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Kemach offre aux Haredim une manière digne de sortir de la pauvreté

Dans ce qui se révèle être une révolution de l'intérieur, des dizaines de milliers d'étudiants de Kollel demandent des aides pour apprendre une profession

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Des candidats au bureau de Kemach à Jérusalem (Photo: Autorisation)
Des candidats au bureau de Kemach à Jérusalem (Photo: Autorisation)

Mordechai Feldstaine, le directeur de la Fondation israélienne Kemach, se hérisse quand des gens de l’extérieur adressent des reproches à la société ultra-orthodoxe.

« Ceux qui n’ont pas réussi à trouver une solution à l’emploi des Haredim ont échoué parce qu’ils ont essayé d’introduire de nouvelles choses dans la société Haredi, » a-t-il écrit dans un éditorial sur le site ultra-orthodoxe Kikar Hashabbat.

« La société haredi n’a pas besoin que l’on y introduise des choses extérieures. Elle est parfaite et magique et voilà pourquoi ces Haredim qui entrent sur le marché du travail présentent de nombreux avantages. »

Ce à quoi Feldstaine se réfère est le problème économique de la société Haredi, ou ultra-orthodoxe, d’Israël.

Jusqu’à 1977, le taux des hommes Haredi qui travaillaient pour gagner leur vie était d’environ 80 %. Cependant au fil des décennies une culture a pris place dans laquelle les hommes mariés étaient encouragés à étudier à plein temps dans un kollel – ou yeshiva – joignant les deux bouts avec une combinaison d’une petite allocation, d’un soutien parental, des revenus de l’épouse et des prestations sociales du gouvernement.

Mais au fur et a mesure que les familles grandissent, ce modèle économique se révèle insoutenable.

Comme l’a écrit The Economist, « selon le Bureau central des statistiques, les Haredim étaient un peu moins de 10 % de la population d’Israël en 2009 ; d’ici 2059 il devraient être de l’ordre de 27 %. Israël ne peut pas se permettre de continuer à les payer à ne pas travailler.

« Ce manque apparent de ressources a conduit à une réaction politique parmi les Israéliens laïques reprochant aux Haredim de ne pas partager le fardeau.

Pour les hommes haredim, l'étude de la Torah est l'occupation la plus glorifié (Crédit photo: Yaakov Naumi / Flash90)
Pour les hommes haredim, l’étude de la Torah est l’occupation la plus glorifié (Crédit photo: Yaakov Naumi / Flash90)

Voilà où Kemach entre en jeu. Au lieu d’avoir des solutions qui leur sont imposées de l’extérieur, Kemach prépare les Haredim au marché du travail selon leurs propres termes, d’une manière qui respecte leurs valeurs et ne cherche pas à « réparer » la société Haredi.

Le nom de Kemach qui signifie « farine » en hébreu vient d’un adage du Talmud (Pirkei Avot III) qui dit « S’il n’y a pas de farine, il n’y a pas de Torah », autrement dit qu’il faut assurer sa subsistance avant de s’engager dans des études religieuses.

Jusqu’à présent, la fondation a accordé des subventions pour des formations professionnelles et à environ 10 000 hommes et femmes ultra-orthodoxes.

Lorsque le Times of Israel a visité les bureaux de Kemach à Jérusalem à la mi-novembre, environ 20 hommes étaient dans des classes, face à des ordinateurs ou remplissant des formulaires, la quasi-totalité d’entre eux vêtus de costumes noirs, chemises blanches et chapeaux de feutre noir. L’absence de femmes était intentionnel.

« Nous recevons des femmes ici les mercredis », a déclaré Feldstaine, « mais quelqu’un qui vient ici de Mea Shearim [un quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem], a besoin de se sentir à l’aise. Pour certains de nos clients, c’est la première fois qu’ils utilisent un ordinateur ou ouvrent un courriel, nous faisons tout pour qu’ils se sentent à l’aise ».

Selon un récent sondage effectué par Seker Kehalacha, un institut de sondage Haredi, 54 % des hommes Haredi ne travaillent pas ou étudient en Kollel, tandis que 46 % d’entre eux travaillent pour gagner leur vie (18 % dans un travail lié à la religion, 18 % dans un travail ordinaire et 8 % ont créé leur propre entreprise).

Parmi les femmes ultra-orthodoxes, seulement 24 % ne travaillent pas, 24 % travaillent à mi-temps, et 52 % ont un emploi à temps plein. La femme Haredi élève en moyenne 6,5 enfants.

Tzvika Schreiber et Mordechai Feldstaine de la fondation Kemach dans leur bureau à Jérusalem (Photo: Simona Weinglass / The Times of Israel)
Tzvika Schreiber et Mordechai Feldstaine de la fondation Kemach dans leur bureau à Jérusalem (Photo: Simona Weinglass / The Times of Israel)

Mais si vous demandez à Mordechai Feldstaine ce qui ne va pas avec cette image, il ne s’y oppose pas pour des raisons morales.

« Si je pouvais le faire, j’étudierais la Torah toute la journée. C’est la chose la plus noble qu’un homme puisse faire. Mais, techniquement, il y a un problème. J’ai six enfants. Je dois subvenir à leurs besoins, je dois les marier ».

Dans une tribune dans le journal Israel Hayom, l’intervenant moderne orthodoxe David M. Weinberg a expliqué ce qu’il décrit comme le décalage entre les attentes culturelles Haredi et la réalité.

Il y a une règle non écrite, écrit-il, « que les jeunes hommes brillants et en bonne santé ne peuvent pas travailler ni suivre une formation professionnelle, du moins pas s’ils veulent être respectés. L’idéal est de rester dans la yeshiva et d’étudier uniquement la Torah aussi longtemps que possible. Inévitablement, cela signifie que de nombreuses familles Haredi sont pauvres et dépendantes de la charité sous une forme ou une autre ».

Deuxièmement, si un homme est un « bon parti », il attend de son beau-père qu’il lui achète un appartement dès qu’il se marie. Si les beaux-parents ne peuvent pas se le permettre, la société Haredi attend du gouvernement qu’il subventionne le logement à des prix réduits et que les Haredim soient exemptés de taxes municipales, des frais scolaires et pour les soins médicaux. Le résultat, dit Weinberg, est « un monde haredi de dépendance et de pauvreté frôlant la crise dans lequel les Haredim vivent d’allocations. »

Le point de rupture

Feldstaine dit que quand un homme ou une femme Haredi passent les portes de Kemach, c’est toujours pour la même raison.

« Ils ont atteint un point de rupture. »

Comme pour souligner le discours de Feldstaine, un homme d’âge moyen nommé Moshe introduit sa tête dans la salle de conférence où Feldstaine est interviewé pour se rappeler d’un épisode.

« C’était Rosh Hashana et je me précipitais vers la synagogue mais j’ai du m’arrêter et vous remercier dans la rue », se souvient Moshe. « A Rosh Hashana, nous rappelons nos mérites devant le Saint, béni soit-Il. Moti [diminutif de Mordechai, NdT], il me fallait rappeler les votres ».

Il y a environ sept ans, a confié Moshe au Times of Israel, son fils aîné est décédé subitement à l’âge de 15 ans. Moshe étudiait dans un kollel et avait la trentaine lorsque sa vie familiale a commencé à se détruire.

« Ma femme a été brisée, elle ne pouvait plus travailler. Nous n’avions pas d’argent. Finalement, un ami m’a dit d’aller à Kemach. Moti m’a poussé à apprendre un metier, qu’ils paieraient pour cela, mais je ne suis jamais revenu. Moti a continué à m’appeler. Il n’a pas abandonné. »

Certains bénéficiaires n'avaient jamais utilisé un ordinateur (Photo: Autorisation)
Certains bénéficiaires n’avaient jamais utilisé un ordinateur (Photo: Autorisation)

Moshe a finalement cédé aux exhortations de Kemach et s’est inscrit dans un institut religieux de formation où il pourrait étudier dans un environnement exclusivement masculin, tout en obtenant un diplôme en éducation. La décision a changé sa vie.

« Je n’avais aucun désir de quitter la maison, mais je devais sortir et passer des examens, aller à des cours. »

Aujourd’hui, Moshe enseigne la Torah dans une école haredi reconnue par l’Etat. Il travaille environ 6,5 heures par jour et gagne 7 000 shekels (1 680 euros) par mois après impôts, ainsi que des avantages.

« Ma situation est bien meilleure, » dit-il avec des yeux souriants. « Kemach m’a aidé à reconstruire ma famille. »

‘Quelque chose se passe’

Feldstaine affirme que son candidat typique est un homme marié d’une vingtaine d’années qui étudie au kollel depuis plusieurs années.

« Puis quelque chose se passe. Soit la famille a un nouvel enfant, ou le kollel arrête de leur donner de l’argent, leurs parents les limitent, ou la femme connaît une passe difficile avec son travail. »

Beaucoup de candidats n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent faire. Ils passent un test d’aptitude et rencontrent le conseiller professionnel Tzvika Schreiber pour décider quelles études leur convient, qui peut aller d’un cours de 3 mois en comptabilité à un cursus universitaire complet en physique ou d’ingénieur. Des anciens de Kemach sont devenus des instructeurs d’équitation thérapeutique, des grutiers, des médecins ou ont créé leur propre entreprise de high-tech. 83 % des personnes formées travaillent, explique Yael Simon, une consultante philanthropique de Leo Noé, l’un des principaux bienfaiteurs de la Fondation Kemach.

Une grande différence entre les demandeurs d’emploi Haredi et laïques, selon Feldstaine, est leur stabilité.

« Imaginez un gars laïque appelé David. Il va à l’armée, puis il passe un an en Thaïlande, quand il obtient son premier emploi il ne pense qu’à subvenir à ses propores besoins. Un gars Haredi appelé David n’est plus un enfant à 23 ans, il a une femme et un enfant. Il n’a pas le temps de jouer ».

Une autre différence entre les Haredim et les Israéliens laïques, dit Feldstaine, est que le travail n’est pas un moyen d’auto-accomplissement. Ils veulent profiter de leur emploi, mais ce n’est pas le but de leur vie.

Feldstein dit que Kemach est un nom connu dans le monde haredi et qu’il est largement accepté, même si le premier choix de beaucoup de gens est d’étudier la Torah à plein temps.

Néanmoins, il y a trois préoccupations qui lui font perdre le sommeil la nuit.

« Je veux que tous les étudiants de Kemach trouvent du travail ; je veux qu’ils ne soient pas exploités [parce qu’ils sont Haredi] et qu’ils obtiennent un salaire correct avec des augmentations ; mais la chose qui me préoccupe le plus est, disons 2-3 ans après qu’ils aient trouvé un emploi, je veux qu’ils aient le même look. S’ils commencent à se couper sa barbe ou à enlever leur chapeau au travail, je sais que j’ai échoué. La raison pour laquelle les rabbins ne sont pas contre nous est parce qu’ils savent que nous voulons nous assurer que cela ne se produira pas. »

Feldstaine se tourne vers Moshe, qui est employé dans une école Haredi.

« Si quelqu’un vous propose de travailler dans un endroit qui n’est pas Haredi, l’accepteriez-vous ? » « Oui, tant que c’est un endroit où je peux conserver mon identité. »

Kemach par les chiffres

Kemach a été créé en 2007 par un groupe de philanthropes dirigés par Léo Noé de Grande-Bretagne, Aaron Wolfson de New York et le Brésilien Elie Horn. La fondation verse une subvention directement sur les comptes bancaires des étudiants qui se transforme en prêt s’ils ne parviennent pas à terminer leur formation.

Les étudiants peuvent s’inscrire dans des universités reconnues, auquel cas le gouvernement israélien couvre jusqu’à 80 % du coût, ou dans divers etablissements de formation professionnelle, auquel cas Kemach couvre la totalité des frais.

Environ 23 000 personnes ont demandé des bourses d’études à Kemach. Feldstaine dit que cela signifie qu’en fait 100 000 personnes sont concernées si on prend en compte les familles des requérants – c’est-à-dire qu’une partie importante de la population haredi d’Israël, qui est estimée à près d’un million de personnes, est intéressée par une formation professionnelle. Cela n’est pas seulement une organisation à but non lucratif, mais un mouvement, dit-il. Environ 9 000 personnes ont suivi le programme jusqu’à présent.

Bien qu’il existe d’autres programmes de bourses pour étudiants Haredi, Kemach est le plus grand et est en train de devenir un organisme centralisé, dit Simon. Le Joint Distribution Commitee avait des centres d’emploi appelés Mafteach qui sont maintenant remplis d’anciens de Kemach.

25 % des bénéficiaires de subventions sont des femmes, bien que Simon dit que l’objectif est en fait d’aider les hommes à s’intégrer la population active.

Yael Simon de la Fondation Kemach (Capture d'écran YouTube)
Yael Simon de la Fondation Kemach (Capture d’écran YouTube)

« Les femmes ultra-orthodoxes ne sont pas sous-représentées sur le marché du travail israélien », fait-elle remarquer.

Feldstaine dit que les femmes qui recherchent une formation à son bureau ont souvent un mari qui est un important érudit de la Torah ou un directeur de yeshiva, donc elles veulent une profession qui leur permettra de gagner plus. « Les femmes obtiennent souvent des subventions pour un travail social, l’ergothérapie, la psychologie et la thérapie de la parole. »

Kemach suit ses étudiants tant pendant leurs études et qu’après l’obtention du diplôme pour voir comment ils s’adaptent et et progressent dans leur carrière. Alors que le taux de décrochage scolaire des collèges Haredi dans le pays est de plus de 50 %, Simon affirme que Kemach a moins de 5 % d’echec.

« Nous vérifions les familles, nous nous assurons qu’il n’y a pas de malnutrition et qu’ils paient des impôts. Il y a une approche holistique, plutôt que de les laisser à l’abandon et qu’ils reprennent de mauvaises pratiques », explique Simon, qui voit un autre avantage de Kemach dans l’amélioration de la vie des familles.

« Quand il y a de l’argent, l’argent résout beaucoup de choses. L’argent paie les factures, il paie les frais de la yeshiva, il paie la nourriture, il paie une belle paire de téfilines. Sans argent, c’est difficile de fonctionner ».

Mais Kemach pense également que ses diplômés ont quelque chose d’unique à offrir.

« Les Haredim en Israël ont beaucoup à offrir», dit Simon, «en termes de culture, de diversité, de valeurs familiales et d’étude de la Torah. Nous avons juste besoin de le rendre viable ».

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