Impossible de garder la politique à l’écart de « l’armée du peuple »
Le ministre de la Défense avait brièvement perdu son poste pour avoir évoqué, en mars, la fracture entraînée par la refonte judiciaire. Il ne veut pas le refaire - mais il doit s'exprimer
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Dans une lettre qui a été envoyée mardi, le Lieutenant Colonel A., pilote actif au rôle de premier plan dans les rangs des réservistes de l’armée de l’air, a informé son commandant qu’il mettait, par la présente, un terme à son service volontaire. C’est « une décision personnelle », a-t-il déclaré et « ce n’est pas un appel au refus de service quel qu’il soit », a-t-il précisé. Il a expliqué que tout simplement, « c’est un groupe qui œuvre à démolir les fondations de la démocratie qui a dorénavant entre les mains » le pouvoir « d’ordonner l’usage de la puissance militaire » et qu’il « apparaît, en conséquence, que le contrat a été rompu et que nous avançons vers l’abîme ».
Le « contrat » auquel faisait référence le Lt. Col. A est celui qui est conclu entre l’État d’Israël et ses troupes – un accord, une sorte de pacte qui détermine qu’Israël impose un service militaire obligatoire aux jeunes hommes et aux jeunes femmes, exigeant ensuite de la part d’un grand nombre d’entre eux de continuer à officier dans les réserves actives qui sont (largement) déterminantes pour Tsahal. Dans certains cas, l’armée encourage même ses volontaires à rester plus longtemps dans les réserves – en particulier dans l’armée de l’air – si ces derniers y occupent des rôles importants, nécessitant de l’expertise. Et en échange, les recrues s’attendent – ce qui est raisonnable – à ce que le poids du fardeau soit réparti de manière égalitaire et que les actions qui leur seront confiées seront légales, morales, qu’elles seront réalisées au nom d’une nation qui s’enorgueillit d’être une démocratie.
Dans un discours prononcé devant les soldats de réserve, mardi soir, à l’occasion du 50e anniversaire de la guerre de Yom Kippour, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, s’est insurgé contre les appels croissants et menaçants des réservistes militaires à ne plus se présenter pour faire leur devoir de réserve en raison de leur opposition à la relance, par la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu, du plan prévoyant la refonte du système judiciaire israélien, ce projet très controversé qui est avancé par le gouvernement. De telles menaces, a-t-il dit, sapent « l’unité dans les rangs ; elles sont dangereuses et elles sont une récompense offerte à nos ennemis ». Il a ensuite supplié : « Je le demande aux personnalités publiques de droite et de gauche : Ne laissez pas la politique s’immiscer dans l’armée ».
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L’appel de Gallant a été indubitablement sincère – mais il manque sa cible. La politique ne peut pas être tenue à l’écart de l’armée. Les paramètres politiques qui encadrent les opérations d’Israël sont la base pour Tsahal : Israël possède « une armée du peuple », une force de combat qui repose sur le fait que les membres de la population sont prêts à risquer leur vie dans ses rangs au nom de la protection du pays. Si, comme c’est le cas aujourd’hui, une partie croissante des Israéliens craignent que le gouvernement abuse de cette acceptation tacite, de la part des citoyens, de mettre en péril leur existence pour la survie du pays, où s’ils craignent que le gouvernement s’apprête à le faire, qu’il s’apprête probablement à abuser du pouvoir exercé par nos militaires, alors oui, la question du contrat auquel fait référence le Lt. Col. A. est remise en question.
Sur la ligne de front
Ce n’est pas un hasard si des militaires vétérans – citons en particulier le mouvement Frères et soeurs d’armes, particulièrement remarquable – sont à l’avant-garde du mouvement de protestation contre la tentative livrée par le gouvernement Netanyahu d’obtenir une quasi-toute-puissance en réduisant au silence le système judiciaire.
La nomination d’Itamar Ben Gvir, un homme violent, provocateur, à un poste d’autorité sur une partie des forces armées dans le cadre de sa fonction de ministre de la Sécurité régionale, avait inquiété le chef d’état-major sortant, Aviv Kohavi, qui avait ouvertement fait part de ses préoccupations et qui avait clairement établi qu’il ne permettrait pas aux forces de la police des frontières placées sous le contrôle de Ben Gvir d’être déployées en Cisjordanie.
Le choix, par le Premier ministre, de Bezalel Smotrich, qui avait été soupçonné par la justice de terrorisme juif dans le passé, une personnalité ouvertement homophobe, anti-arabe assumée, au poste de ministre des Finances et au poste de ministre subalterne au sein du ministère de la Défense avait entraîné, de la même manière, la consternation – un désarroi qui s’était encore renforcé quand Smotrich avait appelé à « anéantir » le village palestinien de Huwara après des attentats palestiniens meurtriers qui avaient été commis par des terroristes qui étaient originaires du secteur (Smotrich avait ultérieurement présenté ses excuses).

Ces deux ministres (le premier avait été considéré comme trop dangereux pour être enrôlé dans l’armée dans sa jeunesse et le second a reporté son service militaire de manière répétée, ne faisant qu’un passage éclair au sein de Tsahal en conséquence) sont aujourd’hui à la tête du groupe qui, selon le Lt. Col. A., détient « le pouvoir d’ordonner l’usage de la puissance militaire » tout en « œuvrant à démolir les fondations de la démocratie ».
Lors d’une réunion, lundi, avec le commandant de l’armée de l’air, Tomer Bar, les représentants d’un groupe constitué de plusieurs centaines de pilotes réservistes auraient, paraît-il, été plus directs et plus lapidaires encore. Mettant en garde Bar contre des refus massifs de militaires déterminés à ne pas se porter volontaires au service, ils lui auraient dit que « nous avons juré de servir le royaume, nous n’avons pas juré de servir le roi ».

La neutralisation des capacités de la Haute-cour et la destruction de son indépendance – qui sont les objectifs poursuivis par la coalition de Netanyahu avec son plan de refonte radicale du système de la justice israélien – auraient un impact personnel sur ces membres des forces armées israéliennes et sur tous les autres. Un impact qui se ferait ressentir indépendamment de leur grade et jusqu’au plus haut rang, un impact qui toucherait aussi leurs superviseurs politiques dans la mesure où le système judiciaire du pays, respecté à l’international, a jusqu’à présent protégé l’armée d’une trop grande attention portée par des tribunaux hostiles, qui veulent et qui cherchent à poursuivre l’État juif pour crimes de guerre.
Mais ces inquiétudes toutes personnelles ne figurent pas en tête des préoccupations des réservistes, des volontaires et des anciens militaires, hommes et femmes, qui se trouvent sur la ligne de front de l’opposition au projet de refonte du système de la justice israélien. Ce qui les inquiète, c’est plutôt leur crainte de risquer leur vie aux côtés de leurs camarades et de prendre des vies lors d’opérations défensives et offensives contre les ennemis d’Israël, au nom d’un Israël qui ne serait plus lié à la vision morale et équitable qui avait été établie dans la Déclaration d’Indépendance.

Cela fait longtemps que l’égalité face au fardeau militaire est morte et enterrée alors que la majorité des jeunes ultra-orthodoxes et des jeunes Arabes sont exemptés du service militaire ou du service national. Une fois les juges réduits à l’impuissance, le gouvernement Netanyahu a bien l’intention, et il ne l’a pas caché, d’ancrer cette inégalité dans la loi, de l’élargir. La moralité du service, craignent ces Israéliens à juste titre, est également menacée au vu des positionnements adoptés par Ben Gvir et Smotrich et par la tolérance, l’indulgence des autres membres de la coalition face à ces positionnements – qu’ils soutiennent également dans de nombreux cas. Le mépris affiché à l’égard des manifestants, tel qu’il a pu se manifester dans les déclarations faites par des membres du parti du Likud de Netanyahu – de la part de David Amsalem et Shlomo Karhi, par exemple – ne fait qu’exacerber leurs inquiétudes.
Il est impossible « d’exiger » la cohésion dans les rangs
Personne ne reconnaît mieux que Gallant l’impact toxique, au sein de l’armée, de la fracture nationale rendue béante par le plan de refonte du système judiciaire. Et personne n’a une responsabilité plus grande de tenter de guérir cette fracture (personne à part le Premier ministre, autrement dit).
Gallant avait mis en jeu sa fonction, au mois de mars, en s’inquiétant ouvertement de ce que les divisions avaient pénétré en profondeur les forces armées qu’il était chargé de superviser, ce qui posait « une menace claire, immédiate et tangible pour la sécurité de l’État ». Des changements significatifs, dans une nation, « se réalisent par le biais du dialogue », avait-il fait remarquer, recommandant vivement l’arrêt de l’avancée à un rythme effréné, à la Knesset, des législations du plan de refonte du système judiciaire et réclamant « un processus national porteur d’unité qui mènera à la réforme du système de la justice, avec une large participation… un processus qui renforcera l’État d’Israël et qui préservera la force de Tsahal ».
Netanyahu avait répondu à ce discours en limogeant Gallant – une initiative qui n’avait fait qu’intensifier le mouvement national de protestation, qui avait aussi entraîné la peur dans certains rangs de la coalition et qui avait finalement abouti sur la mise en pause temporaire du plan controversé. Aujourd’hui, trois mois et demi plus tard, nous nous retrouvons au même point – avec la relance des projets de loi et une fracture au sein de l’armée plus ouverte que jamais, mais avec un Gallant qui a repris ses fonctions et qui, jusqu’à présent, n’a pas affiché de volonté de tirer à nouveau la sonnette d’alarme.

L’actuel chef d’état-major, Herzi Halevi, a affirmé dimanche, de son côté, que les réservistes « n’ont pas le droit » de refuser de se présenter au service. « La période que nous traversons nécessite que nous nous concentrions sur notre mission sécuritaire, sur la cohésion qui la sous-tend, de manière à ce que nous puissions être prêts à relever les défis qui se présentent dans toutes les arènes », a indiqué Halevi dans un discours.
Mais lui aussi a manqué la cible – en toute connaissance de cause.
Vous ne pouvez pas, général Halevi, exiger simplement « la cohésion » dans les rangs. Et vous ne pouvez pas, M. Gallant, laisser la politique – pas en ce qui concerne cet élément déterminant que sont les cadres et les orientations politiques fondamentales d’Israël – à la porte de l’armée du peuple.
Le ministre de la Défense le savait, au mois de mars, lorsqu’il s’était exprimé avec des mots courageux, essentiels, pour encourager le dialogue et le consensus. Et il le sait pertinemment aujourd’hui alors que le dialogue et le consensus sur la gouvernance, l’ethos et l’orientation d’Israël sont, une fois encore, au cœur de l’attention.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel