Irak : Des notables appellent à rejoindre les Accords d’Abraham
À la conférence d'Erbil, les participants ont aussi appelé à reconstruire des liens avec la diaspora juive, dépossédée de ses biens ; la normalisation reste un crime selon la loi

Dans un plaidoyer sans précédent en faveur de la réconciliation régionale, plus de 300 Irakiens de haut-rang ont appelé leur pays, vendredi soir, à normaliser les liens avec Israël.
« Nous demandons l’établissement de relations pleines et entières avec l’État d’Israël… et une nouvelle politique de normalisation basée sur les relations individuelles avec les citoyens de ce pays », a déclaré Wissam al-Hardan, qui avait commandé les milices tribales sunnites qui s’étaient alignées avec les États-Unis dans la lutte contre al-Qaida, en 2005, en réponse à la vacance de pouvoir qui avait suivi l’invasion américaine en 2003.
L’Irak est officiellement en guerre avec l’État juif depuis la fondation d’Israël en 1948. Les soldats irakiens ont participé à trois guerres successives contre le pays aux côtés des États arabes. Le programme nucléaire secret de Saddam Hussein avait mis Israël en état d’alerte, et le pays avait complètement détruit le réacteur Osirak en 1981. En 1991, le dictateur irakien avait envoyé des dizaines de missiles de type Scud en direction de Tel Aviv et de Haïfa, tentant d’attirer Israël dans la guerre du Golfe.
Lors de la conférence qui a eu lieu vendredi dans la région du Kurdistan, les participants irakiens ont appelé les leaders du pays à cesser la guerre et à rejoindre les dits « Accords d’Abraham ». Ces accords, qui ont été négociés par l’administration de l’ancien président américain Donald Trump, ont été signés à la Maison Blanche, au mois de septembre 2020, entre Israël, les Émirats arabes unis et le Bahreïn. Le Maroc et le Soudan ont ensuite signé des accords de normalisation avec l’État juif dans les mois qui ont suivi.
« Abraham, paix soit sur lui, a donné naissance à une nation qui a ouvert la voie à la paix. Aujourd’hui, nous, ses descendants des trois principales religions, avons la responsabilité d’aller jusqu’au bout de ce chemin », a commenté le major-général Amir al-Jubouri, ancien commandant de l’armée irakienne qui avait pris part à un coup d’État manqué contre Saddam Hussein en 1989.
Al-Hardan a établi une comparaison entre les États qui ont rejoint les Accords d’Abraham et « l’esprit des seigneurs de guerre et la dévastation » qui, selon lui, règnent ailleurs dans la région.
« Nous devons choisir entre la tyrannie et le chaos d’un côté et un axe émergent de légalité, de paix et de progrès de l’autre », a poursuivi al-Hardan.
Le rassemblement, qui a réuni des chefs de tribus chiites et sunnites, des activistes œuvrant pour la défense des droits sociaux et d’anciens commandants militaires, s’est déroulé à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Il a été organisé par un think-tank, le CPC (Center for Peace Communications) dont le siège est à New York et qui cherche à faire avancer les liens entre les Israéliens et le monde arabe.
D’autres participants de toute la région se sont exprimés par visioconférence lors de ce sommet, notamment l’ancien responsable émirati Ali al-Na’imi et Chemi Peres, fils de l’ancien président israélien Shimon Peres.
Les Kurdes irakiens, qui parlent le kurde et non l’arabe, se considèrent comme étant culturellement et nationalement distincts des autres Irakiens. Leur région bénéficie d’une certaine autonomie par rapport à Bagdad ; des Israéliens se rendent occasionnellement – et discrètement – dans le secteur.
La loi irakienne sanctionne toujours strictement les citoyens et les résidents qui maintiennent un contact avec des Israéliens. Pendant des décennies, s’associer aux « organisations sionistes » ou promouvoir « les valeurs sionistes » pouvait entraîner la peine capitale. Un amendement de 2010 avait modifié cet état de fait, mais de tels agissements restent passibles d’une peine de prison à vie.
Al-Hardan a critiqué avec forces ces lois en place, affirmant qu’elles violaient les droits fondamentaux des Irakiens.
« Les dites ‘lois anti-normalisation’ en Irak sont moralement répugnantes et ont été qualifiées par la communauté internationale, de manière répétée, d’agression à l’encontre des droits de l’Homme et à la liberté d’expression et d’association », a poursuivi al-Hardan.
Une communauté juive florissante a vécu pendant des siècles dans le pays, particulièrement dans la ville de Bagdad. Mais alors que la gouvernance militaire britannique s’est achevée en Irak et que l’État d’Israël esr né en Palestine mandataire, tout a commencé à changer.
Un pogrom terrible survenu en 1941 – connu en arabe comme le Farhud – a entraîné la mort de centaines de Juifs irakiens tués par leurs compatriotes à Bagdad. Cette attaque avait été lancée suite à des rumeurs qui avaient affirmé que les Juifs avaient aidé à reprendre le pouvoir en Irak après un coup d’État commis par des généraux irakiens pro-nazis.
Après la fondation d’Israël, en 1948, l’Irak a commencé à persécuter les Juifs qui étaient restés. Le gouvernement a fait du sionisme un délit, commençant à renvoyer les Juifs irakiens du service public en masse. D’autres Juifs irakiens ont été arrêtés et exécutés, soupçonnés d’espionnage.
Entre 1950 et 1952, plus de cent mille Juifs irakiens avaient émigré au sein de l’État juif dans le cadre de l’opération « Ezra et Nehemiah ». Seule une poignée de Juifs vit encore en Irak à l’issue de ces décennies de répression et de guerres.

Affirmant que l’expulsion des Juifs d’Irak a été « l’acte le plus tristement célèbre » dans le déclin du pays, Hardan a écrit dans une lettre ouverte publiée dans le Wall Street Journal vendredi, que le pays « devait se reconnecter avec toute notre diaspora et notamment avec ces Juifs ».
D’autres Irakiens ayant participé à la conférence, vendredi, ont vivement recommandé au pays de reconstruire ses liens avec celles et ceux qui sont arrivés au sein de l’État juif en fuyant les persécutions, ainsi qu’avec leurs descendants.
« Il y a encore de l’amour pour ces gens dans notre pays, ils y sont attendus et un grand nombre de leurs biens se trouvent encore en Irak », a commenté al-Juburi.
Selon Sahr al-Ta’i, une responsable culturelle irakienne qui a pris part à la conférence, plusieurs groupes de travail seront formés suite à la conférence et notamment des commissions qui œuvreront à améliorer les liens entre l’Irak et la diaspora juive, le commerce et les investissements, les réformes éducatives, et qui prôneront la disparition des lois anti-normalisation de l’Irak.
Les officiels irakiens ont déclaré que le pays ne normaliserait pas les liens avec Israël sans résolution juste et préalable de la question palestinienne. Mais en 2019, l’ambassadeur irakien aux États-Unis, Farid Yassin, a noté qu’il y avait des « raisons objectives » de mettre en place des liens entre les deux pays.
« Mais les raisons objectives sont insuffisantes », avait ajouté Yassin, soulignant qu’il y avait des raisons « émotionnelles et autres » qui rendaient l’ouverture de canaux de communication entre Jérusalem et Bagdad impossibles.
De nombreux Palestiniens s’opposent à la normalisation entre Israël et le monde arabe au sens large. Le dirigeant de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le groupe terroriste du Hamas ont qualifié les accords de normalisation qui ont été conclus l’année dernière de « trahison ».

La réponse serait probablement la même si, d’aventure, l’Irak devait décider de normaliser ses liens avec Israël – et même des activités similaires à la conférence de vendredi ont attiré une forte condamnation. Al-Ta’i a rejeté l’idée que la normalisation avec l’État juif signifiait abandonner les Palestiniens.
« Le projet de paix que nous adoptons ne contredit pas les intérêts des Palestiniens. Au contraire, nous considérons la paix comme le meilleur et comme le seul moyen d’aider les Palestiniens à construire des institutions étatiques et d’offrir de meilleures opportunités aux générations futures », a continué al-Ta’i.
« Aujourd’hui, Israël comme vous le savez, représente un pays fort et une partie inséparable du monde et des Nations unies. L’Irak ne peut négliger cette réalité et vivre isolé du monde », a-t-elle ajouté.