Inclusion et handicap : La Fondation Ruderman retire ses financements
Certains s'inquiètent de ce désengagement du plus important donateur du monde juif dans le secteur du handicap - même si les experts disent que d'autres sources seront bénéfiques

JTA — Pour une grande partie du monde juif, la Fondation de la famille Ruderman est synonyme d’initiatives visant à renforcer l’inclusion des Juifs handicapés.
Basée à Boston mais active dans l’ensemble des Etats-Unis et en Israël, la Fondation a investi environ 75 millions de dollars au cours des 18 dernières années pour soutenir l’inclusion. Ce mois-ci seulement – c’est le mois de la sensibilisation, de l’acceptation et de l’inclusion des personnes en situation de handicap au sein de la communauté juive – la Fondation aurait parrainé une lecture virtuelle de livre pour enfants avec le mouvement Habad et elle aurait collaboré avec la fédération juive de Boston pour rendre les synagogues plus accueillantes pour les personnes en situation de handicap.
Mais aujourd’hui, l’avenir de telles initiatives – et celui des 160 millions de dollars d’actifs de la Fondation – est incertain. Si ses soutiens affirment que la Fondation Ruderman a changé le discours sur le handicap dans le monde juif, l’institution elle-même a pris la décision de mettre un terme à ses dons concernant les problématiques liées à l’inclusion.
La fondation familiale avait annoncé ce changement dans un communiqué de presse émis au mois de septembre qui n’avait attiré que peu l’attention. Elle avait noté que ses investissements avaient payé et que sa mission initiale, qui visait à amorcer un processus qui permettrait un changement social, avait été accomplie.
« Nous avons eu le sentiment, quand nous avons pris la décision de faire notre transition vers notre prochain objectif, que nous devions le faire de manière stratégique et transparente », a déclaré à la JTA Jay Ruderman, président de la Fondation. « Cette annonce a eu lieu pour faire savoir à la communauté que nous avions eu le sentiment que nous étions arrivés à un tournant et que nous avions obtenu certains succès dans notre champ d’activités ».
Et ces réussites sont flagrantes pour de nombreux acteurs du secteur.

« Il faut attribuer un énorme mérite à la famille Ruderman s’agissant de la mise en exergue de la question de l’inclusion du handicap au sein de la communauté juive », commente pour sa part Jennifer Laszlo Mizrahi, présidente de RespectAbility, un groupe de défense des personnes en situation de handicap. « Elle a accompli un travail exceptionnel et créé de nombreuses opportunités de leadership et de services ».
En même temps, continue Mizrahi, la décision prise par la fondation de se retirer entraîne de l’incertitude pour les nombreuses personnes ayant bénéficié d’un emploi ou d’un soutien essentiel grâce à ces initiatives financées par la Fondation.
« Aujourd’hui, on est inondés de courriels provenant de Juifs en situation de handicap qui veulent encore que la Fondation conserve son implication et qui veulent être soutenus, ainsi que venant de professionnels qui souhaitent continuer à promouvoir l’inclusion », ajoute Mizrahi.
Des dizaines d’organisations juives ont bénéficié des dons de la Fondation, ce qui signifie que l’impact du changement de direction de Ruderman pourrait être généralisé.
Au sein du mouvement massorti, par exemple, le travail sur le handicap s’est fortement développé il y a environ six ans avec l’aide de la famille Ruderman. Des dizaines de congrégations ont été orientées sur les travaux à réaliser pour mettre en conformité leurs entrées et leurs toilettes, et des rabbins se sont engagés à évoquer les questions relatives au handicap lors de leurs offices. Le groupe United Synagogue of Conservative Judaism a même fait appel à une éducatrice reconnue et qui est devenue sa toute première spécialiste de l’inclusion.

Mais avec l’arrêt des dons de la Fondation Ruderman, le poste n’existe dorénavant plus. Jennifer Gendel, qui l’occupait, a refusé de répondre à nos questions comme cela a été le cas également de United Synagogue – le groupe s’est contenté de nous transmettre une brève déclaration faite par le rabbin Joshua Rabin, qui supervisait les initiatives liées aux personnes en situation de handicap dans le passé et qui est maintenant un dirigeant du bureau de l’engagement des adolescents au sein de la communauté.
« Comme c’est le cas de toutes les organisations qui dépendent d’un financement de la part d’une Fondation, parfois, ces fonds s’arrêtent et ils sont redirigés ailleurs », a dit Rabin dans sa déclaration. « Et nous faisons de notre mieux pour lever des fonds auprès d’autres sources pour ce travail incroyablement important ».
Parce que les destinataires des subventions et autres dons dépendent des priorité des donateurs – ce qui est une aubaine quand les priorités se chevauchent et ce qui peut entraîner une crise quand ce n’est pas le cas – le secteur philanthropique a développé des normes autour des transitions.
En règle générale, si un financeur quitte un secteur d’intervention précis, la manière la plus responsable de le faire est d’en faire très largement part au préalable et avec un maximum de transparence
En règle générale, si un financeur quitte un secteur d’intervention précis, la manière la plus responsable de le faire est d’en faire très largement part au préalable et avec un maximum de transparence », dit Phil Buchanan, président du Center for Effective Philanthropy. « Les gens changent de priorité et réduisent progressivement leurs apports en permanence – ce n’est pas, en soi, une mauvaise chose. L’important, c’est de le faire de manière responsable. »
Ruderman explique qu’il n’est pas inquiet concernant l’avenir du travail qui a été financé grâce à la Fondation familiale. Il suggère que de l’aide peut être trouvée dans d’autres fondations et même à travers le crowdsourcing, même s’il n’entre pas dans les détails.
« Je pense que la communauté est tellement importante que si vos programmes sont innovants et qu’ils sont nécessaires pour la communauté, alors vous parviendrez à trouver ce soutien », dit Ruderman. « Une fois qu’un programme est établi, qu’il devient une valeur centrale de la communauté, alors il est très difficile de mettre un terme à ces programmes ».

La Fondation avait été lancée dans les années 2000 par le père de Ruderman, Morton, qui avait fait fortune grâce à Meditech, en créant des logiciels pour l’industrie de la santé. Ce qui devait être alors dans un premier temps une contribution directe apportée aux écoles juives de la région de Boston s’était transformé lorsque Morton avait décidé de se consacrer aux enfants en situation de handicap pour leur permettre d’accéder à ces écoles.
Un partenariat avec le gouvernement israélien avait suivi dans le secteur du handicap – avec la mise en place de formations à l’emploi, des groupes de soutien et l’amélioration, dans ce dossier, de la coordination parmi les agences de service. La famille Ruderman avait financé des programmes et des bourses dans tous les Etats-Unis en s’engageant auprès de groupes variés, allant de Hillel au mouvement ‘Habad, en passant par les Fédérations juives d’Amérique du nord.
Mais quelques années après la mort de Morton, Jay Ruderman avait largement revu à la baisse ses financements en faveur de services directs offerts aux personnes en situation de handicap dans le monde juif. Il avait déclaré à la JTA, en 2017, que les progrès étaient trop graduels et que la fondation misait dorénavant sur une stratégie différente. Les Ruderman commençaient alors à se concentrer sur la sensibilisation dans le monde des loisirs et du sport, à l’extérieur du monde juif. Par le biais de prix décernés et de diverses récompenses, ils avaient distingué les studios de cinéma et les chaînes de télévision améliorant à l’écran la représentation des personnes en situation de handicap.

Jay Ruderman avait expliqué à la JTA qu’il y avait « un impact social plus grand » avec ce nouveau type de philanthropie.
« Cela me paraît bien plus excitant que de devoir traverser les complexités et le processus progressif visant à obtenir un emploi ou un logement pour quelqu’un », avait-il commenté.
Aujourd’hui, alors que la Fondation se livre, une fois encore, à un grand changement, Ruderman n’explique pas son état d’esprit de la même façon, qualifiant simplement le moment présent de tournant approprié.
Sa Fondation recherche des idées de causes à soutenir et à financer. Le public a jusqu’à la fin mars pour transmettre ses suggestions en termes de mission.
Selon les soutiens des personnes en situation de handicap, personne ne s’est consacré à cette problématique, dans le monde juif, comme a pu le faire Ruderman. Ils notent aussi que l’annonce faite par la Fondation est survenue dans le contexte d’une pandémie mondiale qui a perturbé les dynamiques de financement, renforcé les besoins dans le monde juif et au-delà, et exigé de revoir certaines stratégies d’inclusion à une période marquée par des communautés juives devenues virtuelles.

Ruti Regan, rabbin et activiste dans le secteur du handicap – elle est elle-même en situation de handicap – explique que les financements pour l’inclusion n’ont jamais atteint les niveaux appropriés, prédisant que cette réalité serait encore plus visible lors de la réouverture des synagogues et des écoles.
« Si notre communauté et nos institutions communautaires veulent être viables, nous allons devoir travailler tous ensemble autour du handicap et le faire vite parce qu’il va y avoir beaucoup de difficultés, le cas échéant », indique-t-elle.
Aujourd’hui, aucun financeur majeur n’a annoncé se présenter pour remplacer la famille Ruderman. Mais pour Matan Koch, ancien consultant de la famille de philanthropes et directeur actuel du leadership juif au sein de RespectAbility, un bon moyen de mesurer les réussites accomplies dans ce secteur serait de faire disparaître l’idée qu’un seul donateur serait amené à prendre en charge les questions relatives au handicap.
« Cela signifierait que l’accès et l’inclusion deviendraient une part régulière du financement d’événements juifs », explique-t-il.
Et selon des conversations que peut avoir Andrés Spokoiny, président et directeur-général du Jewish Funders Network, avec son entourage, il y a des raisons d’être optimiste. L’inclusion des handicapés, explique-t-il, est un sujet qui intéresse de nombreux donateurs.
« Ce n’est jamais une bonne chose qu’un secteur tout entier dépende d’un unique financeur », déclare-t-il. « Il y a de la sagesse dans ce retrait de la Fondation Ruderman, qui laissera ainsi d’autres entités ou personnalités émerger. Il y a aussi aujourd’hui une opportunité de réinitialiser le secteur ».
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