Israël peut-il devenir une puissance maritime ?
Un comité d'anciens amiraux et de responsables israéliens et américains appelle l'Etat juif à jouer un plus grand rôle dans la sécurisation et l'administration de la Méditerranée orientale, pour que les Etats-Unis n'aient pas à le faire
Il y a quelques années, avant les troubles du Printemps arabe, l’éminent historien Bernard Lewis affirmait que le futur d’Israël au Moyen-Orient était plus sûr qu’on ne le pensait. Les proches Etats arabes et musulmans plongeaient dans des dysfonctionnements politiques, sociaux et économiques, tandis qu’Israël, malgré toutes ses tensions internes et des guerres de culture, était politiquement et économiquement solide, et faisait preuve de cohésion sociale.
Les plus riches économies du Moyen-Orient se reposaient sur le pétrole pour assurer leur prospérité, tandis qu’Israël comptait sur l’innovation technologique, fer de lance de son exportation. Alors que les avancées technologies devenaient de plus en plus prometteuses, se rapprochant du pétrole moyen-oriental comme principal facteur d’une économie globale, les économies qui se reposaient sur le pétrole ne cessaient de s’enfoncer, alors qu’Israël, qui s’était transformé en producteur efficace, ne pouvait qu’aller vers plus de prospérité.
L’histoire de ces dernières années n’a pu que confirmer cette hypothèse.
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La force israélienne face à un système étatique arabe en cours d’implosion dans une région qui est de plus en plus considérée comme exportatrice de ses propres déséquilibres sociaux et religieux – est lentement mais sûrement en train de transformer la place de l’Etat hébreu dans le jeu des alliances.
De fait, plusieurs ennemis d’autrefois sont devenus de potentiels alliés, et ont poussé les adversaires les plus féroces d’Israël, comme le Hezbollah ou le Hamas, à développer un nouveau discours d’excuses visant à expliquer à de simples Libanais ou Gazaouis pourquoi l’idéologie de la guerre permanente contre le sionisme justifie leurs souffrances actuelles et futures.
Pendant ce temps, des acteurs régionaux et mondiaux moins investis émotionnellement dans le sionisme, comme la Grèce, l’Inde, la Russie, Chypre, la Chine, et même le lointain Honduras, ont tous pris d’importantes mesures pour améliorer les liens économiques et de défense avec Israël, avec une vision claire des disparités de puissance et de prospérité grandissantes dans la région.
Et, bien sûr, les Etats-Unis l’ont remarqué.
Les Etats-Unis sont un acteur particulier, dans ce contexte. Pour un pays comme Israël, les Etats-Unis ne sont pas qu’un allié, c’est un ordre mondial. Sa marine sert de facto de coordinateur global et d’institution d’application qui assure la sécurité et la sûreté du commerce maritime – un fait d’importance extrêmement signifiante pour Israël, qui ne fait presque aucun commerce avec ses voisins terrestres et transporte 99% de son commerce extérieur par la mer. Le système financier américain donne, lui aussi, le tempo pour une grande partie de la finance mondiale, autre fait important pour Israël qui est soumis aux vicissitudes des investissements étrangers ou de la variation des devises.
Et, sur un plan plus profond, ce n’est pas une coïncidence si 80% de la diaspora juive en dehors d’Israël vit aux Etats-Unis. Pour de nombreux juifs israéliens, l’ordre mondial mené par les Etats-Unis représente l’alternative idéale, non, à ce qui est imaginé dans les confins des politiques américaines ou européennes, à une démocratie sociale européenne post-guerre, mais à quelque chose de beaucoup plus brutal : le souvenir toujours vivace des expulsions, des batailles et des meurtres de masse subis par les Juifs au 20e siècle.
La tendresse israélienne pour les Etats-Unis n’est donc pas enracinée dans une relation particulière entre un président et un premier ministre – qui étaient plus souvent antagonistes qu’amis – mais dans le sentiment concret que le monde dans lequel ils souhaitent vivre est celui forgé par le sang, les idées et le commerce américain du siècle dernier.
C’est cette Amérique, cet Atlas soutenant un monde libre malgré ses tragédies, plus prospère et sûr que jamais, une Amérique célébrée par le père fondateur socialiste d’Israël David Ben Gourin comme par sa Némésis idéologique Ze’ev Jabotinsky, par Zeheva Galon du Meretz et Naftali Bennett du Foyer juif, qui se repli maintenant vers plus d’isolationnisme.
Et c’est aussi cette Amérique qui, alors qu’elle réaffirme sa capacité et son envie de combattre les malheurs du monde, qui se tourne de plus en plus vers Israël comme une ancre de stabilité et de prospérité qui peut aider à atténuer, au moins dans le cadre limité de son rayonnement régional, les répercussions du dégagement des Etats-Unis.
Mais Israël peut-il supporter une plus grande part du fardeau pour préserver l’ordre mondial, dont sa propre sécurité et prospérité dépend ?
Le comité
Vendredi, six Américains et quatre Israéliens ont publié un rapport étonnamment ambitieux imaginant ce que ce nouveau rôle pourrait signifier pour les deux parties.
Le chaos tourmente la région, à savoir, l’affaiblissement du monde Arabe, l’entrée de la Russie dans le conflit syrien, l’assurance grandissante de l’Iran sur la terre et sur la mer ; la première base navale permanente en outremer à Djibouti ; l’évolution de l’État Islamique et du Hezbollah, qui agissent avec des moyens dignes d’un état, mais qui manquent de responsabilité, à l’instar des guérillas ; les nouvelles découvertes de gaz (et peut-être de pétrole) dans les eaux israéliennes, égyptiennes, chypriotes et autres, ce rapport met en garde qu’Israël ne peut pas assurer son avenir sans se tourner vers la mer, comme l’on fait les États-Unis plus tôt dans leurs histoire.
Ce groupe se présente comme étant une « Commission sur la Méditerranée Orientale » et explique franchement son objectif : « contribuer à élaborer la stratégie maritime d’Israël ».
La liste des contributeurs témoigne éloquemment de cette focalisation sur les affaires navales : trois amiraux – Gary Roughead, ancien chef des opérations navales aux États-Unis ; Ami Ayalon, ancien commandant de la marine israélienne, et ancien commandant adjoint Shaul Chorev ; Douglas Feith, ancien sous-secrétaire de la Défense pour la politique ; Mary Landrieu ancienne sénatrice américaine et présidente de la commission sénatoriale de l’énergie, Ron Prosor, ancien directeur du ministère des Affaires étrangères en Israël et Charles Davidson délégué aux Nations unies et à Londres ; Seth Cropsey ancien PDG de Noble Energy, la plus grande société de forage dans les gisements de gaz naturel israélien ; Eytan Sheshinski éminent économiste israélien qui a dirigé la commission gouvernementale sue l’examen de la politique du gaz naturel israélien et Arthur Herman, historien militaire.
Ce groupe a été réuni par le Hudson Institute, un groupe de réflexion basé à Washington, et par le Centre de Recherche sur la Stratégie Maritime de l’université de Haïfa, dirigé par Chorev.
« Nous avons conçu une commission qui comprend des personnes en désaccord avec la stratégie, un groupe diversifié sur le plan politique et philosophique », explique Douglas Feith dans une interview accordée au Times of Israël.
Dès le début, on peut lire que ce rapport « représente le consensus des commissionnaires ». Et ça n’est pas un mince exploit. Ce groupe comporte un éminent démocrate (Landrieu), et républicain célèbre (Feith), des israéliens de centre-droite (Prosor) et de gauche (Ayalon), et des négociateurs des deux côtés des pourparlers sur le gaz entre le gouvernement de Netanyahu et la Noble Energy (Sheshinski and Davidson).
« Nous n’essayons pas de donner tort ou raison à l’administration d’Obama ou au gouvernement de Netanyahu », explique Feith. « ce n’est pas le but. L’idée était de créer un groupe qui se mettra d’accord sur le plan stratégique, pas sur le plan politique. »
Le rapport se lit d’une traite. Il présente la problématique dans des termes simples. Israël a toujours compté sur la terre et sur l’air pour sa sécurité et sa prospérité. Mais c’est désormais insuffisant. « Israël est une île économique » qui a « récemment découvert des gisements de gaz offshore » et qui est destiné à devenir « une nation indépendante sur le plan de l’énergie, et potentiellement, un exportateur. »
Parallèlement, les adversaires non étatiques d’Israël, comme le Hezbollah et le Hamas « intensifient leur arsenal [naval] pour pouvoir menacer l’infrastructure offshore d’Israël. Et en effet, Israël est assez petit et densément peuplé pour « inciter l’ennemi à utiliser des armes de destruction massive dans l’espoir d’un effet stratégique. »
Cette mer « confère à Israël une profondeur stratégique, une surface plus importante à partir de laquelle opérer militairement en plus de la masse terrestre… L’usage de la mer pour les bateaux, les sous-marins et autres équipements agit comme moyen de dissuasion et de défenses contre les armes de destruction massive, les missiles balistiques et les lourdes roquettes. »
L’importance stratégique de la Méditerranée ne fait que grandir. Le rapport explique : « Malgré le désengagement des États-Unis, ou peut-être grâce à lui, le golf persique, la mer Rouge et la Méditerranée, prennent de l’importance d’un point de vue politique, économique et sécuritaire. Il y a trois goulots d’étranglement depuis et vers l’océan Indien : le détroit d’Ormuz, le canal de Suez et le détroit de Bab el-Mandeb. L’Iran, la Chine, la Russie et l’Inde construisent des infrastructures pour y être influents. »
La technologie modifie aussi la nature de toute menace par voie maritime. « Depuis la fin de la guerre froide, le nombre de sous-marins actifs a diminué, principalement a cause du démantèlement des anciens navires soviétiques, mais le nombre de pays qui utilisent des sous marins est en hausse. Les tensions régionales dans le Moyen-Orient ont été un moteur pour l’approvisionnement en sous-marins », peut-on lire dans le rapport.
« Les sous-marins ont des capacités opérationnelles uniques et leur prolifération fragilise la sécurité régionale », si l’Iran, la Syrie ou même des groupes terroristes venaient à en utiliser.
Tous ces facteurs, les nouvelles ressources d’énergie, l’intérêt grandissant des jouissances éloignées, et la menace non-conventionnelle qui s’intensifie, font qu’il est « impossible de surévaluer les intérêts d’Israël dans la sécurité maritime. »
« Et pourtant, le domaine maritime est pratiquement absent du discours public en Israël. Il est surprenant que la nation ne soit pas connue pour son passé ni pour sa culture maritime
Une puissance maritime
L’ancien numéro 2 de la marine israélienne explique dans une interview accordée cette semaine au Times of Israël qu’il y a une distinction entre la simple stratégie navale et la stratégie maritime.
« La question posée par la stratégie navale est la suivante : comment puis-je assurer des voies ouvertes pour Israël, ou bien la suprématie de la flotte israélienne face à la flotte ennemie potentielle. »
« Mais la question qui se pose en stratégie maritime est : comment sécuriser les installations de gaz naturel ? De quel régime légal ai-je besoin ? Est-ce que je veux exporter du gaz maritime vers la Turquie ou vers l’Egypte ? Avec quelles forces marines dois-je conclure des alliances ? Israël n’a quasiment pas de flotte marchande. Le gouvernement israélien, en tant qu’actionnaire majoritaire de [la société de transport] ZIM peut-il assurer que les bateaux arrivent en Israël en cas d’urgence ? Notre commerce avec la Chine et l’Inde grandit plus vite que notre commerce avec l’Europe. Est-ce qu’Israël a des intérêts stratégiques dans le commerce dans l’océan Indien ? Et si c’est le cas, a-t-il besoin de flottes sur place ? »
Il aurait tout aussi bien pu ajouter : est-ce qu’Israël doit continuer à compter sur un seul pipeline, facilement ébranlable, depuis les gisements de gaz Tamar comme sa seule source d’énergie ?
Le rapport traite longuement des récentes découvertes en gaz naturel dans les eaux israéliennes. « Tous les pays disposant de ressources importantes ne parviennent pas à en tirer profit », met en garde le rapport. « La clef, c’est d’être en mesure d’attirer les investissements continuellement. Quand les lois et la politique rendent difficile le développement des ressources, quelle que soit la valeur de ces ressources, elles restent brutes. »
Au premier coup d’œil, les conclusions du rapport sur la question du gaz ne sont pas étonnantes, étant donné le nombre d’américains dans le groupe, notamment le dernier PDG en date de Noble Energy. Mais au vu des « obstacles réglementaires » qui ont contrecarré le développement du champ gazier, le Léviathan, ou de la surprise avec laquelle le gouvernement à reçu le strike-down de sa promesse aux sociétés d’énergie après une décennie de « stabilité » régulatrice, pendant laquelle les règles pour forer des puits de gaz israéliens ne peuvent être changées par les gouvernements successifs, on commence a comprendre la différence entre la façon dont Israël fonctionne aujourd’hui et l’Israël imaginé par ces amiraux à la retraite et ces anciens législateurs.
Le débat sur le gaz en Israël est principalement une bataille nationale : comment l’exportation de gaz affecterait les factures d’électricité des israéliens, quelle taxation imposer, les questions du monopole et du contrôle des prix, à savoir, si le Premier ministre Benjamin Netanyahu a été suffisamment transparent, ou si la Knesset a été suffisamment claire. Lorsque Netanyahu a mis en garde de manière occasionnelle au cours des deux dernières années que des délais supplémentaires risqueraient d’effrayer les investisseurs étrangers, ou que le développement rapide des champs gaziers, même au prix de termes moins avantageux de la part de sociétés énergétiques tels que Noble, était dans l’intérêt géopolitique immédiat pour Israël, il a été impitoyablement ridiculisé par les médias, par les politiques de l’opposition, et même, plus discrètement, par des membres de son parti.
« Israël ne se perçoit pas comme un pays qui exporte de l’énergie », note Feith. « Il n’a pas l’a culture d’un pays exportateur d’énergie. Développer cette culture, étudier les opportunités, et pas seulement les vulnérabilités, réfléchir à la façon d’attirer des investisseurs étrangers, voilà de nouvelles idées pour Israël. On peut faire évoluer une culture, cela prend du temps. »
Le rapport reconnait également l’influence écrasante de la politique intérieure dans la démocratie, mais estime qu’Israël doit se constituer une culture institutionnelle qui détourne l’attention. Une puissance maritime est, par définition, extravertie. C’est un état qui manifeste de l’intérêt, partagé par ses institutions financières, militaires et légales, à dépasser ses côtes. Et cela implique dans l’opinion publique et chez les responsables et les politiques une nouvelle forme d’engagement. Les puissances maritimes mènent leurs politiques intérieures, mais sans perdre de vue les responsabilités qu’ils ont endossées dans les espaces publics internationaux.
Le rapport enjoint d’agir sur plusieurs fronts : qu’Israël repense ses capacités navales face aux nouvelles menaces de la mer ; qu’Israël mette en place un régime légal et régulateur similaire à ceux qu’on les autres pays producteurs d’énergie, et qu’Israël adopte une nouvelle image mentale de lui-même et se perçoive désormais comme une nation qui a pour mission de sécuriser son voisinage, et particulièrement les gisements de gaz et les voies maritimes à proximité.
La marine d’Israël est compétente dans ce qu’elle fait, mais son champ d’action reste très limité : des patrouilles, la défense côtière, un petit commando, et apparemment (selon les médias étrangers), un sous-marin avec une capacité de frappe nucléaire.
Concrètement, comment cette petite force et cette étroitesse d’esprit israélienne des besoins maritimes peut se transformer en une flotte conséquence et adopter les engagements exposés dans le rapport ?
Pour le groupe, la réponse est simple : les États-Unis sont là pour aider.
« Comment Israël peut-il garantir qu’il a les capacités, la force des structures et l’organisation nécessaire pour mettre en œuvre la stratégie [maritime] ? Inspirez-vous de l’expertise de l’America’s Naval War College et de la Naval Postgraduate School », exhorte le rapport.
Et les israéliens n’ont pas à se rendre aux États-Unis. Les États-Unis viendront à eux.
« Parmi les options, il y a le déploiement avancé de la flotte américaine en Méditerranée, y compris en Israël. Quelle serait la contribution nette pour la sécurité américaine et pour Israël ? Les navires américains sur le port d’attache à Haïfa pourraient, par exemple permettre l’élimination d’attaques similaires à celles de Benghazi, une assistance pour les opérations d’évacuation de non-combattants, et une sécurité pour le forage de puits, les usines de liquéfactions et les terminaux des pipelines. »
Une présence maritime israélienne augmentée ferait figure de multiplicateur de forces pour un tel déploiement américain et vice-versa. Et cela signifie que les deux marines devront apprendre à travailler ensemble, mieux que dans le passé.
« Comment les forces américaines et israéliennes peuvent-elles améliorer leur interopérabilité ? », s’interroge le rapport. « Envisager les entrainements bilatéraux et multilatéraux, meilleur partage de l’intelligence et une grande coopération inter-militaire. »
Il est important de se souvenir que cette idée est proposée par un groupe comptant sept amiraux, y compris un ancien commandant,un commandant adjoint de la marine israélienne, et un ancien chef de la marine américaine.
Les pirates de l’est
Les bénéfices pour Israël d’une telle stratégie sont évidents. Assurer la sécurité des champs gaziers octroierait à Israël une indépendance énergétique sans précédent.
La Chine et l’Inde semblent peut-être hors de portée de la marine israélienne actuelle, mais ces deux puissances de l’Orient sont en train de devenir vitales pour la prospérité d’Israël. L’an dernier a marqué par l’exportation israélienne vers l’Asie (24,9 % de la valeur totale des exportations ont dépassé les exportations vers les États-Unis (qui représentait 23,8 %). Et pourtant, les voies maritimes vers l’est passent tout près d’un Iran très assertif, sans parler des pirates somaliens et d’autres pièges pour la flotte israélienne. Si l’économie israélienne dépendait du commerce de l’est, il serait probable qu’Israël se mette à déployer des forces navales importantes dans l’océan Indien, comme l’a suggéré Chorev.
Et à une époque où les roquettes russes trouvent facilement leur chemin vers le Hezbollah, et où l’État Islamique a prouvé sa capacité à s’emparer de la Syrie, de l’Irak et de Libye, et par conséquent, à déployer des forces navales qui agiraient de facto comme pirates dans les eaux méditerranéennes, même les approches maritimes de l’ouest et du nord d’Israël semblent moins sécurisée que dans le passé.
Pendant ce temps, la présence naval américaine permanente en méditerranée, souligne le rapport, a drastiquement diminué depuis la fin de la Guerre Froide. « La présence permanente de la sixième flotte consiste désormais en un seul navire de commandement en Italie et quatre destroyers Aegis équipés de missiles de défense balistiques, basés à Rota, en Espagne, en bordure la Méditerranée.
Israël devra peut-être gérer ces challenges seul.
En d’autres termes, il y a plus d’enjeux pour Israël qu’une simple stratégie. Le monde change, et la capacité à sécuriser la mer devient vital pour assurer la sécurité et la prospérité d’Israël.
Voies à double sens
Mais ça n’est que la moitié de l’histoire racontée par le rapport. Les États-Unis aussi bénéficient de la potentielle puissance maritime israélienne.
La commission s’attarde sur ce qu’aurait à gagner le monde si Israël devenait un acteur plus impliqué dans le développement de l’énergie. Un indice ? Le terme « pays des startups » revient souvent.
« construire une industrie nationale pour l’énergie… [pourrait] stimuler les israéliens à promouvoir l’innovation dans une industrie internationale qui leur est nouvelle… les sociétés américaine pourraient aider… faire évoluer l’expérience dans l’exploration de l’énergie, dans le développement, dans la production, misant le tout sur les facultés d’innovation du « pays des startups ».
Mais c’est un détail. Pour les américains membres de la commission, il y a des enjeux bien plus importants dans le potentiel d’Israël.
Le rapport met en garde, dans ses paragraphes les plus véhéments que les Etats-Unis laissent derrière eux un vide dangereux.
« Le souhait de se désengager du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale est un élément spécialement important de l’impulsion isolationniste des américains. Après des décennies à diriger le monde démocratique pendant la guerre froide, et plus d’une décennie de guerres suite aux attentats du 11 septembre, de nombreux américains préféreraient ne rien avoir à faire avec des guerres étrangères, avec des terres qui produisent des djihadistes ou qui s’embourbent dans la corruption, ou dont les populations rejettent la modernité, ou haïssent les États-Unis », indique le rapport dans sa conclusion.
« Il est préférable de comprendre, mais ça n’est pas réaliste », peut-on lire. « La question n’est pas de savoir si cet isolationnisme est souhaitable, mais s’il est faisable. »
« L’isolationnisme n’est pas nécessairement une option. Les richesses de la région vont influencer les intérêts du monde, et il en va de même pour les problèmes de la région… Imaginez qu’ISIS ou qu’Al-Qaïda prennent le pouvoir en Arabie Saoudite et contrôlent ses comptes bancaires : aucune force de la « sécurité intérieure » ne sera en mesure de neutraliser le terrorisme. De la même manière, bien que les américains et les autres pays occidentaux aient tentés de rester en dehors de la guerre civile en Syrien, les effets secondaires de ce conflit les ont touchés sous la forme d’attentats terroristes meurtriers et de millions de réfugiés. »
La région ne peut pas être « mise en quarantaine. Les armes nucléaires ou biologiques qui y sont développées peuvent frapper n’importe où et les attaques informatiques lancées peuvent infecter un ordinateur partout dans le monde ». La question se pose donc : « qui protégera la liberté de navigation sur les mers ? Depuis le déclin de l’Empire Britannique, les États-Unis ont joué un rôle déterminant dans le maintien des eaux ouvertes au commerce. Aucune autre pays ni aucune alliance n’est prête ou capable de prendre le relais. Sans des voies maritimes ouvertes à la communication, une grande partie du commerce internationale se retrouverait bloqué. Si, en espérant se désengager du Moyen-Orient ou en réduisant le budget de la défense, les États-Unis renonçaient à ce rôle, l’impact sur l’économie mondiale, y compris américaine, serait catastrophique.
Le désengagement du Moyen Orient » fait simplement perdre la capacité des Etats-Unis à façonner les évènements »
Le désengagement de la région « ne fait pas qu’isoler les États-Unis ; il fait perdre aux américains la capacité à façonner les événements.
Le côté américain de cette commission trouve en Israël une ébauche de réponse, peut être un prototype pour un nouveau type de relation avec les puissances régionales qui permettraient à l’Amérique de se retirer sans laisser derrière elle un vide immense.
Les États-Unis ont des intérêts vitaux dans la région : « défendre la liberté de navigations sur les mers, éviter la prolifération d’armes de destructions massives, contrer l’idéologie islamiste radicale, préserver l’ordre international et les principes de la souveraineté nationale, promouvoir le commerce international et protéger (des terroristes, entre autres), la nature libre et ouverte de sa société.
Entre alors Israël.
« Fondé sur des valeurs libérales démocratiques similaires à celles qu’incarne l’Amérique, Israël a partagé ces intérêts sans réserve. Aucun autre pays de la région n’a autant de capacité ni de volonté à contribuer au progrès par des moyens « forts », en mettant à contribution ses forces militaires, son intelligence et ses moyens virtuels, ainsi que par des méthodes « douces », notamment la technologie, la culture et la conclusion d’alliances.
C’est un peu plus qu’un allié, mais un peu moins qu’un client. C’est comme si la relation anglo-américaine ou australo-américaine, qui partage l’intendance d’un monde avec l’Amérique aux commandes, donneraient des ordres sur des sphères dans lesquelles leur influence est limité, et en profonde coordination avec les institutions américaines.
Une telle relation pourrait-elle se reproduire avec les pouvoirs régionaux d’Asie Orientale, face à l’assertivité de la Chine et développer gracieusement des capacités et des engagements mutuels qui compensent la lassitude des américains ?
Dans l’introduction, on apprend ce qu’Israël à gagner à devenir une puissance maritime. Dans la conclusion, on parle de ce que les États-Unis ont gagné, et peut-être, si cette expérience se révèle être une réussite, ce que les nations et les régions dans le monde entier ont à gagner.
Israël peut-il le faire ? Ses institutions peuvent-elle s’unir pour former une nouvelle vision si vaste de la mission maritime ?
« C’est la raison même pour laquelle nous avons établi à Haïfa un centre pour la stratégie maritime », explique Chorev. Cet institut vise à relancer le processus pour réunir les experts dans toutes les disciplines nécessaires pour mettre au point une stratégie maritime complète. Il accueille désormais un ancien responsable du ministère de Transports qui était directeurs des ports maritimes israéliens, et qui est aussi expert an Asie du sud-est.
Pour certains israéliens, c’est aussi, tout simplement une idée qui est enfin d’actualité.
Dans le rapport, on entend les échos d’une vieille plainte de la part des amiraux israéliens. La marine israélienne a longtemps pensé qu’elle était sous-évaluée dans la posture stratégique de l’état, et sous –estimée par des générations de stratèges de la défense et de ministères.
Les stratèges israéliens ont passé des décennies à mettre au point une armée conçue pour résister à l’assaut des armées arabes conventionnelles. Les arabes ont racheté les tanks américains et soviétiques, Israël a donc construit ses propres corps blindés. Les arabes ont déployé des forces aériennes, Israël aussi.
Dans la complexité de la conception des forces structurelles de l’armée israélienne, la stratégie fondamentale derrière tout cela, était auparavant claire. Mais dans les deux dernières décennies, les conditions ont changé. Le besoin d’une marine mise à jour se fait sentir et la commission à de bonnes raisons de croire que ses conseils ne tomberont pas dans l’oreille d’un sourd.
L’économiste John Maynard Keynes a évoqué le rôle de « l’écrivaillon », dont les idées passent inaperçues à travers le temps jusqu’à ce qu’elles deviennent tellement évidentes et largement acceptées que les dirigeants ont l’impression d’avoir eu ces idées eux-mêmes.
« Les hommes pratiques, qui se croient à l’abri de toute influence intellectuelle, sont d’ordinaire les esclaves de quelques économistes défunts. Des fous au pouvoir, qui entendent des voix, distillent les frénésie de quelques écrivaillons académiques d’il y a quelques années. », avait déclaré Keynes.
Dans la même veine, Feith affirme que l’intérêt principal du rapport est le simple fait de commencer à se poser la question. La discussion en elle-même à des implications stratégiques.
« Pour qu’un pays ait une stratégie, il se doit d’avoir un autre stratège que le Premier ministre ou le chef d’état-major », explique-t-il. « L’un des objectifs de la stratégie, c’est d’avoir un large panel d’institutions qui vont dans la même direction, sans sous-coter les autres. L’un des objectifs de la stratégie » – ou le simple fait de développer une stratégie – « c’est d’accomplir cela. »
Feith et Chorev ont tous deux reconnu les obstacles institutionnels qui sont sur le chemin d’une révolution si importante pour Israël. Mais l’obstacle majeur, et le plus facile à surmonter, c’est l’absence de débat.
Mais ils peuvent y remédier sans tarder.
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