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Analyse

Iran : même l’uranium enrichi à 84 % ne suffit pas à pleinement mobiliser l’Occident

Le conseil d'administration de l'AIEA botte en touche alors que les responsables américains sondent le gouvernement de Netanyahu et sa détermination à frapper le programme nucléaire

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Une étudiante regarde les centrifugeuses construites dans le pays lors d'une exposition sur les avancées nucléaires de l'Iran à Téhéran, le 8 février 2023. (Crédit :  AP Photo/Vahid Salemi)
Une étudiante regarde les centrifugeuses construites dans le pays lors d'une exposition sur les avancées nucléaires de l'Iran à Téhéran, le 8 février 2023. (Crédit : AP Photo/Vahid Salemi)

Les hauts-responsables israéliens se rendent actuellement dans les capitales du monde entier pour tenter de rapprocher l’Occident du positionnement combatif adopté par Jérusalem face au programme nucléaire iranien.

Le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, et le conseiller à la Sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, ont rencontré lundi le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le Conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, à Washington pour discuter des avancées déterminantes survenues dans les activités nucléaires de l’Iran et pour réaffirmer la menace que représentent ces dernières pour la région.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, de son côté, continue sa tournée des capitales européennes. Il partira à Rome jeudi et à Berlin la semaine prochaine pour essayer de pousser l’Europe à signer enfin le certificat de décès des négociations sur l’accord sur le nucléaire iranien, le JCPOA (Plan d’action global commun), qui avait été signé en 2015.

Mais ces efforts livrés pour convaincre les alliés d’Israël de changer leur positionnement dans ce dossier seront probablement vains.

La république islamique a récemment fait preuve d’une plus grande volonté de coopération avec la communauté internationale sur son programme nucléaire et alors que le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’Énergie atomique (AIEA) doit se rencontrer cette semaine, il ne devrait pas adopter de nouvelle résolution sanctionnant Téhéran.

Un fait qui décevra très certainement l’État juif dans la mesure où il a été découvert, au mois de février, que l’Iran avait enrichi de l’uranium à un degré de pureté de presque 84 %, à quelques pas techniques des 90 % qui sont nécessaires pour produire un matériel nucléaire de qualité militaire.

Des journalistes visitent le site nucléaire de Fordo près de Qom, au sud de l’Iran, le 9 novembre 2019. (Crédit : Agence internationale de l’énergie atomique via l’AP)

Un porte-parole de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) a laissé entendre, dans le sillage de cette découverte, que cet enrichissement à 84 % était une « erreur localisée » de la part de l’Iran, affirmant que « la présence de particules enrichies au-delà de 60 % n’implique pas une production d’uranium enrichi à plus de 60 % ».

Aujourd’hui, l’AIEA œuvre à déterminer si cet uranium très enrichi a résulté « d’une accumulation non-intentionnelle » dans le réseau de canalisations qui connecte les centaines de centrifugeuses à rotation rapide qui sont utilisées pour séparer les isotopes.

« C’est techniquement possible – en particulier parce que l’Iran expérimente constamment divers moyens d’enrichir l’uranium à des degrés supérieurs de pureté et avec des centrifugeuses qui sont de plus en plus sophistiquées », commente Jon Ruhe, Directeur du département de Politique étrangère au sein du Jewish Institute for National Security of America.

« Je ne peux pas totalement écarter la possibilité que quelque chose ait été fait là-bas, dans les centrifugeuses, quelque chose qui aura temporairement entraîné un enrichissement de l’uranium à un degré de pureté plus élevé », renchérit Raz Zimmt, spécialiste de l’Iran à l’Institut d’études nationales à Tel Aviv.

Le directeur de l’IAEA Director General Rafael Mariano Grossi, à l’écran, s’adresse au Conseil de sécurité de l’ONU, le 4 mars 2022. (Crédit : AP Photo/Richard Drew)

Il ajoute : « Il pourrait bien y avoir des jeux auxquels les Iraniens s’adonnent avec les centrifugeuses de manière à contrôler leur capacité à atteindre des niveaux supérieurs d’enrichissement ».

En même temps, Zimmt souligne qu’il est difficile de croire que Téhéran a atteint « par erreur » un tel degré de pureté.

Et même si cet uranium enrichi à 84 % résulte d’une initiative intentionnelle, ce degré, d’une certaine manière, ne nécessite pas de tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme. L’avancée majeure qui avait été réalisée jusqu’à présent avait été un enrichissement de l’uranium à 60 %, un tournant que l’Iran avait abordé au cours des six premiers mois de l’année 2021. A partir de là, arriver à 90 % ne dépendra que de la volonté des dirigeants iraniens d’enrichir de l’uranium à un degré militaire.

« Mais ça souligne un problème plus large », explique Ruhe, « le problème que l’Iran élargit de manière massive ses capacités d’enrichissement et ses connaissances de manière, à terme, à produire du matériel nucléaire de qualité militaire ».

Eli Levite, chercheur en politique nucléaire au Carnegie Endowment et ancien directeur-général-adjoint de la Commission d’énergie atomique israélienne, estime, pour sa part, que l’Iran teste la communauté internationale.

« Les Iraniens testent les réactions », affirme-t-il.

Peu de réponse

Jusqu’à présent, les réactions ont été plutôt faibles à l’international – ce qui inquiète Israël, c’est certain.

Le chef de l’AIEA, Rafael Grossi, a fait le déplacement à Téhéran, vendredi dernier, pour y rencontrer le président Ebrahim Raissi – et il a suscité la fureur de Netanyahu à cette occasion en disant que toute attaque militaire menée contre une usine nucléaire serait illégale.

Le président iranien Ebrahim Raïssi plaçant ses mains sur son cœur en signe de respect envers la foule après la conclusion de son discours lors d’une cérémonie marquant l’anniversaire de la mort du défunt général des Corps des Gardiens de la révolution islamique, Qassem Soleimani, tué en Irak dans une attaque de drone américain en 2020, à la grande mosquée Imam Khomeini, à Téhéran, en Iran, le 3 janvier 2023. (Crédit : Vahid Salemi/AP)

La république islamique est aussi parvenue à éviter toute sanction punitive de l’AIEA en autorisant le groupe de veille à réinstaller les caméras de surveillance qui avaient été enlevées sur trois sites sur ordre du régime, en acceptant un renforcement des contrôles et en réaffirmant ses obligations dans le cadre du Traité de non-prolifération.

Pour le moment, la question nucléaire sera donc mise de côté, laissant Israël proférer ses menaces publiques et œuvrer encore davantage à tenter de faire pencher la balance dans sa direction.

Ruhe indique être inquiet à l’idée que la réunion de l’AIEA qui aura lieu cette semaine « ne se résume à un affichage public de l’absence de consensus, en Occident, sur ce qu’il y a à faire pour régler le problème, et à un affichage du manque d’envie de l’Occident d’enfin remettre le dossier entre les mains du Conseil de sécurité, de s’orienter plutôt vers des sanctions ».

Le chef de l’Agence de l’Énergie atomique d’Iran, Mohammad Eslami, à gauche, et le dirigeant de l’Agence internationale de l’Énergie atomique Rafael Grossi lors d’une conférence de presse à Téhéran, le 4 mars 2022. (Crédit : ATTA KENARE / AFP)

Même si la capacité d’Israël à faire changer le positionnement adopté par ses alliés face à l’accord de 2015 lui-même est extrêmement limitée, l’État juif pourrait créer des tensions dans la relation entre l’Iran et l’AIEA, qui existe indépendamment du JCPOA, si ses services de renseignement sont en mesure de trouver un plus grand nombre d’éléments attestant d’un leurre des inspecteurs de l’AIEA de la part de Téhéran.

Tâter le terrain

La Maison Blanche, de son côté, veut que Netanyahu soit bien convaincu qu’un message suffisamment menaçant portant sur une option militaire crédible est arrivé jusqu’à la république islamique – afin d’empêcher le leader israélien de poursuivre lui-même cette option.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors d’une discussion à la Knesset, le 1er mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Au mois de janvier, l’armée israélienne et le Commandement central américain (CENTCOM) ont réalisé le plus grand exercice conjoint de leur Histoire en Israël et dans l’Est de la mer Méditerranée, en présence de 6 400 soldats américains et de plus de 1 500 soldats israéliens. L’entraînement a aussi mobilisé plus de 140 avions, 12 navires et des systèmes d’artillerie.

La Douzième chaîne a fait savoir, taisant ses sources, qu’une partie de l’exercice avait porté sur des bombardements américains effectués sur des cibles nucléaires iraniennes simulées.

De hauts-responsables américains de la Défense se rendent également en Israël pour rassurer le pays et pour transmettre un message de dissuasion.

Le chef d’état-major Herzi Halevi, à gauche, le ministre de la Défense Yoav Gallant, deuxième à gauche, et d’autres responsables lors de discussions avec le général Mark Milley, à la tête du Comité des chefs d’état-major interarmées (de dos) et de ses collègues, le 3 mars 2023. (Crédit : Sivan Shachor/GPO)

Le chef du Comité des chefs d’état-major interarmées américain, le général Mark Milley, se trouvait au sein de l’État juif, vendredi, pour des discussions avec de hauts-responsables israéliens de la sécurité au sujet de l’Iran et sur autres questions. Milley a rencontré son homologue israélien, le général Herzi Halevi, le ministre de la Défense Yoav Gallant et d’autres officiels sur la base militaire de Kirya, à Tel Aviv.

Après Milley, le secrétaire d’État américain à la Défense Lloyd Austin devrait atterrir en Israël mercredi pour une visite de deux jours, dans le cadre d’une tournée plus générale au Moyen-Orient qui comprend également des arrêts en Irak, en Jordanie et en Égypte.

Même si le soutien clairement affiché par les États-Unis à l’État juif est en lui-même un message important transmis à Téhéran, il pourrait y avoir d’autres motivations derrière cette démonstration de solidarité.

« En étreignant quelqu’un, vous pouvez aussi lui prendre le pouls », dit Levite.

Alors que les mois passent sans nouvel accord sur le nucléaire à l’horizon et sans l’ombre d’un Plan B, l’administration Biden a besoin de savoir si Netanyahu n’est pas en train de planifier une frappe militaire contre le programme nucléaire iranien. Le défilé de déclarations inquiétantes de la part des alliés de la coalition du Premier ministre sur d’autres sujets entraîne très probablement un malaise à Washington et le sentiment de ne peut-être pas pleinement comprendre ce gouvernement, ce qui renforce l’urgence, pour les officiels américains, d’aller se faire leur propre impression sur ce que Jérusalem pourrait bien décider sur la problématique de la république islamique.

Des avions de chasse israéliens et américains volent aux côtés d’un bombardier américain B-52 au-dessus de la mer Méditerranée pendant l’exercice Juniper Oak 2023, le 25 janvier 2023. (Crédit : CENTCOM)

Au-delà de son rôle de ministre de la Défense, Gallant, qui est considéré comme l’un des « adultes raisonnables » du gouvernement de Netanyahu, est un interlocuteur commode pour les responsables de l’administration Biden.

Pendant ce temps, l’Iran reste dans une situation où Téhéran pourrait rapidement produire suffisamment de matériaux fossiles pour fabriquer de multiples bombes, même si le pays devrait encore développer un détonateur et un système de distribution.

La république islamique va probablement continuer à osciller juste en-dessous du seuil de 90 %, conservant ce tournant déterminant comme outil de chantage visant à dissuader les nations occidentales d’abandonner officiellement les négociations et de confier la question du programme nucléaire au Conseil de sécurité.

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