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La mémoire de la guerre, nouveau front entre Russie et Occidentaux

La Russie reproche notamment aux Occidentaux de minimiser son rôle dans la victoire et les larges sacrifices humains consentis pour grandir celui des Américains et des Britanniques

Le président russe Vladimir Poutine, accompagné du patriarche orthodoxe Cyrille de Moscou, dépose des fleurs sur un monument à l'extérieur de la cathédrale des Forces armées dans un parc à thème militaire à l'extérieur de Moscou, le 22 juin 2020. (Crédit : Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP)
Le président russe Vladimir Poutine, accompagné du patriarche orthodoxe Cyrille de Moscou, dépose des fleurs sur un monument à l'extérieur de la cathédrale des Forces armées dans un parc à thème militaire à l'extérieur de Moscou, le 22 juin 2020. (Crédit : Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP)

« Complot », « cynisme », « falsifications » : Russie et Européens se livrent à une guerre des mots sur les responsabilités de chacun dans la Seconde Guerre mondiale, un front mémoriel que Vladimir Poutine prend très au sérieux.

Célébrée mercredi en grande pompe avec plus d’un mois de retard à cause de l’épidémie de nouveau coronavirus, la victoire sur l’Allemagne nazie a toujours été l’un des piliers du patriotisme prôné par le président russe. Et avec son grand défilé militaire, un symbole du retour de Moscou sur le devant de la scène internationale.

À mesure que les relations russo-européennes se détérioraient, des guerres en Ukraine et en Syrie aux accusations d’espionnage ou d’ingérence, un gouffre s’est aussi formé quant à l’interprétation des événements du siècle passé, chaque camp accusant l’autre de chercher à « réécrire l’histoire » en sa faveur.

Dans les mois ayant précédé la pandémie, Vladimir Poutine semblait presque obsédé par la mémoire de la « Grande guerre patriotique », comme les Russes appellent le conflit germano-soviétique.

Il évoquait la question en longueur lors de rencontres informelles, avec des dirigeants de pays ex-soviétiques, lors de sa conférence de presse annuelle, d’une réunion avec les entrepreneurs ou devant ses généraux.

« Nous sommes obligés de défendre la vérité sur la victoire. Sinon, que dirons-nous à nos enfants si le mensonge se répand dans le monde entier comme la peste ? », a ainsi lancé M. Poutine en janvier devant le Parlement.

Il dit passer un temps considérable à lire les archives de l’époque. Dernière intervention en date, le 18 juin, M. Poutine a accusé les Occidentaux de « révisionnisme » antirusse, dans une longue tribune publiée dans les pages d’une revue américaine.

Le président russe Vladimir Poutine participe à une cérémonie de dépôt de gerbes sur la tombe du soldat inconnu à proximité du Kremlin le jour du Souvenir et de la douleur, lors du 79e anniversaire de l’invasion nazie de l’Union soviétique, dans le centre de Moscou, le 22 juin 2020. (Crédit : Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP)

Passe d’armes diplomatique

« Pour Poutine, le thème de la guerre est la base de son idée nationale de renaissance russe, de pouvoir fort, de relever le pays », estime l’historien Vitali Dymarski, notant que cette mémoire renforce aussi l’image d’une patrie assiégée par ses ennemis.

Cette conviction s’est traduite en échanges peu diplomatiques avec l’Union européenne et d’anciens satellites, Pologne et Ukraine en tête, avec qui Moscou entretient des relations exécrables.

M. Poutine a notamment dénoncé le « cynisme incroyable » de Varsovie, l’accusant même d’avoir conclu une « entente » avec Hitler à l’aube de la guerre.

Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a répliqué en dénonçant des « balivernes » russes. La Pologne a aussi boycotté des cérémonies consacrées à Auschwitz en Israël, du fait de la présence du président russe.

Vladimir Poutine a également pris pour cible une résolution de septembre du Parlement européen condamnant le partage de la Pologne entre l’URSS et l’Allemagne, y voyant une tentative de mettre communisme et nazisme sur le même plan.

En cause, l’insistance des Européens à dénoncer le pacte germano-soviétique de 1939, qui organisait le partage de l’Europe orientale entre les deux régimes totalitaires. Pour Moscou, ce fut une nécessité, les puissances européennes ayant laissé l’URSS « seule face à l’Allemagne » en cédant en 1938 à Munich les Sudètes tchécoslovaques à Hitler.

Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours lors de l’inauguration du monument de Jérusalem le 23 janvier 2020, en mémoire des habitants de Leningrad pendant le siège de la ville par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. (Crédit : Emmanuel Dunad, Pool via AFP)

Histoire contre politique

La Russie reproche aussi aux Occidentaux de minimiser son rôle dans la victoire et les énormes sacrifices humains consentis – 27 millions de morts –, pour grandir celui des Américains et des Britanniques.

Moscou considère de ce point de vue comme annexe le débarquement de Normandie de juin 1944.

Dans sa tribune du 18 juin, M. Poutine a ainsi dit considérer que la remise en cause du rôle soviétique participe à saper les fondements de l’ordre international né de 1945, une tendance « dangereuse » selon lui.

La Russie s’était déjà dite « extrêmement indignée » que la Maison Blanche n’a que cité, en mai, les Etats-Unis et le Royaume-Uni au rang des vainqueurs des nazis.

Elément essentiel de l’identité nationale russe, la victoire de 1945 a apporté à Moscou sa place dans le monde d’après-guerre, qu’il s’agisse du siège au Conseil de sécurité de l’ONU ou des territoires libérés des nazis que l’URSS a modelés ensuite en glacis communiste.

Aujourd’hui, cette mémoire associée à une politique de puissance doit « unir le peuple » face à l’adversaire, estime Vitali Dymarski. « Toute cette querelle avec l’Europe, ce n’est pas de l’Histoire, mais de la politique », résume-t-il.

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