La « nouvelle vision » de Yair Lapid pour la bande de Gaza
Tout en excluant des négociations avec le Hamas, le ministre des Affaires étrangères prône "l'économie contre la sécurité" et le renforcement de l'AP

Le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid a présenté dimanche ce qu’il a qualifié de « nouvelle vision » pour les relations entretenues par Israël avec la bande de Gaza, expliquant que l’État juif devait « avancer vers un plan économique pluriannuel à Gaza en échange de la sécurité ».
S’exprimant lors d’une conférence à l’Institut de politique antiterroriste au sein de l’université Reichman (le nouveau nom du centre interdisciplinaire de Herzliya), Lapid a expliqué que l’objectif d’une telle initiative était de mettre en place « la stabilité des deux côtés de la frontière ».
« Il ne s’agit pas d’une proposition de négociations avec le Hamas. Israël ne récompensera pas une organisation terroriste en affaiblissant de surcroît l’Autorité palestinienne, qui travaille de manière régulière avec nous », a-t-il continué.
Toutefois, peu après son allocution, une roquette a été tirée par les terroristes de Gaza en direction des communautés israéliennes pour la troisième nuit d’affilée. Le missile a été intercepté par le système de défense antiaérien du Dôme de fer.
Dans son discours, Lapid a souligné un plan en deux phases dont l’objectif est de changer la réalité économique sur le terrain à Gaza. La combinaison des investissements internationaux, de la coopération israélo-palestinienne et d’un Hamas calme pourrait changer la vie des résidents de l’enclave côtière, a noté le ministre des Affaires étrangères.
« Les conditions politiques – en Israël et au sein de l’Autorité palestinienne – ne permettent pas de progrès diplomatiques pour le moment mais à Gaza, nous pouvons – et nous devons – agir maintenant », a poursuivi Lapid.
Ce n’est pas la première fois que des responsables israéliens appellent à une révision des infrastructures à Gaza – mais aucune initiative prise dans ce sens n’avait finalement vraiment vu le jour. Et un grand nombre des projets mentionnés par Lapid – relier Gaza au gaz naturel, construire une usine de dessalement, entre autres – sont depuis longtemps sur la table.

Les Palestiniens ont souvent critiqué de tels plans économiques, disant qu’il ne peut y avoir de vraie solution sans convention politique. Certains politiciens de droite, en Israël, ont fustigé de telles initiatives dans le passé, disant qu’elles représentaient une aubaine pour le groupe terroriste du Hamas, à la tête de Gaza.
Lapid a reconnu que son plan ne prenait en compte aucune des dites « questions de statut final » en suspens entre Israéliens et Palestiniens. Mais, a-t-il affirmé, le lancement d’un processus diplomatique à Gaza pourrait créer des conditions plus favorables à des pourparlers si ceux-ci devaient se présenter.
« Plus largement, le coup d’envoi d’une plus importante opération de ce type, à Gaza, créera des conditions meilleures pour de futures négociations si et quand la situation le permettra. Nous avons constaté, dans le passé, que les combats à Gaza nuisaient aux chances de revenir à la table des négociations », a dit Lapid.
Le Hamas gouverne la bande de Gaza depuis 2007 – deux ans après le désengagement unilatéral d’Israël de l’enclave – et après avoir arraché le contrôle de l’enclave côtière au Fatah de Mahmoud Abbas. L’Égypte et Israël imposent depuis des sanctions écrasantes, depuis des années, à Gaza, une initiative qui vise à affaiblir le groupe terroriste qui cherche ouvertement à détruire Israël.
La bande de Gaza est un problème politique épineux pour Israël. Le Hamas et l’État juif se sont opposés dans des conflits successifs qui ont fait des milliers de morts, en particulier du côté palestinien. Les roquettes du Hamas se sont abattues en grand nombre sur les villes israéliennes et le pays a renforcé son blocus sur la bande en conséquence. Aucune des deux parties n’a été depuis en mesure de changer de manière substantielle le statu-quo.
De plus, le blocus rendu plus strict – qui, selon l’État juif, est nécessaire pour des raisons de sécurité – a aidé à créer une catastrophe humanitaire à Gaza. Le chômage a grimpé en flèche, à environ 50 %, tandis que la pauvreté est passée de 40 % à 56 % entre 2007 et 2017, ont fait savoir les Nations unies. Les infrastructures abîmées, croulantes ont entraîné aussi une crise permanente de l’approvisionnement en eau et en électricité.

« La politique poursuivie par Israël jusqu’à aujourd’hui n’a pas substantiellement changé la situation. Les fermetures n’ont pas stoppé le trafic et la production d’armes. La nuit dernière, nous avons encore une fois bombardé Gaza après le lancement d’une nouvelle roquette et les résidents se sont rués vers les abris antiaériens. Nous devons changer de direction », a expliqué Lapid.
Et pour cela, Lapid a proposé un plan en plusieurs phases dont l’objectif est de développer l’économie dans la bande. La première phase consisterait à reconstruire les infrastructures internationales en échange d’un contrôle international strict – et en échange aussi d’un retour au calme de la part du Hamas.
« Ce processus de remise en état des infrastructures sera défini par une série de critères préétablis, et chacun aura un calendrier spécifique. Toute violation de la part du Hamas arrêtera le processus ou le fera reculer », a dit Lapid.
Lapid a aussi promis que l’Égypte et l’Autorité palestinienne (AP) assumeraient un rôle dans le processus. L’AP, qui est placée sous la domination du Fatah, rival du Hamas, n’a presque aucune présence au sein de l’enclave côtière.
Dans la deuxième phase du plan, les deux parties envisageraient des projets plus ambitieux. Une île artificielle serait construite au large de la côte de Gaza – la construction d’un port à Gaza était proposée depuis longtemps – et la Cisjordanie et Gaza seraient liés par des projets d’infrastructure, a continué le ministre des Affaires étrangères.
C’est l’AP qui aurait la responsabilité des affaires civiles et économiques à Gaza dans ce cadre, a déclaré Lapid, qui n’a pas expliqué pourquoi – et comment – le Hamas pourrait consentir que son adversaire palestinien prenne en charge certains aspects du quotidien dans l’enclave côtière. L’insistance placée par l’État juif et par la communauté internationale sur cette délégation d’autorité à l’AP – et le refus du Hamas d’y consentir – ont torpillé des projets similaires dans le passé.
« La solution présentée ici ne parle pas de la solution à deux États, mais mon opinion sur le sujet est connue : Israël doit aider à renforcer l’Autorité palestinienne et négocier avec elle pour concrétiser la mise en place d’une solution à deux États », a affirmé Lapid.

Lapid a promis que si le Hamas maintenait le calme sur ses frontières avec Israël, « la réalité à Gaza va changer de façon spectaculaire ». Mais Israël n’hésitera pas à agir si le Hamas doit violer ce contrat tacite, a-t-il ajouté.
« Si Sinwar et Haniyeh continuent à nuire à Israël, alors nous saurons, la communauté internationale saura et, plus important, la population de Gaza saura que le Hamas refuse d’améliorer la vie dans la bande parce que la seule chose dont ces hommes se préoccupent, c’est de tuer des Juifs », a poursuivi Lapid, en référence aux chefs du groupe terroriste.
Lapid a dit espérer présenter le plan au cabinet pour approbation, ajoutant qu’il en avait déjà discuté avec les leaders de l’Union européenne, l’Égypte, les États du Golfe, le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov.