Israël rase un campement bédouin, construit « illégalement dans un champ de tir »
B'Tselem dénonce une opération menée quand le monde entier se focalisait sur les élections américaines
Des bulldozers israéliens ont démoli mardi matin un petit village bédouin dans la vallée du Jourdain en Cisjordanie, rendant environ 73 Palestiniens – dont 41 enfants – sans abri, selon les Nations unies.
Des observateurs internationaux se sont rendus mercredi à Khirbet Humsa, près du village de Toubas en Cisjordanie, où ils ont trouvé des tentes détruites, des panneaux solaires brisés et des réservoirs d’eau cassés. Une partie de ces équipements aurait été achetée avec des fonds européens.
La liaison militaire d’Israël avec les Palestiniens (COGAT) a déclaré qu’elle avait détruit des structures qui avaient été érigées illégalement sur une zone de tirs réels de l’armée israélienne. Khirbet Humsa est l’une des 38 communautés bédouines sur des terres que l’armée israélienne a accaparées pour ses activités de formation, selon l’ONU.
« Une activité de contrôle a été menée par l’unité de supervision de l’administration civile contre 7 tentes et 8 enclos qui ont été illégalement construits dans un champ de tir situé dans la vallée du Jourdain », a rapporté le COGAT dans un communiqué.
« Nous pointerons que l’exécution a été effectuée conformément aux autorités et aux procédures, et sous réserve de considérations opérationnelles », a soutenu le COGAT.
Les groupes de défense des droits, cependant, ont rapporté qu’environ 75 structures avaient été détruites, dont 18 tentes et cabanes qui abritaient environ 11 familles. Cette démolition est la plus importante en plus de dix ans, selon l’ONU.
B’Tselem, un groupe de défense des droits humains controversé qui suit les actions israéliennes en Cisjordanie et à Gaza, a accusé Israël d’avoir mené délibérément cette opération alors que l’attention du monde était focalisée sur les élections américaines.
« L’anéantissement de toute une communauté en une seule fois est extrêmement rare », a déclaré Amit Gilutz, un porte-parole de B’Tselem. « Il semble qu’Israël ait attendu que l’attention de tout le monde soit fixée ailleurs pour faire avancer cet acte inhumain ».
« J’ai des petits-enfants ici, âgés de six mois, qui dorment maintenant sous la pluie sans rien au-dessus de leur tête. L’hiver arrive, il va y avoir de la pluie et de la boue. Cela va être vraiment, vraiment difficile à reconstruire », a déploré Yasir Abu al-Kabbash, un habitant de Khirbet al-Humsa, désormais sans domicile, auprès du Times of Israel.
La vallée du Jourdain se trouve dans la zone C, sous contrôle civil israélien conformément aux accords d’Oslo. Selon ces accords, Israël est responsable de la planification et de la construction dans la zone.
Les Palestiniens de la zone C se heurtent souvent aux autorités israéliennes pour ce qu’Israël considère comme des constructions illégales. Israël affirme que les Palestiniens violent la loi et s’engagent dans des constructions dans des zones illégales, tandis que les Palestiniens soutiennent qu’Israël ne leur délivre pas suffisamment de permis ou ne légalise pas les villages existants.
Le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP), Mohammad Shtayyeh, a condamné les démolitions, qu’il a qualifiées de « destruction méthodique de la possibilité d’un État palestinien ».
Israël a déclaré la zone comme zone de tir réel en 1972, selon des documents judiciaires. Les résidents bédouins de Houmsa ont fait appel auprès de la Haute Cour israélienne pour annuler la démolition imminente de leur campement. En 2019, le tribunal a rejeté la requête et a décidé que les bergers n’avaient pas le droit de rester dans la zone.
Alors que le droit militaire israélien interdit l’expulsion des résidents permanents d’une zone de tir, la Haute Cour a jugé que les résidents de Khirbet Humsa ne répondaient pas à cette norme.
« Les requérants n’ont aucun droit de propriété reconnu dans ces zones. Ce sont des intrus qui utilisent ces zones pour le pâturage », a statué la Haute Cour.
Dans sa décision, la Cour suprême a déclaré que l’évacuation servirait également la sécurité personnelle des résidents, en raison de la présence de l’armée dans la zone. De plus, « la construction dans la zone n’a pas été autorisée et est illégale », a jugé la Cour.
Abu al-Kabbash n’était pas d’accord, disant que la présence de sa famille dans la région précédait la zone de tir. Il a accusé l’État de désigner ces terres comme zone de tir dans le but d’expulser les Palestiniens.
« Ils appellent cela une zone militaire. Mais ils le font juste pour nous expulser d’ici. D’abord ils se débarrassent de nous, puis les colons viendront et cela redeviendra une terre agricole », a fustigé Abu al-Kabbash.
Les autorités israéliennes ont fait valoir dans des affaires judiciaires contestant des zones de tir que les zones d’entraînement militaire sont désignées en tenant compte de considérations professionnelles, telles que les caractéristiques topographiques uniques d’un lieu.
Les groupes de défense des droits, cependant, affirment que dans certains cas, des zones ont été déclarées zones de tir afin de renforcer le contrôle israélien.
Selon un document discuté par la Haute Cour au début du mois d’août, le futur Premier ministre Ariel Sharon a explicitement fait savoir, lors d’une réunion du comité de 1981 sur l’implantation en Cisjordanie, que l’armée désignerait certaines zones comme zones d’entraînement afin de contrôler « la propagation des villageois arabes des collines ».
« Il y a des endroits que nous avons intérêt à déclarer comme zones de tir réel, afin de nous assurer qu’ils restent entre nos mains », avait expliqué Sharon, qui était alors ministre des Implantations, à la commission.
Selon B’Tselem, 798 Palestiniens de Cisjordanie ont été laissés sans abri par les démolitions israéliennes jusqu’à présent cette année, le nombre le plus élevé depuis que le groupe de défense des droits a commencé à recueillir des données en 2016.
Après le départ des bulldozers, a rapporté Abu al-Kabbash, toute la communauté est retournée sur les ruines du campement pour recueillir ce qui pouvait être sauvé de la démolition.
« Nous allons tout recommencer. Nous ne pouvons pas quitter cet endroit – j’ai été élevé ici, et mes enfants ont été élevés ici, et maintenant mes petits-enfants. C’est ma maison, et je n’ai nulle part ailleurs où aller », a annoncé Abu al-Kabbash.
AFP a contribué à cet article.