La « cool » pub de Yad Vashem pose question sur l’orientation du musée de la Shoah
Des Israéliens se disent surpris du spot télévisé dans lequel un joyeux pianiste annonce un spectacle son et lumière, dans un lieu dédié à la mémoire des six millions de Juifs assassinés

Nombre d’Israéliens ont été surpris, cette semaine, par la publicité télévisée pour la nouvelle programmation théâtrale du mémorial national de la Shoah et du musée – à commencer par le spectacle son et lumière – qui invite le public à venir découvrir « l’autre versant de Yad Vashem ».
Cette annonce pose question sur l’orientation prise par cette institution dédiée à la mémoire des six millions de Juifs assassinés par l’Allemagne nazie et certains considèrent qu’elle est allée beaucoup trop loin pour attirer de nouveaux visiteurs.
Dans ce spot publicitaire, diffusé en Israël depuis la semaine dernière, on entend une voix qui, en hébreu, demande aux visiteurs ce qu’ils pensent lorsqu’ils voient le logo de Yad Vashem, sur un fond gris on ne peut plus classique. Alors, la musique se fait tragique et se succèdent alors à l’écran des visuels à un rythme effréné jusqu’à ce qu’une voix invite les spectateurs à découvrir « l’autre versant de Yad Vashem », avec un tout nouveau – et émouvant – spectacle son et lumière et d’autres spectacles musicaux et théâtraux.
Dans cette publicité télévisée, qui dure 20 secondes, on voit également un musicien jouer du piano avec un large sourire aux lèvres.
L’utilisation de telles images pour faire la publicité de l’une des institutions les plus solennelles du pays n’a pas manqué de susciter indignation et perplexité sur les réseaux sociaux.
« Est-ce que je viens vraiment de voir une publicité pour Yad Vashem qui essaie de se donner une image plus cool, moins axée sur la Shoah ? », a écrit Amir Barkol sur X. Comme s’il proposait de donner rendez-vous dans ce musée commémoratif au thème tragique, il écrit : « Hé bébé, pour ton anniversaire, ça te dirait d’aller voir une expérience audiovisuelle fascinante et stimulante dans la vallée des communautés de Yad
Vashem ? »
« Quelle est la prochaine étape, un Fast Pass pour ne pas avoir à faire la queue ? Un hôtel sur place peut-être ? », a écrit un autre utilisateur de X, Oren Evron, en le comparant à un parc à thème comme ceux de Disney.
Des enseignants de la Shoah ont eux aussi été perturbés par le ton de la publicité.
« Je crois que la façon de faire passer le message est très problématique et je comprens que les gens la trouvent inappropriée », estime John Efron, professeur d’histoire juive à l’Université de Californie à Berkeley. « Cette publicité donne le sentiment qu’une visite à Yad Vashem a quelque chose d’amusant et de palpitant. Est-ce vraiment le message qu’ils veulent faire passer ? »
Pour Alvin Rosenfeld, directeur du Centre pour l’étude de l’antisémitisme contemporain à l’Université de l’Indiana, « aller à Yad Vashem n’est pas « amusant » et n’a aucune raison de l’être ».
Il ajoute : « Intentionnelle ou non, cette publicité a un côté « divertissement » qui finit par donner une tournure légère à la visite à Yad Vashem. Cela me semble totalement en décalage avec l’objectif et le sens même de cette institution. »
Yad Vashem a défendu sa publicité en disant que son objectif était de mettre en avant les nouvelles initiatives, pour un enseignement innovant de la Shoah.
« Cette publicité est le moyen de faire savoir au public qu’il y a de nouvelles choses à voir et de nouvelles histoires à entendre, à Yad Vashem, même pour ceux qui y sont déjà allés par le passé et qui pourraient penser que nous n’avons rien de nouveau à leur proposer », explique l’institution au Times of Israel.
« Ces nouveautés ne tombent peut-être pas sous le sens quand on pense à une visite à Yad Vashem. Mais elles font partie de notre mission, qui consiste à raconter l’histoire de la vie juive avant et pendant la Shoah », ajoute le communiqué du musée.
Yad Vashem se dit constamment à la recherche de nouvelles façons de raconter l’histoire de la Shoah et d’impliquer le public. « Ce qui passe par des initiatives comme le théâtre Touching Memories, l’expérience audiovisuelle à la Vallée des Communautés ou l’ouverture d’une nouvelle collection qui raconte des histoires inédites à travers des œuvres d’art et des artefacts et offre un aperçu du travail en coulisses », poursuit-il.

Quant au nouveau spectacle « son et lumière », il ne sera pas disponible avant plusieurs mois, précise Yad Vashem.
Cette nouvelle publicité, oeuvre de l’un des plus importants centres mondiaux pour l’enseignement et la mémoire de la Shoah, est le reflet des difficultés à faire face à un monde qui change, 80 ans après la fin de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale : face au regain d’antisémitisme qui se répand dans le monde depuis le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël et à la disparition progressive des derniers survivants, comment faire passer à la jeune génération les leçons du génocide contre les Juifs ?
Selon les experts, il est plus important que jamais d’employer les nouvelles technologies et de nouvelles méthodes pour enseigner les horreurs de la Shoah et les dangers de l’extrémisme.
Par ailleurs, Yad Vashem cherche à attirer davantage de visiteurs pour rester pertinent et financer ses actions, explique un ex-employé de l’institution qui a souhaité rester anonyme.
« Cette publicité ne me surprend pas. Yad Vashem a des difficultés financières et ils tentent de faire venir davantage de monde », explique la source. « Yad Vashem remplit une fonction très importante au sein de la société israélienne, mais les gens y vont très peu, si ce n’est le jour de la commémoration de la Shoah, et les employés partent parce qu’il n’y a plus d’argent. Il est logique que la direction tente de faire connaitre ce qui se fait. »
Selon cette même source, 40 % environ du budget de Yad Vashem vient du gouvernement israélien, le reste lui étant apporté par des dons privés, en baisse ces dernières années.
Les établissements d’enseignement tentent tous d’utiliser de nouveaux moyens pour offrir des expériences immersives, comme des films sur la Shoah, des expériences de réalité virtuelle, des campagnes sur les réseaux sociaux ou encore des outils d’intelligence artificielle.
Cette année, le Musée du patrimoine juif de New York a présenté sa nouvelle exposition – « Survivor Stories [NDLT : Histoires de survivants] » – dans laquelle les visiteurs peuvent avoir des conversations virtuelles avec des survivants via une interface d’IA.

Les rencontres avec des survivants de la Shoah ont longtemps été considérées comme le moyen le plus efficace de faire passer le message de la Shoah. Mais plus le temps passe et moins il reste de survivants capables de parler de ce qu’ils ont vécu.
Lors de la dernière cérémonie de la Journée internationale de commémoration de la Shoah et le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz, seuls 50 survivants sont venus, contre 300 il y a de cela dix ans.
De par le monde, on estime à plus ou moins 220 000 le nombre de survivants de la Shoah encore en vie, dont la moitié se trouvent en Israël, selon la Claims Conference, qui plaide pour des réparations en faveur des victimes de la Shoah.
La conscience de la Shoah décline partout dans le monde et selon une enquête récente de la Claims Conference, une grande partie de la population mondiale ignore que six millions de Juifs ont été tués pendant la Shoah et le négationnisme, comme la distorsion de la Shoah, se généralisent.