La famille Schusterman, de l’industrie du pétrole, soutient un groupe juif pour le climat
Selon les déclarations fiscales de 2023, une subvention de 300 000 dollars à Adamah marque l'entrée de la fondation dans la philanthropie climatique
La famille Schusterman, dont la fortune repose sur le secteur du pétrole et du gaz, s’est engagée auprès d’un groupe qui considère les émissions de combustibles fossiles comme une menace existentielle pour l’humanité.
Des déclarations fiscales de 2023 révèlent que la Charles and Lynn Schusterman Family Philanthropies a accordé une subvention de 300 000 dollars à Adamah, la plus grande organisation environnementale juive. La mission d’Adamah est de « cultiver des liens étroits entre judaïsme dynamique et la terre, en encourageant les changements culturels et systémiques par le biais d’expériences immersives, de l’éducation environnementale juive, du développement du leadership et de l’action pour le climat ».
C’est la première fois que cette fondation, l’une des plus influentes des États-Unis, soutient un groupe qui se consacre à la lutte contre le dérèglement climatique.
Bien que cette subvention ne représente qu’une fraction des 363 millions de dollars distribués par la fondation en 2023, elle est significative. Jusqu’à présent, l’environnement était l’un des rares thèmes progressistes sur lesquels les Schusterman n’avaient pas laissé d’empreinte. Habituée à investir massivement dans des domaines tels que l’éducation, la justice pénale, la justice reproductive et le droit de vote, la fondation a largement contribué à façonner les débats nationaux sur des questions comme la race, le genre et la classe.
Avec cette donation à Adamah, la famille Schusterman fait sa première incursion dans la philanthropie environnementale, tout en restant fidèle à son engagement historique envers la communauté juive. (La fondation est déjà un acteur clé dans le financement d’organisations juives, et notamment 70 Faces Media, la maison mère de la Jewish Telegraphic Agency.)
Ni Adamah ni les Schusterman n’ont accepté d’interviews, préférant transmettre des communiqués. Adamah a décrit le problème du réchauffement climatique comme « la crise existentielle de notre temps » et a souligné que le partenariat reflétait une vision commune d’un impact positif sur la communauté juive et la planète.
« Nous sommes reconnaissants envers la Schusterman Family Philanthropies pour son soutien, qui nous permet d’intensifier nos efforts en faveur d’un avenir plus durable et équitable », a déclaré Adamah. « Nous reconnaissons également les racines de la famille Schusterman dans l’industrie de l’énergie et saluons son engagement à utiliser ses ressources philanthropiques pour favoriser des changements environnementaux positifs. »
De son côté, la fondation a présenté cette donation comme une continuité des valeurs de longue date de la famille plutôt qu’une rupture avec son passé dans l’industrie pétrolière.
« La famille Schusterman est convaincue qu’une énergie abondante et abordable est essentielle au bien-être économique de la population mondiale croissante. Elle a réalisé des investissements ciblés dans des initiatives d’éducation et de protection de l’environnement », peut-on lire dans le communiqué. « En tant que l’une des principales organisations juives impliquées dans l’éducation à l’environnement, Adamah est l’un de ces bénéficiaires de ces investissements. Les Schusterman sont fiers que leur entreprise familiale leur ait permis de consacrer des ressources considérables à leurs priorités philanthropiques, notamment la promotion de l’équité raciale, sexuelle et économique aux États-Unis, ainsi que le renforcement de la communauté juive et d’Israël. »
Le nom Schusterman est depuis longtemps synonyme de philanthropie et de leadership au sein de la communauté juive. Charles Schusterman, patriarche de la famille, décédé en 2000, a laissé à sa femme Lynn et à sa fille Stacy la gestion de l’entreprise pétrolière familiale ainsi que de sa fondation. En 2011, la famille a vendu l’entreprise pour 7,2 milliards de dollars, un événement qui a permis d’élargir considérablement leur action philanthropique.
Aujourd’hui, la fondation est dirigée par Stacy Schusterman, qui a fondé sa propre société pétrolière, Samson Energy, après la vente de l’entreprise familiale, en se concentrant sur le forage dans le Wyoming.
La position de Stacy est inhabituelle pour une milliardaire du secteur pétrolier et gazier. Ainsi, lors des dernières élections, sa société Samson Energy a été la seule, parmi les principaux donateurs politiques de l’industrie des combustibles fossiles, à soutenir le Parti démocrate, généralement plus engagé sur les questions climatiques, plutôt que le Parti républicain, dont les positions sont souvent plus sceptiques, d’après le site OpenSecrets. Stacy Schusterman a également soutenu l’agenda climatique du président Joe Biden et a souligné l’importance du changement climatique dans les décisions d’investissement en technologies propres.
Le point de vue de Stacy tranche dans un secteur qui a traditionnellement financé le négationnisme climatique et qui est souvent critiqué par les militants écologistes pour l’impact des émissions de combustibles fossiles sur la planète.
Adamah, dont le nom signifie « terre » en hébreu, s’inscrit dans le mouvement pour le climat, mais son engagement sur ces questions est relativement récent. L’organisation, créée en 2023, résulte de la fusion entre Hazon, un groupe environnemental basé à New York, et le Pearlstone Center, un centre de retraite axé sur l’éducation en plein air près de Baltimore. Adamah partage son nom avec l’Adamah Farm Fellowship, un programme lancé en 2003 pour les jeunes adultes juifs, combinant agriculture, apprentissage juif et vie communautaire.
En 2023, Adamah a lancé son initiative phare, la Jewish Climate Leadership Coalition, qui regroupe 20 des principales institutions juives, représentant un éventail confessionnel allant de la réforme à l’orthodoxie. Parmi ses partenaires fondateurs figurent Hillel, les Fédérations juives d’Amérique du Nord, Taglit-Birthright, la Fondation pour les camps juifs et Moishe House.
Les membres de la coalition publient chaque année des plans détaillant leurs actions et engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de sensibilisation au climat. Ces plans, cependant, ne sont pas contraignants : chaque institution décide de ses priorités, qu’il s’agisse d’installer des panneaux solaires ou d’organiser des discussions communautaires sur le climat.
Cette approche consensuelle, laissant aux membres la liberté de déterminer leurs actions, contraste avec celle de groupes comme Dayenu, dont le nom signifie « assez » en hébreu. Plus militant, Dayenu mobilise la communauté juive pour manifester contre les compagnies pétrolières, voter pour des politiques climatiques ambitieuses et faire pression sur les institutions juives pour qu’elles retirent leurs dotations de l’industrie des combustibles fossiles. Plusieurs institutions ont récemment suivi ces recommandations.
Malgré leurs différences, la subvention accordée à Adamah par les Schusterman et les victoires récentes de Dayenu reflètent une tendance commune : une prise de conscience croissante parmi les institutions juives de leur rôle potentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique.
« C’est le début d’un mouvement qui va se généraliser au sein des groupes juifs », déclarait l’an dernier la rabbin Jennie Rosenn, PDG de Dayenu.
« Nous assistons à une reconnaissance croissante de la dimension profondément juive de cette question et du rôle que la communauté juive peut jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique. »