Israël en guerre - Jour 394

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AnalyseCraintes d'une "décennie perdue"

La high-tech israélienne pourra-t-elle sauver l’économie impactée par la guerre ?

Un an après le pogrom du Hamas, les experts s'interrogent sur la possibilité d'une reprise économique face à l'inaction du gouvernement pour soutenir un moteur de croissance crucial

Sharon Wrobel

Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.

Illustration : Des employés travaillant dans le secteur technologique. (Crédit : Hadas Porush/Flash90)
Illustration : Des employés travaillant dans le secteur technologique. (Crédit : Hadas Porush/Flash90)

Ophir Dror, l’un des fondateurs d’une nouvelle cyber start-up israélienne, a été enrôlé dans l’armée israélienne le jour de son anniversaire l’année dernière, le 7 octobre.

« Pendant quatre ou cinq mois, je n’étais pas disponible. J’étais à Gaza, je ne pouvais même pas prendre les appels Zoom, alors c’était vraiment très difficile de ne pas être là et de faire partie d’une entreprise que je venais de fonder et qui était sortie de la clandestinité pendant que je n’étais pas là », a raconté Dror au Times of Israel.

« Nous étions quatre fondateurs et quatre employés lorsque la guerre a éclaté. Comme il manquait beaucoup d’équipement à mon unité militaire, l’un des fondateurs a commencé à collecter des fonds. Pendant un mois et demi environ, le bureau ne s’occupait pas vraiment de cyber-sécurité, mais achetait diverses fournitures, les emballait et nous envoyait des colis. »

Malgré tout, Lasso Security a gagné la confiance des investisseurs, levant les fonds nécessaires au développement de son produit, et a presque triplé ses effectifs pendant la période de guerre.

Lasso n’est qu’un exemple parmi d’autres de la résilience économique et nationale d’Israël. Au cours de l’année écoulée, les fondateurs de start-ups, les investisseurs et les employés se sont transformés et adaptés. Nombre d’entre eux ont connu des difficultés pendant la période difficile de la guerre, alors qu’ils tentaient de continuer à alimenter la puissance technologique d’Israël, un moteur important de la croissance de l’économie du pays.

Aujourd’hui, un an après le début d’une guerre sans précédent contre le groupe terroriste palestinien du Hamas et la crainte d’une escalade régionale plus large, Dror craint que la résilience tant vantée ne soit en danger.

Ophir Dror, co-fondateur de la start-up israélienne Lasso Security. (Crédit : Autorisation)

La guerre a éclaté lorsque quelque 6 000 Gazaouis dont 3 800 terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël le 7 octobre, tué plus de 1 200 personnes, principalement des civils, enlevé 251 otages de tous âges, et commis de nombreuses atrocités et en utilisant la violence sexuelle comme arme à grande échelle.

Puis, le 8 octobre, le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran, a commencé à attaquer quotidiennement les communautés israéliennes et les postes militaires le long de la frontière avec des roquettes, des drones, des missiles antichars et d’autres moyens, affirmant qu’il le fait pour soutenir Gaza dans le cadre de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas qui s’y déroule. Au cours des dernières semaines, Israël a intensifié ses attaques contre le groupe terroriste chiite au Liban, décimant pratiquement son haut commandement lors d’une série de frappes aériennes puissantes – et très précises – sur Beyrouth et le sud-Liban.

« La principale raison de la progression de notre marque [start-up nation] est le talent que nous avons ici en Israël », a déclaré Dror.

« Une grande partie de ces talents ont la possibilité de travailler n’importe où dans le monde pour n’importe quelle entreprise. »

« Je pense que si nous arrivons à un point où une grande partie de ces talents – soit les jeunes qui sortent de l’armée ou de l’université, soit les personnes plus traditionnelles qui construisent cette industrie avec beaucoup plus de connaissances et d’expérience dans les entreprises – décident qu’Israël n’est pas le meilleur endroit pour vivre, et je pense que c’est le cas actuellement, ce sera un grand coup pour l’industrie de la haute technologie et la reprise de l’économie », a-t-il averti.

La dépendance de l’économie à l’égard du secteur high-tech s’est considérablement accrue au cours des dernières décennies. L’industrie technologique contribue à environ un cinquième du PIB local, contre 6,2 % en 1995, et représente plus de 50 % des exportations totales, tandis que ses employés génèrent un tiers des recettes fiscales, selon les données de l’Autorité israélienne de l’innovation (IIA).

Depuis le 7 octobre, les start-ups israéliennes sont confrontées à la mobilisation de dizaines de milliers de leurs employés, et le déplacement des résidents et des familles des communautés du sud et du nord perturbe le fonctionnement quotidien des entreprises.

La guerre n’ayant pas de fin en vue, l’industrie high-tech se trouve à un point de basculement où sa position en tant que centre technologique mondial stable pour faire des affaires et en tant que moteur principal de la résilience et de la reprise de l’économie de guerre est remise en question.

Le site où un missile tiré par le Hezbollah depuis le Liban a touché une maison à Kiryat Bialik, dans le nord d’Israël, le 22 septembre 2024. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Néanmoins, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre des Finances Bezalel Smotrich insistent sur le fait que les dommages économiques de la guerre ne sont que temporaires et que la reprise sera forte une fois les combats terminés, comme l’ont montré les conflits précédents.

Les économistes chevronnés et les anciens responsables politiques avec lesquels le Times of Israel s’est entretenu s’accordent tous à dire que cette fois-ci est différente et qu’Israël sera confronté à des préjudices économiques à long-terme, quelle que soit l’issue de la guerre. L’ampleur de ces dommages dépendra en grande partie de la capacité du gouvernement à concevoir un budget et une politique économique responsables qui investissent dans les moteurs de croissance, en particulier le secteur technologique, alors qu’il devra faire face à des dépenses de défense plus élevées dans les années à venir pour assurer la survie du pays.

« Il y a des signes inquiétants de ralentissement dans le secteur de la haute technologie, mais il est encore résistant », a déclaré Sergei Sumkin, chercheur principal à l’Institut Aaron pour la politique économique de l’Université Reichman.

« Nous sommes actuellement à la croisée des chemins et si le gouvernement n’intervient pas, n’augmente pas le budget de l’Autorité israélienne de l’innovation et ne prend pas les bonnes décisions pour soutenir le secteur technologique, le prix à payer pour avoir pris les mauvaises décisions aujourd’hui sera très élevé. »

Le secteur high-tech israélien, qui dépend des investissements étrangers, se classe toujours au troisième rang des centres mondiaux d’investissement, ce qui témoigne de sa résilience. Toutefois, l’image que les données dépeignent est déformée car, après le 7 octobre, la majorité des fonds ont été levés par des entreprises technologiques matures ou établies, principalement axées sur les solutions et les services de cyber-sécurité.

« Vous ne pouvez pas ignorer le fait que la guerre ajoute un risque supplémentaire à l’investissement, au travail et à la continuité des opérations ici en Israël », a déclaré Dror.

« Beaucoup de grandes entreprises internationales moins connues qu’Intel ferment leurs centres de recherche et de développement en Israël, ce qui est une mauvaise nouvelle car ces centres constituent un bon endroit pour trouver un premier emploi après l’université et une source pour faire venir plus de talents et d’argent de l’étranger. »

« Je pense que nous verrons probablement l’impact le plus important l’année prochaine », a-t-il estimé.

Les jeunes pousses et les entreprises technologiques d’autres sous-secteurs sont confrontées à l’incertitude du financement parce qu’elles sont perçues comme plus risquées pour l’investissement et qu’elles luttent donc pour survivre en période de guerre. Faute de financement suffisant, de nombreuses start-ups sont contraintes de fermer leurs portes ou de développer leurs idées novatrices en dehors d’Israël.

« Le principal sujet de préoccupation est le niveau d’incertitude dans lequel le gouvernement a plongé Israël, non pas le 7 octobre, mais dès janvier de l’année dernière, en raison de la très controversée refonte du système judiciaire, ce qui fait hésiter les investisseurs, les institutions financières et les entreprises qui ont besoin de prévisibilité pour l’avenir », a déclaré Ami Appelbaum, ancien président de l’IIA.

« Les principales difficultés que nous rencontrons aujourd’hui sont que l’industrie manque d’argent extérieur et que le nombre de nouvelles start-ups diminue, ce qui a des répercussions à long-terme. »

Au cours des dix premiers mois qui ont suivi le déclenchement de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas, les start-ups et les entreprises technologiques israéliennes ont levé près de 9 milliards de dollars de fonds auprès d’investisseurs, selon l’IIA. Le total des investissements dans les entreprises technologiques israéliennes depuis le 7 octobre a diminué de 4,7 % par rapport à la même période de l’année dernière.

Moran Chamsi, associé gérant d’Amplefields Investments. (Crédit : Merav Ben Loulou)

« On entend beaucoup parler de la résilience du secteur, car les Israéliens savent comment pivoter, mais cela ne peut pas durer éternellement », a déclaré Moran Chamsi, associé directeur du fonds d’investissement Amplefields.

« Les gens se sentent mal à l’aise […] les investisseurs en phase de démarrage en raison de l’incertitude, car ils ne savent pas ce qui va se passer, ce qui porte préjudice à l’industrie de la haute technologie. »

« Tout le monde a besoin de liquidités, ce qui est une tendance dans l’économie mondiale, mais encore plus en Israël en raison de la situation géopolitique – de nombreuses entreprises ont cessé de recruter car elles réduisent leur taux d’absorption », a déclaré Chamsi.

Des données récentes de l’IIA sur l’impact de la guerre sur l’industrie ont montré que sa durée et les difficultés de financement qui l’accompagnent ont entraîné un ralentissement de la croissance de l’emploi au cours des derniers mois.

« Entre 2017 et 2022, le secteur de la haute technologie a connu une croissance trois fois supérieure à celle de l’économie. Par conséquent, si cette plateforme n’est pas maintenue et alimentée, pendant la période de guerre, par des politiques économiques visant à soutenir divers domaines technologiques ainsi que des incubateurs, cela pourrait être le signe avant-coureur d’une décennie perdue pour l’économie israélienne », a mis en garde Sumkin de l’Université Reichman.

« Si la haute technologie, la plate-forme de croissance de l’économie, est touchée et que nous ne sommes pas en mesure de croître à un taux d’au moins 3,5 % dans les années à venir, nous serons non seulement confrontés à une décennie perdue, mais cela ne nous permettra pas non plus de financer les coûts de la défense et de la sécurité du pays », a-t-il estimé.

Leo Leiderman, conseiller économique principal à la Banque Hapoalim, l’une des plus grandes banques du pays, a noté que l’économie a montré quelques signes de résilience, qu’il a attribués aux bons fondamentaux au début de la guerre, notamment un faible déficit budgétaire et un faible ratio dette/PIB.

« Cette guerre est très particulière car, premièrement, elle dure longtemps et, deuxièmement, elle se déroule sur plusieurs fronts dans le sud et le nord du pays – tout cela représente un lourd fardeau pour l’économie », a souligné Leiderman.

Leo Leiderman, conseiller économique principal de la Banque Hapoalim. (Crédit : Autorisation)

« L’incertitude est le facteur clé qui explique pourquoi tant d’investisseurs restent sur la touche et reportent leurs projets, car ils attendent de voir ce qui va se passer. »

« Plus il faudra de temps pour stabiliser la situation sécuritaire dans le nord et le sud afin d’atteindre un certain degré de certitude quant à ce qui va se passer, plus l’impact sur la production sera négatif », a-t-il ajouté.

L’économie connaît déjà un ralentissement de croissance, un déficit budgétaire plus important dû à des dépenses militaires et civiles élevées, et des paiements d’intérêts plus coûteux pour financer la guerre en cours, qui a coûté plus de 250 milliards de shekels.

L’économie a progressé à un rythme beaucoup plus lent au deuxième trimestre de l’année, en deçà des attentes des économistes, car les retombées de la guerre contre le Hamas et l’intensification des combats contre le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah dans le nord ont impacté les investissements et fait peser une lourde pression financière sur le pays. Le PIB a augmenté de 0,7 % en rythme annuel entre avril et juin, par rapport aux trois mois précédents, et a baissé de 1,4 % par rapport au trimestre correspondant de l’année dernière, enregistrant ainsi le plus fort ralentissement parmi les 38 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Pour cette année, le Trésor a revu à la baisse ses prévisions de croissance et s’attend désormais à ce que l’économie progresse de 1,1 %, contre une prévision précédente de 1,9 %. En juillet, la Banque centrale d’Israël a abaissé ses prévisions de croissance à 1,5 % pour 2024. L’économie a progressé de 2 % en 2023 après une croissance rapide de 6,5 % en 2022.

Parallèlement à l’impact sur la croissance, S&P et Moody’s ont récemment abaissé la note de crédit d’Israël, car les deux agences de notation considèrent que la guerre en cours, qui durera jusqu’en 2025, accélérera les retombées économiques, accentuera la pression sur les caisses de l’État et conduira à une reprise plus lente que ce qui avait été estimé précédemment. S&P a abaissé la note souveraine d’Israël pour la deuxième fois cette année, la faisant passer de A+ à A, et a maintenu une perspective négative, tout en réduisant ses prévisions de croissance à 0 % pour 2024 et à 2,2 % en 2025, contre 5 % précédemment.

Dans une décision plus radicale, Moody’s a abaissé la note de crédit d’Israël de deux crans, de A2 à Baa1, citant l’absence d’une « stratégie de sortie » du conflit militaire et l’incertitude accrue concernant la sécurité et les perspectives de croissance à long-terme. Dans ce contexte, les investissements devraient rester « modérés plus longtemps parce que la prime de risque pour faire des affaires en Israël restera élevée », ce qui à son tour pose des risques à long-terme pour la croissance du secteur technologique très mobile, a averti Moody’s.

Dans une discussion qui a suivi l’abaissement de la note, Moody’s a averti qu’il existe des preuves anecdotiques que les nouvelles start-ups ont commencé à s’enregistrer à l’étranger plutôt qu’en Israël, comme elles le faisaient durant la période où le gouvernement avançait son projet de refonte du système judiciaire, et qu’il y a plus de demandes de relocalisation de la part des employés, ce qu’elle a décrit comme un risque de baisse qui pourrait conduire à d’autres abaissements de la note.

Sergei Sumkin, chercheur principal à l’Institut Aaron pour la politique économique de l’Université Reichman. (Crédit : Oren Shlev)

« En ce qui concerne la décision de quitter Israël et de partir à l’étranger, il y a toujours une raison commerciale de le faire. Ce n’est pas la première fois qu’un PDG s’installe aux États-Unis », a noté Dror.

« Mais je pense qu’aujourd’hui, plus que jamais, c’est le moment de rester, d’être fort et d’essayer de développer son entreprise à partir d’Israël, malgré tout. »

Chamsi, d’Amplefields, a déclaré que pour l’instant, « la technologie, les idées et les entrepreneurs israéliens sont toujours là », mais qu’il est urgent que le gouvernement intervienne.

« Nous avons besoin d’une impulsion de la part du gouvernement pour offrir de nombreuses incitations aux investisseurs, par exemple avec des avantages fiscaux pour encourager ceux qui veulent encore investir en Israël à placer leur argent dans la technologie israélienne et ceux qui s’inquiètent de la situation géopolitique à reconsidérer leur décision », a-t-il insisté.

« Le gouvernement pourrait également offrir des avantages aux employés et améliorer l’éducation afin que les gens soient plus encouragés et veuillent travailler dans le secteur de la haute technologie. »

Appelbaum a appelé le gouvernement à agir, car Israël ne peut pas compter sur l’argent étranger pendant la période de guerre.

« Le gouvernement devrait inciter davantage les institutions locales et les compagnies d’assurance, qui gèrent environ 70 milliards de shekels de fonds d’assurance et de pension, à investir dans la haute technologie israélienne », a déclaré Appelbaum.

« Le soutien du gouvernement enverrait également un signal très fort aux investisseurs étrangers pour qu’ils se lancent dans l’aventure. »

Appelbaum a cité en exemple l’initiative gouvernementale du Fonds Yozma 2, annoncée au début de l’année, qui est un programme dans lequel l’IIA apporte 30 centimes pour chaque dollar d’investissement institutionnel.

« Du point de vue de l’investisseur, Israël doit être perçu comme un endroit où l’on peut à nouveau faire des affaires en toute sécurité », a déclaré Dror.

« Je vois bien les dégâts potentiels de ce qui se passe ici pour l’avenir, en termes d’industrie technologique et de recettes fiscales. »

« L’écosystème de la haute technologie est une pierre angulaire de l’économie et j’aimerais voir plus de personnes issues de cette industrie dans les rôles décisionnels à l’avenir », a-t-il ajouté.

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