La couleur naturelle du cuir d’anciens tefillin illustre l’évolution de la loi juive
Selon l'analyse de phylactères vieux de 2 000 ans découverts dans des grottes du désert de Judée, aucune teinture n'a été utilisée ; le noir profond est exigé par la halakha contemporaine
Les tefillin – phylactères de prière – que les Juifs utilisaient en Terre sainte il y a plus de 2 000 ans étaient probablement de la couleur de leur cuir naturel, et non teints en noir comme l’exige la halakha – la loi juive orthodoxe – aujourd’hui, selon une étude de PLOS ONE publiée jeudi.
« Il s’agit d’une découverte très importante », a déclaré le Pr. Yonatan Adler de l’université d’Ariel, qui a dirigé l’étude. « C’est la première fois que les tefillin sont examinés scientifiquement pour déterminer leur couleur. »
Les tefillin sont de petites boîtes en cuir contenant des parchemins sur lesquels sont inscrits des versets bibliques que les hommes – et parfois les femmes – juifs pratiquants fixent sur leur tête et sur le haut de leur bras à l’aide de lanières de cuir, dans le cadre des prières du matin. La fabrication des tefillin est liée à des détails minutieux de la halakha, notamment la couleur noire universellement utilisée aujourd’hui.
Une étude israélo-britannique a examiné un groupe d’étuis de tefillin vieux de 2 000 ans trouvés dans les grottes du désert de Qumran, où les manuscrits de la mer Morte ont été découverts, et a déterminé qu’aucun colorant n’avait été utilisé dans leur fabrication, ce qui signifie qu’ils auraient eu leur couleur naturelle de cuir.
D’après une discussion dans la guemara, un texte juridique juif fondamental rédigé et compilé vers l’an 500 de notre ère, les lanières des tefillin devaient être noires, mais il y a eu un débat sur la question de savoir si les boîtes elles-mêmes devaient également être noires en vertu de cette règle.
Bien que la pratique consistant à teindre les lanières et les boîtes ait probablement précédé la décision rabbinique, cette étude permet de déterminer à quel moment elle s’est – ou non – répandue.
L’étude, intitulée « Les surfaces noires sur les étuis et les lanières de tefillin en cuir ancien du désert de Judée : Analyses macroscopiques, microscopiques et spectroscopiques » (« Black surfaces on ancient leather tefillin cases and straps from the Judean Desert : Macroscopic, microscopic and spectroscopic analyses »), a été publiée jeudi dans la revue à comité de lecture PLOS ONE. L’étude a été menée par des chercheurs de l’Université d’Ariel, de l’Autorité israélienne des Antiquités (IAA), de l’Université d’Exeter (Royaume-Uni) et de l’Institut Weizmann des sciences.
Certains tefillin anciens ont « une couleur brune naturelle », mais d’autres ont une teinte très foncée qui « était auparavant considérée comme le résultat d’une teinture artificielle effectuée pour se conformer à la loi qui exige que le cuir des étuis de tefillin soit noir », a expliqué Adler.
« Nos tests ont montré que lorsque le cuir apparaît sombre, c’est le résultat d’un processus naturel et non d’une teinture intentionnelle », a-t-il ajouté.
Pour examiner les anciens phylactères, les chercheurs ont utilisé une série de méthodes modernes, notamment l’imagerie multispectrale, la spectroscopie Raman (une technique d’analyse chimique non destructive), la spectroscopie ATR-FTIR et le SEM/EDX (microscopie électronique à balayage avec spectroscopie à rayons X à dispersion d’énergie).
« Les résultats des analyses n’ont montré aucune trace de colorants noirs sur aucun des étuis de tefillin », ont écrit les chercheurs dans un communiqué de presse de l’IAA annonçant les résultats.
« Dans les fragments sombres que nous avons examinés, la couleur semble être le résultat du vieillissement naturel du cuir plutôt que d’une teinture intentionnelle […] Par le passé, nous avons constaté que certains manuscrits de la mer Morte avaient également subi un processus similaire, ce qui a malheureusement entraîné un assombrissement du parchemin », a expliqué le Dr. Yonah Maor du laboratoire d’analyse de l’IAA.
Les tefillin utilisés dans l’étude ont été découverts en 1949 près de Qumrân, et d’autres ont été trouvés par la suite dans d’autres grottes du désert de Judée. Beaucoup plus petits que la plupart des ensembles de tefillin modernes, ils datent tous de la fin de la période du Second Temple, soit il y a environ 2 000 ans, et le climat du désert a permis aux phylactères de rester relativement intacts.
Ils sont actuellement conservés dans l’unité des manuscrits de la mer Morte de l’IAA à Jérusalem, qui reproduit les conditions des grottes du désert.
D’après les résultats de l’étude, il est probable que la pratique consistant à colorer les étuis de tefillin en noir foncé soit « une tradition plus tardive » qui « n’existait peut-être pas à l’époque du Second Temple, lorsque les anciens tefillin examinés dans le cadre de l’étude étaient en usage », notent les chercheurs.
« Il est probable qu’à l’origine, la couleur des tefillin n’avait aucune signification halakhique », a déclaré Adler. « Ce n’est que plus tard que les rabbins ont décidé que les tefillin devaient être de couleur noire. »
Même après que les tefillin noirs soient devenus la norme, « les autorités halakhiques ont continué à débattre de la question de savoir si l’obligation de colorer les étuis de tefillin en noir était une obligation absolue ou si elle était simplement préférable pour des raisons esthétiques », a déclaré Adler.
« On pense généralement que la loi juive est statique et qu’elle n’évolue pas. Nos recherches en cours sur les anciens tefillin montrent que c’est exactement le contraire qui est vrai ; la loi juive a toujours été dynamique. À mon avis, c’est cette vitalité qui rend la halakha si belle », a estimé Adler.