La « diplomatie du faucon » du Kremlin réveille les craintes de braconnage
Le président russe s'est lancé dans une "diplomatie du faucon" en offrant de précieux faucons au roi d'Arabie saoudite et au prince héritier d'Abou Dhabi
D’une signe de la main, le roi saoudien a fait apporter le faucon blanc offert par Vladimir Poutine, puis lui a caressé la poitrine en souriant malgré les mouvements convulsifs de l’oiseau encagoulé.
Le président russe s’est lancé dans une « diplomatie du faucon » ce mois-ci lors de ses visites au Moyen-Orient, offrant de précieux faucons au roi Salmane d’Arabie saoudite et au prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, un fan de fauconnerie.
Mais en Russie, l’animal est fragilisé par le braconnage et le trafic vers la région du Golfe, où l’élevage, le dressage et l’utilisation de faucons pour la chasse est une tradition très populaire.
Le faucon gerfaut, le plus grand des faucons, est très prisé pour sa taille et son intelligence. En Russie, on le trouve notamment dans la toundra et la taïga de l’Arctique. Mais un projet d’envergure soutenu par le Kremlin pour élever et exporter ces oiseaux alarme les scientifiques, qui craignent les dérives et l’augmentation du trafic.
Jadis prisés des tsars, ces rapaces sont aujourd’hui protégés en Russie, où l’on encourt jusqu’à quatre ans de prison si on le capture illégalement.
Pour Brad Wood, éleveur basé aux États-Unis qui vend des faucons à des clients arabes, « la plupart des éleveurs comme moi savent que de nombreux jeunes faucons russes ont été envoyés illégalement de Russie au Moyen-Orient », où ils sont utilisés pour chasser ou pour la création d’hybrides résistants à la chaleur.
Les « faucons sauvages sont le fruit défendu », ajoute-t-il, au point qu’ils peuvent valoir jusqu’à 100.000 dollars.
Alors les braconniers ne se privent pas pour appâter les bêtes que des passeurs dissimulent ensuite dans de vieilles radios, des sièges de voiture ou leurs pantalons avant de prendre l’avion ou de passer une frontière terrestre, selon des rapports officiels.
Beaucoup de faucons ne survivent pas à ces voyages vers le Golfe. D’autres succombent au climat désertique de la région. Certains parviennent néanmoins à leurs clients, souvent lors de ventes privées sur invitation, selon Brad Wood.
Evgueni Lobkov, spécialiste des faucons, affirme même qu’un braconnage à « échelle industrielle » se pratique depuis des décennies au Kamtchatka (Extrême-Orient), où existent davantage de précieux faucons blancs.
Des braconniers bien équipés y opéreraient au vu de tous, indique-t-il, estimant que des centaines d’oiseaux sont capturés chaque année.
Et le trafic est rarement puni par la justice. En 2013, un homme arrêté par les douanes russes en possession de 29 oiseaux a disparu après que sa caution fut payée par l’ambassade des Emirats arabes unis, indiquent les médias locaux.
Les autorités russes ont annoncé ce mois-ci l’ouverture au Kamtchatka d’un centre d’élevage de 1.000 faucons par an et veulent en ouvrir cinq supplémentaires pour « reconstituer la population de faucons russes » diminuée par le braconnage.
Un centre de ces dimensions en ferait le plus grand du monde, assure le biologiste et éleveur britannique Nick Fox.
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a salué ce « projet d’entrepreneuriat », suggérant que les faucons seraient exportés dans le Golfe. Le ministre de l’Environnement émirati Thani al-Zeyoudi a lui déclaré à la chaîne russe RT que les travaux commenceraient « dans les prochains mois », évoquant un « partenariat » avec la Russie.
Bien que les faucons gerfaut ne soient pas en danger, leur commerce n’est autorisé que si les rapaces sont élevés dans des structures enregistrées auprès de la Convention internationale sur le commerce d’espèces menacées (CITES).
On ignore pour l’heure si le centre prévu au Kamtchatka disposera d’une telle licence. Choukrat Razakov, son futur directeur, a fourni les deux faucons blancs offerts par Poutine dans le Golfe.
Selon son compte Instagram, il dirige un élevage au Kirghizstan, où 200 faucons ont été importés des Emirats en 2017. Cet élevage, qui appartient à un Russe et un Emirati, est dépourvu de licence CITES.
Selon Sergueï Ganoussevitch, un spécialiste des faucons qui conseille les douanes russes, le projet du Kamtchatka est « propice à la corruption, dangereux pour l’environnement et sans fondement biologique ».
Plutôt que de construire de gigantesques élevages, « il faudrait mettre fin au braconnage et à la contrebande et le faucon ira bien », ajoute M. Ganoussevitch.