HonestReporting dit n’avoir fait que « soulever des questions »
Le groupe de veille israélien avait insinué que les photographes travaillant avec les médias pouvaient avoir eu connaissance au préalable de l'attaque qui a fait 1 200 morts en Israël
Le directeur exécutif du groupe de veille israélien HonestReporting, qui consacre ses activités aux médias, a indiqué jeudi qu’il n’avait fait que « soulever des questions » lorsqu’il s’était inquiété de la possibilité que les photographes ayant couvert l’assaut dévastateur perpétré par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre, aient été informés au préalable de sa planification. Ces photojournalistes indépendants avaient alors envoyé certaines des premières images de l’attaque.
L’article qui avait été écrit par HonestReporting avait eu toutefois des conséquences déterminantes en période de guerre – avec notamment un ministre et un député qui avaient laissé entendre que des journalistes pourraient être tués s’il s’avérait qu’ils avaient eu connaissance de l’assaut au préalable et qu’ils n’avaient rien fait pour empêcher le désastre.
Plusieurs médias de tout premier plan – CNN, le New York Times, l’Associated Press et Reuters — avaient émis des communiqués, jeudi, démentant avec vigueur avoir été avertis de ce qui allait se passer.
HonestReporting, qui se présente comme une organisation consacrant ses activités à lutter contre la désinformation sur Israël et sur le sionisme, n’avait pas accusé de manière spécifique ces noms déterminants du monde des médias.
L’organisation avait toutefois suggéré que les photojournalistes indépendants dont ils avaient utilisé le travail, ce jour-là, pouvaient avoir su que l’assaut allait se dérouler.
Dans un article écrit pas l’organisation, HonestReporting s’était interrogé : « Est-il concevable de présumer que des ‘journalistes’ ont soudainement fait leur apparition à la frontière, en tout début de matinée, sans coordination préalable avec les terroristes ? Ou est-ce que cela faisait partie du plan ? »
Gil Hoffman, directeur exécutif de HonestReporting et lui-même ancien reporter, a admis jeudi que le groupe n’avait aucune preuve venant soutenir cette suggestion.
Il a ajouté avoir été satisfait des explications données par les journalistes interpellés, qui ont affirmé ne rien avoir su avant les faits.
« Ces questions étaient légitimes », a commenté Hoffman.
Il a ajouté que malgré le nom porté par l’organisation, « nous ne prétendons pas être une agence de médias ».
Hoffman a fait savoir à Reuters que HonestReporting n’avait pas formellement accusé l’agence d’avoir eu connaissance de l’assaut meurtrier au préalable.
« Je me suis senti tellement soulagé quand les quatre médias m’ont dit qu’ils n’en avaient pas été informés », a déclaré Hoffman lors d’un entretien téléphonique au sujet de l’article écrit par l’organisation.
« Nous avons soulevé des questions, nous n’avons pas apporté de réponse », a-t-il ajouté. « Je crois encore fermement que ces questions étaient légitimes et que les réponses apportées par les médias mis en cause ont été appropriées ».
En réponse aux propos qui ont été tenus par Hoffman, Reuters a émis un communiqué fustigeant « l’irresponsabilité » de la publication, par HonestReporting, « d’accusations aussi préjudiciables ».
« Le directeur-exécutif [de HonestReporting] a reconnu qu’il n’y avait aucune preuve venant soutenir les insinuations incendiaires présentées dans l’article », a écrit l’agence de presse. « Les spéculations sans aucun fondement faites par HonestReporting, qui ont été présentées comme ‘soulevant des problèmes éthiques’, posent de graves risques pour les journalistes de la région et notamment pour ceux qui travaillent pour Reuters ».
« Le gouvernement israélien et d’autres ont choisi d’amplifier les insinuations sans fondement de HonestReporting. HonestReporting doit assumer les responsabilités de la désinformation qui a suivi et du risque que ses accusations incendiaires ont fait courir aux journalistes qui travaillent sur ce conflit, ainsi qu’à leurs conséquences en matière de réputation », a continué Reuters.
Reuters avait utilisé les photos prises par Mohammed Fayq Abu Mostafa et par Yasser Qudih, deux travailleurs indépendants avec lesquels l’agence collaborait pour la première fois.
La première photo avait été publiée plus de 45 minutes après que des terroristes ont franchi la frontière sous couverture de tirs de barrage de roquette, a noté l’agence de presse.
Le New York Times a indiqué que Yousef Masoud, dont les clichés d’un tank israélien capturé par le Hamas ont été utilisés par le journal et par l’AP, ignorait tout de l’assaut.
Ses premières images, ce jour-là, avaient été prises 90 minutes après le début de l’attaque meurtrière.
Le journal a ajouté qu’il n’y avait « aucune preuve » soutenant les insinuations du groupe de veille à l’égard de Masoud, estimant que l’accusation laissant entendre que des employés du journal, quels qu’ils soient, aient eu connaissance de l’assaut ou aient accompagné le Hamas était « mensongère et scandaleuse », faisant courir un risque aux journalistes en Israël et à Gaza.
Se rendre dans les zones de conflit place déjà les photojournalistes dans une situation de risque, a fait remarquer le journal.
« C’est le rôle essentiel d’une presse libre en temps de guerre », a fait savoir le Times dans une déclaration. « Nous sommes très inquiets face à des accusations sans fondement et face aux menaces faites aux travailleurs indépendants, qui ne peuvent que les mettre en danger et qui sapent leur travail au service de l’intérêt public ».
« C’est irresponsable de faire ces accusations et de faire courir un risque à nos journalistes qui sont sur le terrain en Israël et à Gaza », a continué le journal.
L’Associated Press, de son côté, a indiqué « ne pas avoir été informée de l’attaque du 7 octobre au préalable. Le rôle de l’AP est de rassembler des informations sur l’actualité, dans le monde entier, où qu’elle survienne, même quand les événements sont terribles et qu’ils entraînent un nombre massif de victimes ».
« L’AP utilise des images prises par des travailleurs en free-lance partout dans le monde et c’est également le cas à Gaza », a précisé l’agence de presse.
Il était clair, ce matin-là, avec le premier lancement de missiles émanant de Gaza vers Israël, que quelque chose de grave était en train de se produire, a commenté Julie Pace, vice-présidente et directrice-exécutive de l’AP.
« C’était une situation qui évoluait très rapidement dans un tout petit territoire », a-t-elle continué.
« Nous avons mené un processus de rassemblement d’informations très habituel lorsqu’un gros événement, un moment important, est en train de se dérouler sur le terrain, que nous devons découvrir de quoi il s’agit pour en informer le monde », a-t-elle ajouté. Une partie de ce travail implique de répondre aux appels des journalistes free-lance qui ont des photos et des vidéos à offrir.
En plus de Masoud, l’AP a utilisé, ce jour-là, les photos de Hassan Eslaiah, d’Ali Mahmoud et de Hatem Ali.
L’AP et CNN ont fait savoir qu’ils ne travailleraient plus avec Eslaiah après la publication d’une photo par HonestReporting le montrant en compagnie du leader du Hamas Yahya Sinwar, qui l’embrasse sur le cliché.
In the hours following our expose, new material is still coming to light concerning Gazan freelance journalist Hassan Eslaiah whom both AP & CNN used on Oct. 7.
Here he is pictured with Hamas leader and mastermind of the Oct. 7 massacre, Yahya Sinwar. https://t.co/S9pXeIGaFq pic.twitter.com/RmEZU5RsM8
— HonestReporting (@HonestReporting) November 8, 2023
Alors qu’il est difficile de dire quand la photo a été prise, elle semble toutefois être antérieure à l’attaque du 7 octobre.
Le journaliste de la Douzième chaîne Amit Segal a publié une photo sur X (anciennement Twitter) extraite de la page Facebook d’Eslaiah qui montrerait ce dernier sur une moto en Israël avec une grenade à la main.
Eslaiah a indiqué au Times que s’il était, en effet, revenu en moto au sein de la bande de Gaza, ce n’était pas lui qui tenait l’arme.
Yo, @AP, @Reuters, @cnn – what your freelancer in Gaza Hassan Eslaiah is doing on a motorbike with a grenade, on his way to the massacre of women and babies? Is a grenade part of the equipment you provide? pic.twitter.com/jU85KEo7Ec
— עמית סגל Amit Segal (@amit_segal) November 9, 2023
Les noms de plusieurs photographes ont depuis été supprimés des images de l’attaque dans la base de données de l’AP (au moment de la rédaction de cet article, celui d’Eslaiah a été supprimé de la base de données de l’AP sur la photo en tête de cet article et sur d’autres prises par le photojournaliste le 7 octobre).
Hoffman a indiqué que « certains, qui répondent à un agenda politique » ont donné une mauvaise image de HonestReporting.
« Ils ont agi comme si nous énoncions des faits, comme si nous ne nous contentions pas de poser des questions », a-t-il ajouté.
Alors que l’attention se porte largement sur les actions militaires à Gaza, Hoffman a indiqué que son groupe voulait encore mettre en exergue le massacre commis le 7 octobre dans le sud d’Israël, qui a fait 1 200 morts, des civils en majorité. Les terroristes ont aussi enlevé 240 personnes qui sont actuellement retenues en captivité dans la bande de Gaza.
« Nous avons soulevé des questions et cela a amené les médias à établir clairement la vérité », a-t-il continué. « Formidable, c’est justement notre travail ».
Toutefois, ces « questions soulevées » auront entraîné les accusations et les mises en garde de membres du gouvernement et de politiciens à l’encontre des médias.
Le Système d’information national, un département dépendant du Bureau du Premier ministre, avait ainsi fait savoir dans un communiqué émis jeudi qu’il prenait « très au sérieux le fait que des journalistes travaillant pour les médias internationaux auraient rejoint les attaquants pour couvrir les massacre brutaux du Hamas commis le 7 octobre dans les communautés frontalières de Gaza ».
Il avait précisé que le service de presse du gouvernement « a envoyé en urgence un courrier aux responsables des médias qui emploient ces photographes, une lettre qui demande des éclaircissements sur le sujet ».
Néanmoins, en l’absence de réponse, il avait noté que « ces médias se rendront complices de crimes contre l’Humanité ».
Benny Gantz et le député du Likud Danny Danon, membres du cabinet de guerre, avaient condamné les journalistes susceptibles d’avoir été au courant de l’assaut avant qu’il ne se produise et ils avaient émis des mises en garde.
Gantz avait écrit sur X que « les journalistes dont il s’avèrera qu’ils avaient été informés du massacre – et qui ont pourtant choisi de ne rien faire alors que des enfants étaient massacrés – ne seront pas différents des terroristes et ils devront être traités comme tels ».
Danon avait, pour sa part, affirmé que les journalistes « ont pris part activement au massacre » du 7 octobre.
« Alors que le Hamas assassinait, qu’il violait, qu’il torturait, qu’il violentait avec brutalité les nôtres, ces photographes vils ne se sont pas arrêtés, ils ne se sont pas détournés, ils ne sont pas partis. Ils ont filmé et ils ont participé aux crimes », avait écrit Danon. « Nous les pourchasserons comme nous pourchassons les terroristes. »
Au moins 40 journalistes et employés des médias ont été tués dans la guerre opposant Israël et le Hamas jusqu’à présent, selon le Comité de protection des journalistes. C’est la période, en un mois, la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le groupe a lancé ses activités en 1992.
Le 7 octobre, 3 000 terroristes du Hamas avaient franchi la clôture frontalière qui sépare Israël de la bande de Gaza et ils avaient semé la désolation dans tout le sud du pays. Les hommes armés avaient pris le contrôle des communautés, massacrant environ 1 400 personnes – des civils en majorité – dans leurs habitations. Ils avaient tué 260 jeunes qui prenaient part à une rave-party organisée dans le désert. Ils avaient également enlevé au moins 240 personnes, qui sont depuis retenues en otage au sein de l’enclave côtière. Des centaines de cas de brutalité et de violences avaient été enregistrés.
Un grand nombre des attaquants avaient filmé leurs actes grâce à des bodycams et à des équipements vidéos divers et les images avaient été diffusées par le Hamas.
D’autres terroristes avaient filmé et retransmis en direct les atrocités sur les téléphones de leurs victimes, téléchargeant les images et les photos sur les pages de ces dernières, sur les réseaux sociaux.
L’attaque, qui avait commencé à environ 6 heures 30 du matin, s’était produite sous couvert de milliers de tirs de roquette en direction d’Israël. Elle aurait été planifiée dans le plus grand secret et seuls les commandants du Hamas auraient connu son ampleur et sa portée avant qu’elle ne soit déclenchée.
La Douzième chaîne a affirmé jeudi que les photographes cités par HonestReporting n’avaient pas été là à 6 heures 30 du matin, quand la clôture frontalière avait été détruite à plusieurs endroits « et ils n’étaient apparemment pas là dans la première vague qui a suivi l’incursion des terroristes sur le sol israélien ».
Stuart Winer et l’AFP ont contribué à cet article.