La coalition fait avancer la loi qui permettrait de réintégrer Deri au cabinet
Ce faisant, le gouvernement défie la Haute-Cour ; la législation qui interdirait aux juges de réexaminer certains textes de loi choisis a aussi avancé
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

La Knesset a fait avancer mercredi un texte de loi taillé sur mesure pour le leader du Shas, Aryeh Deri, et qui lui permettra de réintégrer le cabinet quelques semaines après que la Haute-Cour de justice a estimé que ses nominations à la tête de deux ministères étaient « déraisonnables à l’extrême » en raison de ses condamnations passées.
Initié par le député Moshe Arbel, ce texte ôte à la Cour la possibilité de statuer sur les nominations judiciaires et il pourrait ouvrir la porte au retour de Deri dans le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu – qui avait dû le renvoyer avec réticence, le mois dernier, sur ordre du tribunal et de la procureure-générale.
« Tout ne doit pas être justiciable », a expliqué le ministre de la Justice Yariv Levin pendant le débat qui a précédé la lecture préliminaire de la législation à la Knesset. Levin, l’un des artisans du plan de la coalition visant à élargir considérablement le pouvoir de l’exécutif en supprimant le contre-pouvoir assuré par le système judiciaire, a indiqué que la capacité de la Cour à réexaminer les nominations, comme c’est le cas actuellement, « pose un problème d’usurpation du pouvoir » par une institution « qui n’en a pas l’autorité », ajoutant que « c’est celui qui détient l’autorité qui doit endosser aussi les responsabilités ».
La législation a été approuvée en lecture préliminaire avec 62 voix « Pour » et 53 voix « Contre », et elle sera présentée en Commission de la Knesset pour déterminer dans quelle commission elle sera examinée avant ses trois lectures futures en séance plénière.
Deri était absent lors de ce vote.
Le député Gideon Saar, qui appartient au parti d’opposition de centre-droit HaMahane HaMamlahti, a estimé que l’amendement « va créer un no-man’s land concernant les nominations, en empêchant la Cour d’intervenir dans la désignation à des postes de pouvoir d’individus accusés d’être sous influence étrangère ou d’avoir commis des crimes ».

Faisant le lien entre l’amendement et le programme de refonte du système judiciaire, auquel Saar s’oppose largement, l’ancien ministre de la Justice a déclaré que « l’objectif du gouvernement est de créer un vide juridique total » de manière à ce que « pour ce dernier, il n’y ait pas de règles, pour qu’il puisse faire absolument ce qu’il veut sans que personne ne soit en mesure de le contrôler ».
Le projet de loi – qui consiste en un amendement à la « Loi fondamentale : Le gouvernement », quasi constitutionnelle – stipule « qu’il n’y aura pas de réexamen judiciaire de la part d’une Cour de justice concernant toute affaire liée ou provoquée par la nomination d’un ministre ou par son départ, à l’exception de la conformité nécessaire du candidat aux conditions d’éligibilité avancée dans la section 6 » de la même législation.
Au mois de décembre, la coalition avait procédé à un changement dans la même « Loi fondamentale : Le gouvernement » pour permettre à Deri d’être nommé ministre suite à sa condamnation, en 2022, à une peine avec sursis pour délits fiscaux.
Cherchant à éviter que la Commission centrale électorale en vienne à examiner sa nomination en déterminant s’il devait être reconnu coupable de « turpitude morale » dans le cadre de sa condamnation de 2022 – une détermination qui l’aurait empêché d’occuper un poste public pendant sept ans – la coalition avait modifié la loi pour déclarer que seule une peine de prison ferme était susceptible d’interdire l’accès à un portefeuille ministériel à un individu.
En plus de sa condamnation en 2022 pour fraude fiscale, Deri avait purgé une peine de prison ferme suite à sa condamnation pour pots-de-vin en 2019, lorsqu’il avait été reconnu coupable de corruption alors qu’il était ministre. Dans son jugement explosif rendu au mois de janvier, la Haute-cour avait déclaré que la décision prise par Netanyahu de nommer un délinquant financier récidiviste aux postes de ministre de la Santé et de ministre de l’Intérieur – des ministères où il aurait été responsable des budgets – était « déraisonnable à l’extrême ».

La Cour avait aussi affirmé que le principe d’Estoppel empêchait Deri d’assumer ses fonctions au cabinet dans la mesure où dans sa négociation de peine, au mois de janvier 2022, il avait donné l’impression à la Cour des magistrats de Jérusalem qu’il allait quitter définitivement la politique pour garantir la conclusion de l’accord avec les juges.
Deri nie, de son côté, s’être engagé à sortir de la vie publique.
Les membres de la coalition ont aussi signalé leur intention de faire adopter une loi qui interdirait aux tribunaux de se baser sur la notion juridique de « caractère raisonnable » pour émettre un verdict.

Par ailleurs, dans le cadre de son initiative de refonte radicale du système judiciaire, la coalition a fait avancer mercredi un projet de loi qui permettrait à la Knesset d’adopter des lois bénéficiant d’une immunité face à éventuel réexamen de la Haute-cour de justice et de limiter le droit de supervision de juges en exigeant la décision unanime des quinze magistrats de la Cour pour invalider une loi.
Ce projet de loi limiterait ainsi l’autorité unique de la Cour suprême en matière de réexamen des projets de loi. Même s’il a été proposé sous la forme d’une loi dite « d’exemption » qui viendrait modifier deux Lois fondamentales, il ne comprend pas la clause dite « dérogatoire » qui permettrait à la Knesset de relégiférer un texte rejeté au préalable par le tribunal.
Presque identique à une législation qui est discutée en parallèle au sein de la Commission de la Constitution, du Droit et de la Justice, le projet de loi privé rédigé par le président de la Commission, Simcha Rothman, a été adopté en première lecture avec 62 voix « Pour » et 51 « Contre ».
Hier, la coalition avait adopté en première lecture son texte visant à ancrer la prise de contrôle, par la coalition, du choix des juges, et qui empêche la Cour suprême de procéder au réexamen judiciaire des Lois fondamentales, quasi-constitutionnelles au sein de l’État juif. Une règle qui s’appliquerait à la « Loi fondamentale : le système judiciaire » que les textes votés hier et aujourd’hui viennent amender. La législation présentée aujourd’hui vient amender pour sa part la « Loi fondamentale : La Knesset ».