La BBC accuse Tsahal d’avoir retenu et fouillé des journalistes en Syrie
Feras Kilani a déclaré que son équipe avait été retenue pendant des heures sous la menace des armes, interrogée et menacée après avoir filmé près de positions de Tsahal dans la zone tampon

Des soldats israéliens ont arrêté le correspondant spécial de la chaîne BBC Arabic Feras Kilani, citoyen britannique, ainsi que six de ses collègues dans le sud de la Syrie, le 9 mai. Les membres du groupe, qui avaient filmé à proximité de positions israéliennes dans une zone tampon contrôlée par les Nations Unies près de la ville de Quneitra, auraient été fouillés, interrogés et menacés, a expliqué la chaîne jeudi.
L’équipe était en reportage dans des zones proches du plateau du Golan, afin de documenter les récentes opérations de l’armée israélienne en territoire syrien.
Depuis la chute du régime d’Assad, en décembre, Tsahal a déployé ses combattants sur 9 postes dans le sud de la Syrie, principalement dans une zone tampon contrôlée par l’ONU, à la frontière entre les deux pays. Les soldats opèrent dans des zones pouvant s’enfoncer jusqu’à environ 15 km sur le sol syrien. Leur objectif est de saisir des armes qui, selon Israël, pourraient constituer une menace pour le pays si elles tombaient entre des mains « hostiles ».
L’équipe de la BBC comprenait deux Irakiens et quatre Syriens, parmi lesquels des pigistes et un caméraman. Les membres du groupe effectuaient des prises de vues près d’un poste de la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement (FNUOD) quand un responsable de l’ONU les a informés que les militaires israéliens avaient demandé qui ils étaient, et qu’il leur avait alors été répondu qu’ils travaillaient pour la BBC.
Alors que les journalistes poursuivaient leur route en direction de Quneitra, ils étaient arrivés à un poste de contrôle non gardé à environ 200 mètres de la ville, a raconté Kilani. Sur place, ils avaient vu des chars Merkava, dont un portant le drapeau d’Israël, ainsi que des soldats israéliens qui les observaient depuis une tour voisine.
En réponse, Kilani a brandi son badge d’identification de la BBC. Mais peu après, un véhicule blanc s’est approché du groupe et quatre soldats israéliens en sont sortis, arme au poing.

« Ils ont pointé leurs fusils sur nos têtes et nous ont ordonné de déposer la caméra sur le bord de la route », a écrit Kilani dans son témoignage. Il a expliqué avoir réussi, avant que les téléphones du groupe ne soient confisqués et que leur voiture ne soit fouillée, à envoyer un bref message à des collègues, à Londres.
Le groupe avait ensuite été escorté dans la ville de Quneitra avant de s’arrêter au point de passage séparant la ville et la partie du plateau du Golan occupé par Israël.
Là, a poursuivi Kilani, les soldats israéliens ont examiné les images réalisées.
« L’un d’eux, situé à quelques mètres, a pointé son fusil en direction de ma tête », a-t-il ajouté.
Au bout de deux heures, Kilani a été invité à sortir de la voiture et à s’entretenir dans un mauvais arabe avec un homme non identifié via un téléphone portable, a-t-il indiqué.

« Il m’a demandé pourquoi nous filmions des positions militaires israéliennes », a déclaré Kilani. « Je lui ai dit que j’étais un journaliste britannique, que je travaillais pour la BBC, et je lui ai expliqué exactement ce que nous faisions. »
Peu de temps après, l’équipe a été transférée dans un bâtiment autrefois utilisé par l’armée syrienne. Kilani a expliqué avoir été séparé du groupe. Un officier supérieur, qui parlait couramment l’arabe palestinien, lui a affirmé qu’il ne devrait porter ni menottes ni bandeau sur les yeux, « contrairement aux autres membres de votre groupe ».
Kilani a ensuite dû se déshabiller pour être fouillé, et s’est retrouvé en sous-vêtements.
« Il a fouillé jusqu’à l’intérieur de mes sous-vêtements, à l’avant et à l’arrière ; il a fouillé mes vêtements, puis m’a demandé de me rhabiller et a commencé à m’interroger. Il me posait même des questions personnelles sur mes enfants, et sur leur âge. »
Kilani a également fait part de l’impact émotionnel de cette expérience, durant laquelle il a vu ses collègues « ligotés et les yeux bandés », emmenés un par un pour subir des fouilles et des interrogatoires similaires.

« J’ai supplié l’officier de les libérer. Il a promis de le faire après leurs interrogatoires », a-t-il raconté.
Au cours des heures suivantes, les téléphones et ordinateurs portables de tout le groupe ont été soigneusement analysés, des photos personnelles ont été supprimées et les journalistes ont été menacés, a affirmé Kilani.
« L’officier nous a menacés des pires conséquences si nous nous approchions à nouveau de la frontière du côté syrien. Il a ajouté qu’ils savaient tout de nous, et qu’ils nous retrouveraient si nous osions publier une photo cachée ou non supprimée », a-t-il rapporté.

Finalement libérés vers 21 heures, les membres du groupe ont été escortés par des véhicules israéliens jusqu’à une route de campagne à la sortie de Quneitra. Leurs téléphones ont alors été lancés dans leur direction.
« Nous étions perdus dans l’obscurité, sans signal, sans Internet et sans aucune idée de l’endroit où nous nous trouvions. Nous avons continué à conduire, puis nous sommes arrivés dans un petit village », a rapporté Kilani.
Avec l’aide des habitants, ils ont pu retrouver l’autoroute et rentrer à Damas environ 45 minutes plus tard.
La BBC a déposé une plainte officielle auprès de l’armée israélienne, mais la chaîne n’a pas encore reçu de réponse. L’armée israélienne n’a fait aucun commentaire sur l’incident.