.
Actuellement, un enfant sur cinq, du CP à la terminale, scolarisé dans les écoles israéliennes est issu de familles haredim, et ce chiffre s’élève à un sur quatre si l’on ne prend en compte que les écoles juives.
Malach a déclaré au Times of Israel que ce que le rapport de l’IDI révélait d’important, c’est qu’au cours de la dernière décennie, il n’y avait pas eu de progrès significatif dans l’intégration des hommes ultra-orthodoxes dans l’économie traditionnelle.
« Il est vrai que de nouvelles voies ont été créées pour les hommes haredim qui permettent d’obtenir des résultats de qualité, à commencer par les écoles élémentaires publiques pour haredim qui enseignent des niveaux élevés de mathématiques, de sciences et d’anglais à environ 8 % de la population haredi masculine ; et les yeshivot, qui sont fréquentées par un pourcentage similaire de la population haredi, qui poursuivent ensuite des études universitaires et une formation technologique », a-t-il rappelé.
« Mais en fin de compte, la grande majorité des hommes haredim ne sont pas inscrits dans ces filières et apprennent donc un peu d’anglais et de mathématiques en primaire, puis rien du tout au lycée. Ils vont ensuite au kollel ou dans des cadres éducatifs pour adultes [où seule la Torah est enseignée] et enfin, lorsqu’ils terminent leurs études, ils finissent par gagner seulement 49 % [des salaires des] non-haredim parce qu’ils n’ont pas la formation nécessaire. »
Au cours de l’année scolaire 2023- 2024, 17 400 étudiants ultra-orthodoxes étaient inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur, soit une hausse de 4 % par rapport à l’année précédente et représentant 5 % du nombre total d’étudiants dans l’enseignement supérieur.
Les hommes haredim manquent de connaissances en mathématiques et en sciences et accèdent plus difficilement aux établissements d’enseignement supérieur, tandis que les femmes se heurtent à des barrières culturelles qui les empêchent d’accéder aux établissements d’enseignement supérieur pour y suivre des cursus en sciences et en ingénierie.
En 2022, le ménage haredi moyen avait un revenu mensuel de 14 816 shekels, soit seulement 67 % du revenu du ménage non haredi moyen, et dépensait 15 190 shekels, soit un déficit net de 400 shekels par mois. Cet écart était financé soit par un prêt en cours, soit par un découvert. L’écart entre les revenus et les dépenses peut également résulter de revenus non déclarés.
L’homme ultra-orthodoxe moyen gagne un revenu brut de 9 929 shekels par mois, soit moins de la moitié de ce que gagne son homologue non haredi, qui touche en moyenne 20 464 shekels. La femme ultra-orthodoxe moyenne gagne 8 617 shekels par mois, soit 67 % du revenu moyen d’une femme laïque.
Selon les chercheurs, le manque de connaissances en mathématiques, en sciences et en anglais des hommes ultra-orthodoxes se traduit par des revenus nettement inférieurs à ceux des hommes non haredim. En revanche, les femmes ultra-orthodoxes, qui reçoivent une éducation dans des matières profanes, sont moins susceptibles de poursuivre des études supérieures, ce qui a un impact négatif sur leurs niveaux de revenus.
30 % des hommes ultra-orthodoxes travaillent dans l’éducation, contre 4,5 % des hommes non haredim, tandis que 3,5 % seulement travaillent dans la haute technologie, contre 20 % des hommes non haredim. 40 % des femmes ultra-orthodoxes travaillent dans l’éducation, contre 16 % des femmes non haredim, et 4,5 % des femmes ultra-orthodoxes travaillent dans la high-tech, contre 9 % des femmes non haredim.
Un autre facteur ayant un impact négatif sur les niveaux de revenus des hommes et des femmes est le fait qu’ils ont tendance à travailler moins d’heures par semaine en moyenne.
Reflétant une forte éthique de l’accession à la propriété, 78 % des haredim sont propriétaires de leur logement, avec ou sans prêt immobilier, contre 73 % pour les non-haredim. De plus, un pourcentage plus élevé d’ultra-orthodoxes achète des maisons dans des zones moins centrales où les prix sont moins élevés.
« Le niveau de vie des haredim s’est légèrement amélioré, comme en témoignent les pourcentages plus élevés de propriétaires de maisons et de voitures, la diminution des niveaux de pauvreté et l’augmentation de l’utilisation d’Internet », ont déclaré Malach et Cahener.
« Cette augmentation est principalement le résultat d’un taux d’emploi plus élevé chez les femmes ultra-orthodoxes. Dans le même temps, de nombreux ménages haredim sont financièrement instables et le taux de pauvreté parmi les ultra-orthodoxes reste élevé. »