La communauté juive milanaise face à l’épidémie du Coronavirus
A Tel Aviv, une cinquantaine de passagers étrangers sont restés à bord de 3 avions en provenance de villes italiennes ; Les passagers israéliens ont été placés en quarantaine
MILAN – Troisième pays frappé par l’épidémie de Coronavirus (dit Covid-19), derrière la Chine et la Corée du Sud, l’Italie est devenue en l’espace d’une semaine la bête noire de l’Europe et le sujet politique numéro un en France, divisant les partisans de la fermeture des frontières d’un côté, et ceux qui jugent cette mesure inefficace et inutile de l’autre.
Tous les regards sont notamment rivés sur la Lombardie, région du nord et centre névralgique de l’économie italienne, qui vit désormais au ralenti entre zones « rouges », astreintes au confinement, et zones « jaunes » privées d’écoles, ou lieux publics tels que les musées, cinémas, salles de sport et quelques commerces.
Si de nombreux professionnels de la santé tentent de calmer le jeu pour éviter la psychose, les Milanais oscillent entre panique et relativisme, et tentent tant bien que mal d’appliquer les consignes du gouvernement en évitant tout regroupement non nécessaire.
Les autorités italiennes ont adopté dimanche des mesures drastiques pour enrayer la contagion, dont la fermeture des écoles pour une durée d’au moins une semaine, renouvelable. Les bars ont eux eu l’obligation de fermer à 18 heures, soit l’heure généralement prisée par les Milanais pour le célèbre « aperitivo », dont raffolent également les touristes. Une décision d’ailleurs révoquée mercredi soir par les autorités après trois jours d’application.
« Situation de crise »
La communauté juive de Milan, forte de ses 5 000 membres a elle aussi dû s’organiser pour répondre aux inquiétudes et mettre en place un dispositif d’urgence au sein de ses deux infrastructures principales : l’école juive ou « Scuola Ebraica », dont la scolarité va de la crèche à l’équivalent de la terminale, et la maison de retraite communautaire.
« Nous avons agi très rapidement pour affronter cette situation d’urgence en informant les parents d’élèves de la fermeture de l’école », explique Milo Hasbani, le président de la Communauté juive de Milan, ajoutant suivre attentivement l’évolution de la situation et jugeant probable la prolongation des mesures.
« Je suis personnellement en contact permanent avec la préfecture », dit-il.
Nous sommes par ailleurs informés de la tenue d’un Conseil de la Communauté tenu mardi soir au cours duquel a été discuté l’hypothèse de mettre en place un centre d’appels pour permettre une communication d’urgence et la création d’un comité de crise.
Outre l’école, la maison de retraite de la communauté a également dû appliquer les mesures d’urgence, notamment dans le cadre des visites des pensionnaires : pas plus d’un proche à la fois, et la fermeture de la synagogue située dans l’enceinte du bâtiment pour Shabbat.
Plusieurs événements communautaires prévus ont également dû être reportés comme le gala organisé par l’association Keren Ayasod mais aussi une Bar Mitzvah.
« Nous avons célébré une Brit Milah (circoncision, NDLR) mais en comité très restreint », explique le secrétaire général de la Communauté, Alfonso Sassun, qui raconte avoir eu des dizaines d’appels notamment de parents d’élèves entre samedi soir et dimanche matin.
« Nous attendons de voir si la synagogue sera ouverte ce Shabbat », indique M. Sassun, en coordination avec la préfecture.
Les bureaux de la communauté, situés dans l’enceinte de l’école sont eux restés ouverts cette semaine et les militaires de l’opération « Strade sicure » (« Rues en sûreté ») postés devant l’entrée continuent comme d’accoutumée de protéger le bâtiment, quasi-vide.
Aux abords de l’école située dans le quartier juif de Milan, les rues sont quasi-désertes, comme c’est le cas dans le centre de la ville, d’ordinaire bondé de touristes. L’un des restaurants casher prisés du quartier déplore la baisse de ses activités. « Hier j’ai fermé à 18 heures car il n’y avait personne », nous dit la propriétaire, sans perdre le sourire.
Et si les enfants sont privés de cours pour au moins huit jours, le personnel s’est mobilisé pour envoyer aux parents des devoirs à faire à la maison, notamment via « google class », afin d’éviter de prendre du retard dans le programme, et au cas où la fermeture de l’établissement viendrait à être prolongée ultérieurement.
Aucun contrôle à l’aéroport de Tel Aviv
Parmi les parents, certains ont décidé de quitter le pays à l’annonce de la fermeture de l’école. C’est le cas de Joelle, mère de deux enfants scolarisés à l’école juive, qui s’est envolée avec eux pour Tel Aviv dès mardi.
« J’ai décidé de partir car tout était fermé pour deux semaines et je n’aurais pas su quoi faire avec les enfants », explique-t-elle au Times of Israël. « Nous ne savons pas si la situation ne va pas dégénérer », ajoute-t-elle.
Interrogée sur sa confiance en les autorités italiennes à endiguer l’épidémie, la jeune trentenaire déplore une exagération, selon elle, mais « je ne sais pas à quel point c’est dangereux, il s’agit de ma seule opinion », précise-t-elle.
Arrivés à l’aéroport Ben Gurion depuis Milan en fin de journée mardi, Joelle et ses enfants ont été surpris de n’avoir subi aucun contrôle ou fait l’objet de traitement spécifique de la part des autorités israéliennes, qui prévoyaient la mise en quarantaine des voyageurs en provenance d’Italie. Il a finalement pris un jour de plus au ministère israélien de la Santé pour officialiser cette mesure et conseiller les citoyens d’éviter les voyages « non essentiels » à l’étranger.
Ce sentiment d’exagération ou d’alarmisme face à l’épidémie, dont nous a fait part Joelle, est partagé par de nombreux Italiens, notamment les Israéliens vivant à Milan, qui représentent une communauté d’environ 1 500 personnes.
Parmi eux, le Times of Israël s’est entretenu avec Sharon, qui vit depuis seize ans dans la capitale économique italienne et dit avoir pleine confiance en les autorités qui ont agi de manière très efficace, selon elle.
Elle déplore par ailleurs le traitement médiatique de la situation ici en Israël et raconte avoir été approchée par les médias israéliens pour filmer des étagères vides de supermarché et prétendre à la panique.
« Si j’ai un message à faire passer c’est celui-ci, je ne panique pas ! », insiste-t-elle.
« Nous trouvons tout ce dont nous avons besoin au supermarché », martèle Sharon, avant de détailler, exaspérée : « j’ai donné une liste à mon mari dimanche à 18 heures, il est revenu avec tout ce que je lui avais noté ».
« La situation n’est pas normale mais elle n’est pas catastrophique », poursuit cette maman d’un petit garçon de sept ans, dont l’anniversaire est prévu la semaine prochaine.
« Ma mère devait venir spécialement d’Israël pour l’occasion mais je lui ai dit d’annuler par précaution car mon père a des problèmes pulmonaires donc je ne voulais prendre aucun risque », dit-elle avec sang-froid, sans céder à la panique.
Si elle se dit « très en colère » contre les médias israéliens, elle fait ensuite une comparaison intéressante : « tout comme nous (les Israéliens) n’aimons pas que les médias du monde entier décrivent la fin du monde en Israël quand ce n’est pas le cas, je ne vois pas pourquoi les médias israéliens prétendent à la catastrophe ici ».
Une autre israélienne de Milan approchée pour une interview répond d’emblée : « si vous souhaitez entendre la vérité, je suis prête à témoigner, si vous recherchez de la panique, non. »
Et si les vols entre l’Italie et Israël continuent de fonctionner normalement, le gouvernement israélien a rapatrié trois jeunes Israéliens envoyés à Milan dans le cadre d’un programme mis en place avec l’Agence juive, nous explique le président de la Communauté.
Les Milanais attendent de leur côté d’un jour à l’autre une mise à jour des mesures pour la semaine à venir, même si une majorité s’attend au statu-quo.
Israël a exhorté jeudi ses ressortissants à éviter tout voyage à l’étranger et fermé ses frontières aux voyageurs non-Israéliens en provenance d’Italie où ont été recensés plus de dix décès dus au nouveau coronavirus.
Les autorités ont confirmé un troisième cas de contamination en Israël. Il s’agit d’un Israélien arrivé d’Italie « il y a quatre jours », a indiqué Moshé Bar Siman Tov, directeur général du ministère de la Santé lors d’un point presse à Tel-Aviv.
Les deux autres cas sont des anciens passagers israéliens du paquebot Diamond Princess, l’un des plus importants foyers de contagion hors de Chine.
Israël a ajouté l’Italie à la liste des pays et régions en provenance desquels les voyageurs sont interdits d’entrée sur son territoire, après le Japon, la Corée du sud, Macao, la Thaïlande, Singapour et Hong Kong.
A leur arrivée à l’aéroport Ben Gurion de Tel-Aviv, une cinquantaine de passagers étrangers ont dû rester à bord de trois avions en provenance de villes italiennes, où ils doivent être ré-acheminés dans la journée, a indiqué le ministère de l’Intérieur dans un communiqué.
Les passagers israéliens ont pu débarquer et ont été placés en quarantaine.
Dans une note publiée mercredi, le ministère de la Santé a exhorté les Israéliens à « ne pas se rendre en Italie », qui compte pour l’heure 12 décès liés à l’épidémie sur plus de 400 cas recensés localement.
« Il y a une forte chance que la maladie se soit répandue dans d’autres pays d’Europe et dans de nombreuses autres régions du monde, c’est pourquoi le ministère de la Santé exhorte la population à considérer le besoin de voyager à l’étranger », a souligné le ministère.
L’AFP a contribué à cet article.
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