La danse de la mort
Chaque société a ses groupes marginaux, mais les jeunes vus en train de célébrer un meurtre lors d'un mariage à Jérusalem ont le potentiel pour apporter la ruine sur nous tous
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
La vision est nauséeuse, impensable. Et, se trouve-t-il, pas complètement nouvelle.
Dans son journal de la nuit mercredi, la Dixième chaîne a diffusé une vidéo de douzaine de jeune, visiblement des juifs orthodoxes israéliens, dansant à un mariage.
Plutôt que de célébrer comme il se doit l’union de deux jeunes gens qui commencent à construire leur vie ensemble, la vidéo montre une célébration frénétique de la mort : les meurtres de la famille Dawabsha – Ali, 18 mois, et ses parents Riham et Saad – qui ont été tués quand des terroristes ont incendié leur maison dans le village de Duma, en Cisjordanie, le 31 juillet.
L’extrême-droite israélienne a cherché à nier l’affirmation des autorités qui enquêtent sur le fait que les meurtres de Dawabsha sont un acte de terrorisme juif.
Les avocats de plusieurs suspects juifs dans cette affaire ont cherché à noircir le nom de l’agence de sécurité du Shin Bet pour les avoir supposément torturés. Plusieurs membres de la Knesset ont prêté un certain degré de soutien à cette campagne. Des centaines de personnes ont manifesté pour les suspects.
Mais la scène de ce mariage la semaine dernière à Jérusalem raconte une histoire horrible, indubitable. Ici, rassemblés dans une réjouissance sauvage, des douzaines de jeunes juifs israéliens se réjouissent des morts de la famille Dawabsha.
Décrits dans des reportages mercredi et jeudi comme des membres de l’extrême-droite et de la « Jeunesse des collines », avec l’un ou les deux membres du couple de jeunes mariés supposément « connus » des autorités de sécurité, ils chantaient une chanson qui saluait la « revanche » contre les Palestiniens.
Un des invités tient un faux cocktail Molotov en hommage à l’arme des meurtriers. D’autres agitent des armes automatiques et des couteaux. Au pic des festivités, une photo du bébé Ali Dawabsha est « poignardée ».
La condamnation de ces jeunes est venue ces dernières heures de pratiquement l’ensemble du spectre politique. Il y a eu d’innombrables professions d’horreur et de choc.
Et pourtant le propriétaire de la salle de mariage a déclaré au quotidien Yedioth Ahronoth qu’il y a des « douzaines de mariage comme celui-ci tous les mois », et que les autorités israéliennes en sont tout à fait conscientes. Il a dit qu’après le départ des personnes âgées, les jeunes dansent comme ça, et parfois certains d’entre eux sont arrêtés.
Une autre personne interrogée, dans le même journal, a raconté aller à de tels mariages « depuis des années », ajoutant, cependant, que brandir des armes et « poignarder » la photo d’un bébé assassiné « marque réellement le franchissement d’une ligne rouge ».
A présent, peut-être, nous comprenons mieux pourquoi le président Reuven Rivlin, le matin des meurtres de Duma, déplorait que « nous avons été laxistes dans le traitement des manifestations du terrorisme juif. Peut-être n’avons-nous pas compris que nous faisons face à un groupe déterminé et dangereux idéologiquement, a-t-il déclaré, qui vise à détruire les ponts fragiles que nous travaillons sans relâche à construire. »
Et pourquoi, à un rassemblement le lendemain, Rivlin a précisé : les flammes de la haine, de la violence, et « les croyances fausses, déformées et tordues qui se répandent dans le pays… Ces flammes, qui nous consument tous, ne peuvent pas être éteintes par de faibles condamnations [des politiciens]. Depuis le système éducatif, à ceux qui font respecter la loi, en passant par les dirigeants du peuple et du pays : nous devons éteindre les flammes, les incitations, avant qu’elles nous détruisent tous. »
A présent, peut-être, nous comprenons mieux la description, donnée à ce journaliste par des fonctionnaires de la sécurité un mois après les meurtres de Duma, d’une frange juive extrémiste qui est devenue si radicale qu’elle est au-delà de l’influence du leadership des rabbins même les plus bellicistes.
On m’a dit que ses membres ne tiennent compte d’aucune autorité. Certains sont prêts à tuer, à aller en prison à vie, et à être tués si nécessaire, pour soutenir la lutte froidement dérangée pour un territoire et des impératifs religieux apparents sur la vie.
A présent, peut-être, nous comprenons mieux les avertissements, y compris du ministre de l’Education Naftali Bennett, sur ces jeunes juifs honteux qui menacent l’existence même de l’Etat d’Israël. « Il y a une petite douzaine de personnes dont l’objectif n’est pas le meurtre, le meurtre est simplement leur moyen de saper les fondations de notre Etat », a déclaré Bennett cette semaine.
Le rabbin Eli Sadan, fondateur d’une yeshiva prémilitaire à Eli, en Cisjordanie, a déclaré tristement à la radio militaire jeudi que toutes les sociétés avaient leurs jeunes marginaux, leurs déclassés violents. Ça elles l’ont. Mais dans notre réalité hyper inflammable, une marge comme celle-ci, soulignée par les meurtres de Duma et ses violentes conséquences, a le potentiel pour incendier l’entreprise toute entière.
Bennett, qui dirige le parti national religieux HaBayit HaYehudi – le parti de la Knesset le plus clairement identifié au mouvement des implantations – a déclaré jeudi qu’il a essayé dans le passé de raisonner les extrémistes autoproclamés « jeunes des collines », au sein desquels se trouvent les auteurs de douzaines d’incendies d’églises, de crevaisons de pneus et d’autres crimes de haine qui auraient surgi, et au sein desquels se trouve également les meurtriers de Duma. Mais ils ne tiennent aucun compte de lui, a-t-il dit, et l’ont qualifié de « traître ». Là où sont les suspects dans l’affaire Duma, a-t-il observé, il est maintenant trop tard pour l’éducation.
Mais il n’est pas trop tard pour l’éducation là où des douzaines de personnes ont participé à cette inhumaine danse de mariage.
Il n’est pas trop tard pour les dirigeants politiques, les rabbins, les parents, les frères et sœurs et les amis pour éloigner ces jeunes dérangés du précipice. Il n’est pas trop tard pour l’Etat d’Israël pour réaffirmer son insistance à maintenir les valeurs juives fondamentales que ces jeunes gens ont perdues – et principalement, bien sûr, le respect fondamental pour le don divin qu’est la vie humaine.
Autrement, ces jeunes qui dansent, dérangés et se réjouissant de célébrer la mort d’innocents, apporteront la ruine sur nous tous.