La nouvelle directrice du musée de la Shoah de Tucson a survécu à un génocide
Gugulethu Moyo a quitté le Zimbabwe, où elle a fui le meurtre de son peuple Ndebele lorsqu'elle était enfant ; elle a obtenu un diplôme de droit et s'est convertie au judaïsme

JTA via Arizona Jewish Post — Le musée de la Shoah de la deuxième ville d’Arizona a nommé une femme juive et survivante d’un génocide africain au poste de directrice.
Le conseil d’administration du Jewish History Museum/Holocaust History Center de Tucson a choisi à l’unanimité Gugulethu Moyo en novembre pour en devenir la directrice exécutive, ce qui fait probablement d’elle la première juive de couleur à diriger un grand musée juif aux États-Unis.
Moyo, directrice des opérations du musée depuis juillet 2019, apporte un ensemble unique de qualifications englobant à la fois sa carrière d’avocate internationale des droits de l’homme et son identité personnelle en tant que juive.
« Gugu a la biographie la plus remarquable que j’ai jamais vue chez un candidat à un poste », a déclaré Barry Kirschner, président du conseil d’administration du musée et lui-même avocat.
Après une enfance passée au Zimbabwe, Moyo a entamé une carrière juridique en faveur de la liberté des médias et a suivi un parcours juif inspiré par les avocats sud-africains de la lutte contre l’apartheid.
Moyo reprend les rênes d’une institution vieille de 15 ans dans un contexte de changements intenses pour les musées, la mémoire et l’enseignement de la Shoah en Arizona.
La pandémie de COVID a sévèrement réduit l’accès au musée, et son flux habituel de visiteurs non-juifs, en particulier les écoliers lors des voyages de classe, a cessé. Certains programmes ont été mis en ligne dans le cadre d’un changement que Moyo a décrit comme « une grande opportunité et une innovation » empreinte d’incertitude.
Parallèlement, l’Arizona a récemment rendu obligatoire l’enseignement sur la Shoah et les autres génocides dans les écoles, donnant au musée un rôle dans la création de matériel pédagogique qui s’appuie sur ses archives de témoignages de survivants qui ont vécu dans la partie sud de l’état.
Et la prise de conscience nationale du racisme qui a éclaté au printemps dernier suite à la mort de George Floyd signifie que la vision de Moyo pour l’avenir du musée a trouvé un nouvel écho.
La mission principale… est de raconter l’histoire de l’expérience juive dans cette région particulière et aussi de placer notre histoire aux côtés de celle des autres, d’établir des liens entre ce que nous avons vécu en tant que Juifs et l’expérience des autres dans notre communauté au sens large.
« La mission principale », a déclaré Moyo, « est de poursuivre la mission du musée, qui est de raconter l’histoire de l’expérience juive dans cette région particulière et aussi de placer notre histoire aux côtés de celle des autres, d’établir des liens entre ce que nous avons vécu en tant que Juifs et l’expérience des autres dans notre communauté au sens large ».
Tucson, avec une population d’environ 540 000 habitants, est située à moins d’une heure de route de la frontière mexicaine et est considérée comme le lieu de naissance du mouvement « sanctuaire » destiné à offrir un refuge aux immigrants fuyant les persécutions en Amérique centrale. Le musée juif a récemment lancé une initiative d’adhésion appelée « Compelling Futures Collective » qui, selon lui, sera une « communauté juive multiraciale, multiethnique, multigenre, intergénérationnelle et multiclasse… servant de voix de conscience et résistant à l’antisémitisme et à la xénophobie avec clarté et intégrité ».
https://www.facebook.com/jewishhistorymuseum/posts/2815613975133067
Melissa Martens Yaverbaum, directrice exécutive du Conseil des musées juifs américains, a déclaré qu’elle considère Moyo comme un leader inspirant en cette période où le rôle des musées juifs est en pleine évolution.
« Gugulethu est un leader d’opinion dans le dialogue qui entoure les musées juifs américains », a déclaré Yaverbaum. « Elle apporte des orientations nouvelles et réfléchies aux musées qui cherchent à changer la société, et nous aidera à trouver notre voie alors que nous cherchons à guérir les communautés en ces temps difficiles ».
Moyo s’appuiera sur ses diverses expériences pour tracer cette voie – en commençant par sa propre enfance au Zimbabwe.
« L’un de mes premiers souvenirs d’enfance est celui de ma fuite en 1983 et 1984, alors que j’avais 6 ans, et de mon entrée dans la clandestinité pendant les atrocités du Gukurahundi, au cours desquelles quelque 20 000 personnes de mon groupe ethnique, les Ndebele, ont été assassinées », a-t-elle confié.

Les massacres, qui sont le résultat d’une rivalité entre partis politiques, sont classés comme un génocide par l’Association internationale des spécialistes du génocide.
« J’ai grandi en comprenant que les gens au pouvoir peuvent décider qu’ils veulent éliminer un groupe de personnes qui sont des opposants au gouvernement ou des personnes d’un groupe ethnique différent – quelle que soit la cause de la haine, ils peuvent éliminer l’autre groupe », a analysé Moyo.
Moyo, 45 ans, est la fille d’un spécialiste internationalement reconnu de l’élaboration des constitutions après les conflits, qui enseigne aujourd’hui à la Cornell Law School. Pour elle, devenir avocat était une façon d’œuvrer pour un changement démocratique au Zimbabwe et elle a obtenu une licence de droit à l’université du Zimbabwe à Harare en 1996. Après avoir été assistante de direction du PDG du fonds de pension de l’industrie minière du Zimbabwe, Moyo a obtenu une autre licence en droit à l’université d’Oxford en Angleterre.
De retour au Zimbabwe, elle a été conseillère juridique interne du seul journal indépendant du Zimbabwe, coordonnant une équipe d’avocats contestant la campagne du gouvernement visant à censurer et à fermer les médias indépendants. En 2003, elle a été battue et emprisonnée dans le cadre d’une campagne de répression contre la presse et l’opposition politique lors d’un incident qui a attiré l’attention de la communauté internationale.
« Malheureusement, les choses ne se sont pas améliorées », au Zimbabwe, a-t-elle déploré.

En quittant le Zimbabwe, Moyo est devenue avocate et conseillère en relations avec les médias pour l’association internationale du barreau à Londres. Cinq ans plus tard, elle a lancé Media Defence, la première organisation d’aide juridique dédiée à la défense de la liberté des médias dans le monde.
Moyo a déclaré qu’elle voyait un lien évident entre ce travail et le rôle que peuvent jouer les musées de la Shoah.
« Une grande partie du travail des avocats et des défenseurs des droits de l’homme ne serait pas nécessaire, je pense, si les gens étaient éduqués sur les droits, la tolérance et la différence », a-t-elle déclaré.
Moyo a commencé à explorer le judaïsme lorsqu’elle était jeune adulte, inspirée par sa rencontre avec des avocats juifs spécialisés dans les droits de l’homme en Afrique du Sud, qui y représentaient les militants noirs anti-apartheid. Elle considère George Bizos, un survivant de la Shoah qui a représenté Nelson Mandela dans le procès qui a abouti à son emprisonnement de 27 ans, comme « l’un de mes ancêtres juifs choisis ».
Puis, en 2003, Moyo a rencontré l’homme qui allait devenir son mari, Joshua Polacheck, alors employé du service extérieur américain et affecté à l’ambassade des États-Unis à Harare. Polacheck, qui est juif, a passé une partie de son enfance dans les réserves indiennes avec ses parents qui étaient travailleurs sanitaires du Service de santé indien, avant de s’installer à Tucson une fois adolescent.

En 2011, Moyo et Polacheck vivaient à Washington, DC, où ils se sont impliqués dans la synagogue Sixth & I. La rabbin Shira Stutman a déclaré qu’elle avait appris à connaître Moyo comme « une juive profondément connectée, une penseuse créative et brillante, et une éternelle étudiante. Elle a un grand cœur et un esprit curieux ».
Stutman a raconté que l’un de ses souvenirs préférés de Moyo, qui s’est officiellement convertie avec le soutien de Stutman, date d’après le départ du couple de Washington.
« J’ai tant d’histoires à raconter sur mon voyage en Israël, sur l’étude de la Torah ou sur les rires que j’ai eus pour une chose ou une autre », a déclaré Stutman. « Mais l’une de mes histoires préférées avec Gugu est celle de l’année où elle a décidé de suivre le cours de b’né mitzvah pour adultes proposés à Sixth & I. Au milieu de l’année, elle et son mari ont déménagé à New Delhi, où il avait été envoyé par le service des affaires étrangères. Mais elle était tellement déterminée à suivre le cours qu’elle se levait à 4h30 du matin pour les rejoindre par Skype. »
« Elle et Joshua nous manquent toujours ici à Washington, mais nous sommes si heureux qu’ils aient trouvé un endroit où ils peuvent tous s’épanouir. »
Bien que la tradition juive recommande de ne pas demander à une personne si elle est juive par choix, Moyo a déclaré qu’elle était prête à répondre aux questions concernant son cheminement vers le judaïsme.
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Posted by Tucson Jewish Museum & Holocaust Center on Saturday, April 22, 2017
« La coutume consistant à ne pas demander est rassurante et positive », a-t-elle déclaré, mais en même temps, ne pas raconter d’histoires sur les personnes qui se convertissent et sur les raisons de cette conversion peut conduire à laisser passer une occasion d’informer sur l’ensemble des expériences juives.
« À ce stade, alors que nous parlons tous d’inclusion, ces histoires devraient être racontées », a-t-elle déclaré, ajoutant que ce qui est inconfortable, c’est lorsque les gens demandent « parce qu’ils pensent que vous n’êtes pas juif, parce qu’ils font des suppositions sur ce à quoi ressemble une personne juive ».
Ces suppositions, a dit Moyo, sont exactement le genre de suppositions que le musée cherchera à dissiper sous sa direction.
« Je suis particulièrement intéressée par l’idée de compliquer peut-être l’histoire que nous racontons sur l’identité juive », a-t-elle déclaré.
Moyo s’inspire également d’histoires du côté de la famille de son mari. Son père était un militant des droits civiques, arrêté et battu dans le Mississippi en 1964. Son grand-père, Walter Polacheck – l’arrière-grand-père de leur fille de 6 ans, note-t-elle – était médecin dans l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre en Europe, il a été envoyé à Nuremberg, où il a soigné les dirigeants nazis jugés pour crimes de guerre.
« C’est une histoire dont nous parlons souvent dans notre famille et à laquelle nous réfléchissons, et aussi cela a dû être une expérience vraiment compliquée d’être un soldat juif américain » à cette époque et à cet endroit, avec beaucoup de membres de sa propre famille élargie anéantis par la Shoah, dit-elle.
La famille comptait plusieurs survivants de la Shoah jusqu’à récemment, a-t-elle dit, ajoutant : « Il y a beaucoup de raisons très personnelles pour lesquelles ce travail est important ».
Adapté d’un article publié dans l’Arizona Jewish Post.
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