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Jack pot pour CrazyLabs – malgré une plainte déposée aux États-Unis

La start-up, qui va être rachetée par une firme suédoise, aurait vendu des applications intégrées à des enfants de moins de 13 ans et partagé leurs données avec des tiers

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Capture d'écran du jeu 'My First High School Crush', destiné aux enfants de 6 à 12 ans, tel qu'il apparaît dans Google Play store. (Capture d'écran)
Capture d'écran du jeu 'My First High School Crush', destiné aux enfants de 6 à 12 ans, tel qu'il apparaît dans Google Play store. (Capture d'écran)

Une éminente start-up israélienne spécialisée dans les jeux vidéos, qui devrait être rachetée par une firme suédoise dans le cadre d’un accord qui a été très médiatisé, est mise en cause par des groupes de défense de consommateurs américains pour la manière dont elle aurait commercialisé ses jeux numériques auprès de son public – des enfants.

Le nom de CrazyLabs, développeur de jeux numériques sur mobile, apparaît à plusieurs reprises dans une plainte déposée en 2018 auprès de la FTC (Federal Trade Commission) des États-Unis par 22 groupes de défense des consommateurs, concernant la présence d’éléments « de manipulation » dans des applications pour enfants disponibles dans la section « Famille » du Play Store de Google.

Le géant suédois du jeu Embracer Group a annoncé le 5 août qu’il allait acquérir CrazyLabs – troisième au classement en nombre de téléchargements parmi tous les éditeurs de jeux pour mobile – pour une somme qui n’a pas été révélée. L’entreprise israélienne enregistre à ce jour 4,5 milliards de téléchargements pour ses jeux vidéos et elle compte plus de 110 millions d’usagers mensuels actifs, a précisé l’annonce. CrazyLabs a généré 152,9 millions de dollars de revenus entre le mois de juillet 2020 et le mois de juin 2021, a noté Embracer Group.

Amir Ohana, membre de la Knesset sous l’étiquette du Likud, ancien ministre de la Justice et ancien ministre de la Sécurité intérieure, devrait être l’un des bénéficiaires de cette vente. Le mari d’Ohana, Alon Hadad, avait investi dans la firme au cours de sa toute première série de financement, en 2011.

La compagnie CrazyLabs – qui s’appelait TabTale dans le passé – aurait, selon la plainte déposée devant la FTC, commercialisé des jeux numériques auprès d’un public d’enfants de moins de 13 ans en violant leur confidentialité.

La plainte déclare que CrazyLabs aurait ainsi transmis les données de ses jeunes usagers à des tiers, une violation possible de la Loi sur la confidentialité des enfants sur internet – connue aux États-Unis sous l’acronyme COPPA. La législation exige le consentement des parents pour la collecte des données personnelles des enfants âgés de moins de 13 ans.

Photo d’illustration : Des enfants jouent sur leur téléphone mobile. (Crédit : Kerkez/iStock by Getty Images)

La firme CrazyLabs est aussi critiquée pour sa stratégie « freemium » très rentable – où les enfants peuvent télécharger gratuitement ses applications mais où ils sont ensuite encouragés à regarder des publicités ou à procéder à des achats intégrés pour pouvoir progresser dans les jeux.

La compagnie produit des jeux casual et hyper-casual, qui se distinguent par des règles et des mécaniques simples et faciles à comprendre. CrazyLabs qualifie ses applications de « jeux légers », auxquels les enfants peuvent jouer de manière instantanée et indéfiniment – ce qui les rend très addictifs et très engageants.

Les jeux hyper-casual de la compagnie ont été téléchargés à plus de 480 millions de reprises l’année dernière, avec des succès tels que « Soap Cutting, » « Acrylic Nails, » « Tie Dye » et « Run Sausage Run. »

Les jeux casual, pour leur part, offrent – relativement parlant – un degré de complexité supérieur, a expliqué l’entreprise. Parmi ses produits phares, « Jumanji, » « Hotel Transylvania Adventures » et « Super Stylist. »

« Super Stylist » a été le jeu de mode le plus téléchargé l’année dernière, et il enregistre, à ce jour, plus de 60 millions de téléchargements.

CrazyLabs a fait savoir au Times of Israel que « CrazyLabs prend – et à toujours pris – très au sérieux son obligation de se conformer aux lois applicables (et notamment à la COPPA). Avec l’assistance d’experts compétents, nous avons mis en place des programmes raisonnés, complets et efficaces, ainsi que les procédures nécessaires pour garantir au sein de l’entreprise le respect de ces législations ».

Dans un entretien accordé en 2014, Sagi Schliesser, le directeur-général de l’entreprise, avait déclaré à Fast Company que la compagnie tentait de faire preuve d’éthique dans sa manière de commercialiser les applications intégrées pour les enfants.

L’équipe de CrazyLabs aux alentours de 2019. (Capture d’écran : YouTube)

« Nous ne faisons pas de consommable », avait-il dit, évoquant le fait que la firme imposait un seuil au montant d’argent qu’un enfant pouvait dépenser dans un jeu. « Le prix maximum pour tout débloquer, dans un jeu TabTable, est au pire de 4,99 dollars ».

Mais certains experts de la création de jeux numériques estiment que tous les jeux qui se basent sur le modèle Freemium sont manipulateurs par nature.

« Il y a des systèmes économiques étonnamment complexes qui entrent en jeu dans la majorité des jeux Freemium », avait ainsi écrit et Casey B. Hart dans le livre universitaire « The Evolution and Social Impact of Video Game Economics » paru en 2017.

« Ces systèmes utilisent des moyens à la fois actifs et passifs pour influencer les joueurs et, dans de nombreux cas, ils créent une dynamique qui agit sur l’illusion intuitive et sur l’irrationalité du comportement du consommateur », avait-il noté dans son ouvrage.

Des princesses très rémunératrices

Embracer Group a écrit, dans son communiqué de presse du 5 août, que CrazyLabs « concentre ses activités sur un public négligé : celui des fillettes ». Toutefois, la firme a essuyé récemment de vives critiques pour les messages « rétrogrades » qu’elle transmettrait aux petites filles .

Le livre de 2017 de Hart consacre un chapitre tout entier à « FairyTale Fiasco, » un jeu de CrazyLabs visant le public spécifique des fillettes de cinq ans et moins.

Le jeu, selon l’ouvrage, consiste à maquiller quatre princesses : Emma, Blanche-Neige, la Belle au bois dormant et Cendrillon. Le postulat de base du jeu est que les princesses ont été maudites et qu’elles ont besoin de l’aide de la joueuse pour redevenir belle et gagner ainsi l’amour d’un prince.

« La transformation de Cendrillon comprend d’effacer ses rides, ses boutons, les taches vertes qu’elle a sur la peau, ses poils disgracieux sur son menton ou sur ses jambes », explique l’autrice du chapitre, Emma Whatman, professeure australienne en communication.

« La boîte à outils gratuite dont disposent les utilisatrices leur permet d’appliquer une crème anti-rides, d’utiliser un parfum qui blanchit sa peau verte, d’appliquer un masque pour les yeux, de coiffer et d’utiliser la pince à épiler pour ôter les poils sur le menton – ce à quoi Cendrillon répond : ‘Je te remercie de m’avoir sauvée’ ! »

Mais il est impossible de terminer la transformation des princesses sans dépenser de l’argent.

« Jusque-là, les accessoires de beauté étaient gratuits », ajoute Whatman, « mais à ce stade, les petites filles doivent verser la somme de 6,49 dollars australiens – le corps de Cendrillon, le cas échéant, ne restant qu’à moitié terminé et toute possibilité de progrès de la transformation étant bloqué. Après avoir payé, l’utilisatrice peut alors sortir un trognon de pomme de son estomac, utiliser une potion à lèvres qui repulpe ces dernières, nettoyer ses bras et ses jambes, épiler ses jambes et lui faire les ongles ».

La conclusion de Whatman est sans appel : Non seulement « FairyTale Fiasco » permet à CrazyLabs de gagner de l’argent – la firme était à ce moment-là connue sous le nom de TabTale – mais le jeu envoie aussi un type spécifique de message aux petites filles.

« Le modèle commercial de FairyTale Fiasco permet à TabTale de gagner de l’argent, tout en inculquant aux petites filles tous les stéréotypes propres à leur genre et le consumérisme. Le jeu fait naître un désir pour des produits de beauté particuliers tout en développant un sentiment d’anxiété autour du corps féminin », écrit Whatman.

Une manipulation des jeunes utilisateurs ?

Le plainte déposée en 2018 par les associations de défense des consommateurs appelle la FTC à enquêter sur Google en raison de ce qui s’apparente, selon elles, aux « pratiques inéquitables et trompeuses dans la commercialisation des applications en direction des enfants » du géant technologique.

Elle affirme qu’un grand nombre – sinon la majorité – des applications gratuites pour enfants gagnent de l’argent en manipulant les jeunes utilisateurs, citant une étude réalisée par l’université du Michigan qui note que « la plupart des applications populaires pour enfants utilisent fréquemment des techniques mises au point pour amener les plus jeunes à faire des achats intégrés ou à regarder des publicités ».

Une publicité pour un jeu sur le thème de la bière qui apparaît dans une application en direction des enfants de 6 à 12 ans. (Capture d’écran : Plainte déposée à la FTC)

La plainte prétend que plusieurs applications créées par TabTale – l’ancien nom de CrazyLab – et notamment « Baby Care & Dress Up Kids Game, » « Baby Dream House, » et « ABC Song – Kids Learning Game, » des jeux consacrés aux enfants de 8 ans et moins, ont transmis des informations personnelles sur les jeunes utilisateurs à des applications tierces – ce qui serait une possible violation de la loi COPPA sur la protection des consommateurs.

Elle explique également que les applications développées par TabTale présentaient des contenus inappropriés pour les catégories d’âge visées. Le jeu « New Girl in High School, » qui visait les 6 à 12 ans, comprenait ainsi une publicité pour un jeu sur le thème de la bière.

Dans un autre jeu de TabTale, « Crazy Eye Clinic – Doctor X, » il était demandé à l’enfant d’obliger un patient à ouvrir les yeux avec des pinces ou d’utiliser une pince à épiler pour arracher des sourcils.

David Monahan, directeur de campagne au sein de Fairplay, l’une des organisations à l’origine de la plainte, a déclaré au Times of Israel que la FTC « n’est pas encore passée à l’action publique concernant les deux plaintes » – une référence à celle déposée en 2018 et à une autre, réactualisée, qui a été transmise à la même instance au mois de mars 2021.

Protections israéliennes

Même si la FTC devait réprimer le type de pratiques scandaleuses décrites dans la plainte, quelle conséquence cela aurait-il sur les enfants vivant ailleurs dans le monde et notamment au sein de l’État juif ?

Tehilla Schwartz Altshuler, membre de l’Institut israélien de la Démocratie, dit au Times of Israel qu’il n’y a pas de loi sur la confidentialité des données dans le pays similaire à la COPPA aux États-Unis ou à la GDPR en Europe. Elle note toutefois qu’il existe des législations de protection du consommateur qui interdisent de manipuler ou de tromper des enfants.

« La situation actuelle, en Israël, c’est que nous sommes moins protégés que la majorité des pays du monde. Nous devons opter pour des sanctions plus strictes s’agissant de la violation de la confidentialité d’un mineur. Nous devons, entre autres, totalement interdire la vente d’informations portant sur les enfants âgés de moins de 13 ans à des tiers », explique-t-elle lors d’un entretien téléphonique.

Altshuler ajoute qu’elle travaille sur une loi qui pourrait offrir aux enfants une protection de leur confidentialité similaire à celle assurée par la COPPA et qu’elle a la certitude qu’un tel texte bénéficiera du soutien d’un membre de la Knesset, qui pourra la présenter devant le parlement.

Concernant la protection des enfants face à des jeux vidéos susceptibles de les manipuler, Altshuler remarque qu’il y a déjà des lois qui ont été adoptées en Israël pour permettre de s’attaquer à ce phénomène.

« Israël dispose d’une législation sur la protection du consommateur qui dit qu’il est interdit de faire de la publicité ou de commercialiser un produit d’une manière qui serait susceptible d’exploiter la naïveté ou le manque d’expérience d’un mineur, ou d’encourager tout type d’activité qui puisse heurter le corps ou la santé physique ou mentale d’un mineur », continue-t-elle. « Une violation de cette loi peut vous envoyer derrière les barreaux ».

« Toutes ces régulations sont d’ores et déjà en place », continue-t-elle. « La question, c’est plutôt de savoir comment les faire respecter ».

CrazyLabs répond

CrazyLabs a fait parvenir au Times of Israel le communiqué suivant :

« CrazyLabs prend – et a toujours pris – très au sérieux son obligation de se conformer aux lois applicables (et notamment à la COPPA). Avec l’assistance d’experts compétents, nous avons mis en place des programmes raisonnés, complets et efficaces ainsi que les procédures nécessaires au sein de l’entreprise pour garantir le respect de ces législations. »

« Nous pouvons citer en exemple les efforts livrés par CrazyLabs pour insérer des publicités appropriées dans nos jeux. Dans cet objectif, CrazyLabs a développé et à mis en œuvre un programme de vigilance tiers qui consiste, entre autres, à : »

« Évaluer, choisir minutieusement les publicités et n’utiliser que les réseaux de publicité majeurs dans le monde qui présentent des publicités conformes aux termes de la COPPA et adaptées à tous les publics; »

« Utiliser tous les marqueurs, outils et paramètres fournis par les réseaux (en désactivant, par exemple, les catégories de publicité sensibles) pour aider à garantir que les restrictions liées à l’âge sont appliquées » ;

« Et, en raison de la nature automatisée des systèmes de filtrage de la publicité par ces réseaux, nous effectuons un contrôle constant des publicités qui apparaissent dans nos jeux de manière à ce nous puissions immédiatement supprimer un contenu indésirable si nous découvrons sa présence ».

« Il faut également noter que nos pratiques de gestion des réseaux de publicités tiers et de nos fournisseurs de service ont été contrôlées par des experts indépendants et considérées comme suffisantes pour le type d’applications que nous exploitons et pour le type de données que nous traitons ».

Luke Tress a contribué à cet article.

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