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La démocratie américaine est-elle solide ? Réponses d’un historien

Pour les auteurs de « Fascism in America : Past and Present », la plupart des Américains ont beau trouver l'idée « totalement irréaliste », elle n'a rien d'improbable

Dans le sens des aiguilles d'une montre à partir de la droite : « Fascism in America », édité par Gavriel Rosenfeld et Janet Ward ; Des nazis américains font le salut lors d'un événement à White Plains, dans l'État de New York, dans les années 1930 (photo AP) ; Des partisans de Trump tentent de franchir une barrière de sécurité au Capitole,  Washington, DC, le 6 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/John Minchillo)
Dans le sens des aiguilles d'une montre à partir de la droite : « Fascism in America », édité par Gavriel Rosenfeld et Janet Ward ; Des nazis américains font le salut lors d'un événement à White Plains, dans l'État de New York, dans les années 1930 (photo AP) ; Des partisans de Trump tentent de franchir une barrière de sécurité au Capitole, Washington, DC, le 6 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/John Minchillo)

NEW YORK – Pour la plupart des Américains, l’idée d’une Amérique fasciste ne peut relever que de l’intrigue d’un roman comme « Le complot contre l’Amérique » de Philip Roth ou d’une série télévisée comme « L’homme de High Castle ».

C’est pourtant hautement inexact.

« Jusqu’à il y a peu, la perspective d’une Amérique fasciste aurait été considérée par le grand public américain comme totalement irréaliste », écrit Gavriel Rosenfeld dans l’introduction de Fascism in America : Past and Present, qu’il a co-écrit avec l’historienne Janet Ward, de l’Université de l’Oklahoma. Pour la grande majorité des Américains, le fascisme est l’exacte antithèse de ce que les États-Unis représentent.

Mais en vérité, la perspective d’une Amérique fasciste est tout sauf fictive, affirme Rosenfeld. Comme le livre tend à le montrer, les idées et organisations fascistes ont pris pied aux États-Unis dès le début du XXe siècle, avec l’émergence des lois Jim Crow dans le Sud et la montée de la xénophobie.

C’est à ce moment-là que le pays a connu une résurgence du Ku Klux Klan. À l’époque de la Grande Dépression, il y avait des groupes comme la Légion d’argent, organisation fasciste pro-nazis qui avait l’ambition de faire des États-Unis un « Commonwealth chrétien ».

Mais le livre ne parle pas que du passé, il évoque aussi l’époque contemporaine – avec un crochet par les années 1960 – : en témoignent l’article d’Ousmane K Power-Greene, chercheur à l’Université Clark, à propos de l’activisme antifasciste noir, ou ceux des chercheurs qui étudient la persistance de l’idéologie fasciste et la façon dont elle continue de menacer le pays.

« Je pense qu’il ne faut pas être trop complaisant en ce moment. Pour tout un tas de raisons évidentes, liées non seulement à la corruption personnelle de [l’ex-président américain Donald] Trump, à la flagornerie de ses partisans de MAGA [NDLR : Make America Great Again] ou à leur volonté de faire littéralement n’importe quoi pour accéder au pouvoir, mais aussi au fait que les Juifs sont plus forts lorsque la démocratie est libérale », explique Rosenfeld, universitaire allemand qui est également professeur d’histoire à l’Université de Fairfield et président du Centre d’histoire juive de l’Université de Fairfield, à New York.

Rosenfeld rappelle que Ward et lui ont eu l’idée de ce livre du temps de l’administration Trump, lorsque les sentiments nativistes ont refait surface, associés, par exemple, au désir de Trump de quitter l’OTAN.

Le livre, sorti officiellement le 12 décembre dernier, étudie également la manière dont les partisans de la démocratie libérale luttent contre le fascisme. Les lecteurs y apprendront comment les Juifs d’Europe et des États-Unis ont été parmi les opposants les plus farouches à l’extrémisme de droite, se joignant à d’autres groupes pour former un rempart contre l’autoritarisme galopant et le suprémacisme blanc.

Gavriel Rosenfeld, co-rédacteur en chef de « Fascism in America », lors d’un symposium au Center for Jewish History à New York, le 20 avril 2023. (Crédit : John Halpern)

Ces alliances seront à nouveau nécessaires pour s’opposer à un deuxième mandat de Trump, ajoute Rosenfeld, mais la guerre entre Israël et le Hamas risque bien de les séparer. Car si les contributeurs de cet ouvrage parlent surtout de l’extrémisme de droite, il y a aussi des menaces claires venues de la gauche, précise-t-il.

« Je suis très inquiet de l’impact de la guerre de Gaza sur les coalitions que les Juifs libéraux ont forgées contre l’extrémisme de droite, ces dernières années, avec des groupes afro-américains, des groupes LGBTQ, des Asiatiques, des Américains et d’autres encore », confie-t-il. « Nous sommes tous confrontés aux mêmes menaces, mais les divisions causées par la guerre contre le Hamas menacent d’affaiblir notre coalition contre le trumpisme, et je pense qu’il faut être très vigilant face à cela. »

Des militants pro-palestiniens lors d’une manifestation à New York, le 8 octobre 2023. (Crédit : Luke Tress/Times of Israël)

L’interview qui suit a été remaniée pour des raisons de clarté et de concision.

The Times of Israël : Comment définissez-vous le fascisme, et l’ex-président américain Donald Trump correspond-il à cette définition classique ?

Gavriel Rosenfeld : Les définitions du fascisme sont légion chez les chercheurs. En effet, la question de savoir comment définir le fascisme est l’une des plus controversées de tout le champ des études sur le fascisme.

Cela dit, je vois le fascisme comme un mouvement idéologique qui utilise la violence pour détruire l’ordre démocratique libéral et le remplacer par un système dictatorial bénéficiant à un groupe social particulier, généralement défini en des termes ethno-nationalistes.

Pendant une grande partie de l’administration Trump, il n’a pas respecté cette définition, bien que beaucoup de ses partisans de MAGA aient eux passé le cap. Depuis le 6 janvier 2021, et dans une grande partie de ses violents discours sur les institutions américaines, il est plus facile de voir en Trump un fasciste, même si c’est plus dans un sens situationnel ou opportuniste (par opposition à l’idéologie).

La police retient les partisans de Trump qui ont tenté de franchir une barrière policière, le 6 janvier 2021, au Capitole à Washington. (Crédit : AP Photo/Julio Cortez)

Dans l’introduction, vous évoquez la question de savoir si Trump est un fasciste ou s’il fait simplement usage du fascisme. La distinction a-t-elle un sens ?

Vient un moment où les actions importent davantage que les mots.

Personnellement, je ne crois pas que Trump soit entré dans la droite qui est la sienne, actuellement, par conviction idéologique. Mais à force de copiner avec tous les Nick Fuentes de ce monde et les complotistes de QAnon, on fait la promotion de ce que les gens appellent le terrorisme stochastique – celui des loups solitaires qui, comme à Pittsburgh, entrent dans des synagogues, comme celle de Tree of Life, pour tirer sur des gens – tout ça parce que vous avez parlé de la théorie du grand remplacement et du génocide blanc. A ce moment-là, peu importe que vous soyez un fasciste ou que vous l’utilisez.

Cela me fait penser à la phrase du roman de Kurt Vonnegut « Mother Night » : « Nous sommes ce que nous prétendons être, il faut donc faire attention à ce que nous prétendons être. »

Pour l’un de nos contributeurs, Hitler est devenu un antisémite radical parce qu’il a constaté que lorsqu’il utilisait des arguments antisémites radicaux dans les brasseries de Munich, il recevait un tonnerre d’applaudissements.

C’est ce qui l’a conduit à en faire toujours plus. À un moment donné, qu’il le croie ou non, cela l’a conduit là où il voulait aller. Et c’est là qu’il a commencé à croire à son discours. Peut-être était-il déjà enclin à penser ainsi, mais il a doublé, triplé la mise. Ce genre de dynamique de radicalisation peut prendre une vie entière.

La fondatrice de Zioness, Amanda Berman, deuxième à partir de la droite, a été invitée à quitter la Chicago Dyke March avec d’autres personnes portant des drapeaux de la fierté revêtus de l’étoile de David, en 2017. (Autorisation)

Le livre étudie les différentes façons dont les Juifs et d’autres minorités ont combattu l’extrémisme de droite. Pouvez-vous également nous parler de l’extrémisme de gauche que nous voyons et de l’impact qu’il pourrait avoir sur le vainqueur des élections de 2024 ?

Je pense qu’en tant que Juifs, nous avons toujours dû garder les yeux rivés sur plusieurs balles en même temps.

Dans le livre, nous parlons des réactions des militants juifs au fascisme des années 1930 et de l’importance pour les Juifs de former des alliances avec des Afro-Américains, des membres de syndicats et d’autres personnes menacées par les suprémacistes blancs et l’extrémisme de droite.

Je tiens à rappeler que, dans les années 1930, les Juifs se sont inquiétés face aux avancées du père Coughlin et du Front chrétien américain, sans oublier ce qui se passait alors sous le mandat britannique, avec des luttes violentes entre Arabes et Juifs.

D’une certaine manière, ce n’est pas différent de ce que nous vivons aujourd’hui. Il nous faut surveiller l’antisémitisme de gauche comme de droite.

Nous faisons face à deux menaces simultanées. Je suppose que c’est le lot des Juifs. Nous avons des intérêts, nous avons des alliances, mais qui vont et viennent. Ils faut en prendre soin, mais malgré tout, nous ne pouvons jamais être totalement relâchés. Nous devons rester vigilants.

Le Père Charles Coughlin, prêtre catholique qui a fait entendre des prêches antisémites à la radio (Crédit : Minnesota Historical Society / Avec la permission de Michael Benson)

Comment cela se passe-t-il en ce qui concerne Israël et la guerre avec le Hamas ?

Les Juifs de la diaspora et les Juifs israéliens ont des priorités différentes. Cela ne veut pas dire qu’elles s’excluent mutuellement, mais les Juifs de la diaspora font face à des menaces auxquelles les Juifs israéliens ne sont pas confrontés.

Par exemple, si Elon Musk donne des vents favorables aux extrémistes de droite en Amérique, et que certains de ces extrémistes prennent les armes et tirent sur un JCC ou une synagogue, cela n’affectera pas les Juifs israéliens, mais cela affectera certainement les Juifs de la diaspora.

Donc, d’un point de vue juif américain, cela signifie que cela ne nous plait pas que [le Premier ministre israélien] Benjamin Netanyahu se rapproche d’Elon Musk [le propriétaire de X] pour l’emmener à Beeri et lui montrer les ruines du kibboutz, car cela permet aux gens de droite, en Amérique, d’en conclure : « Vous voyez bien, Musk n’est pas antisémite. Votre réaction est excessive. »

Le milliardaire américain Elon Musk, à gauche, et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, au centre, en visite à Kfar Aza, le 27 novembre 2023. (Crédit : Amos Ben Gershom/GPO)

Parmi les essais que renferme votre ouvrage, lesquels parlent des différences entre les années 1930 et 2023 ?

L’essai de Tom Weber, qui compare les points de vue d’Hitler et de Trump sur la politique étrangère, révèle de fortes différences en termes de réponse aux turbulences géopolitiques (la conquête impériale par rapport au retrait semi-isolationniste des alliances). L’essai de Matthew Specter et Varsha Venkatasubramanian sur America First montre les manières dont les Américains, sauf Trump, ont utilisé l’expression.

Avez-vous une dernière réflexion à partager avec nous ?

La démocratie américaine a toujours été confrontée à des menaces et nous les avons toujours surmontées. Il ne faut pas pour autant en conclure que, de ce fait, notre pays est destiné à rester une démocratie forte et vigoureuse sans que nous ayons à nous battre.

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