Israël en guerre - Jour 374

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La Palestine à la CPI : quelles conséquences pour Israël ?

Des menaces d’accusations de crimes de guerre par Abbas pourraient bien un jour entraîner des condamnations, mais la route est remplie d’obstacles juridiques complexes

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

La Cour pénale internationale à la Haye (Crédit : Vincent van Zeijst/CC BY SA 3.0/Wikimedia commons)
La Cour pénale internationale à la Haye (Crédit : Vincent van Zeijst/CC BY SA 3.0/Wikimedia commons)

Jérusalem a réagi avec colère mercredi à la décision des Palestiniens de rejoindre la Cour Pénale Internationale (CPI), avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu avertissant de « mesures en réponse ».

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas avait menacé depuis longtemps de prendre cette décision que beaucoup considéraient comme un dispositif de pression contre Israël.

Pourtant, ceux qui connaissent les travaux de la cour basée à La Haye savent que la route pour condamner les Israéliens pour « crimes de guerre » ou « crimes contre l’humanité » est longue et compliquée.

Selon certains experts, il est improbable que la CPI lance des actions criminelles contre des Israéliens importants pour des actions ou des politiques contre les Palestiniens. Même s’il le faisait, et si des mises en accusation étaient formulées, cela prendrait des années avant que des condamnations ne soient rendues.

Dans le meilleur scénario pour Israël, les plaintes intentées par les Palestiniens contre les officiels israéliens ne seront que des nuisances entraînant des critiques dans la presse.

La CPI avancera-t-il dans la création d’un état indépendant et souverain de Palestine, ce qui constitue le premier but d’Abbas ? Pas du tout.

Abbas ne peut pas poursuivre Israël

Contrairement à ce que certains gros titres ont pu suggérer, Abbas ne pourra pas poursuivre Israël a la CPI. C’est une cour criminelle ce qui signifie que c’est seulement la procureur, Fatou Bensouda, qui peut décider d’une mise en accusation.

Les Palestiniens peuvent soumettre des plaintes à la cour, ce qu’ils font en réalité depuis des années. Pour l’instant, la cour n’avait aucune légitimité juridique dans le territoire sur lequel les prétendus crimes se seraient produits.

En signant le traité de Rome, qui gouverne la cour, les Palestiniens ont fait le premier pas mercredi vers l’adhésion à la cour, même si cela prend des mois avant que le traité n’entre en vigueur. S’ils sont acceptés en tant que membres, et ce n’est pas certain qu’ils le soient, la « Palestine » pourra commencer à déposer officiellement des plaintes contre Israël qui seront considérées sérieusement par la cour.

Avant que le procureur ne regarde les plaintes et ne décide s’il faut lancer une enquête préliminaire, elle devra établir que les Palestiniens sont bien qualifiés pour devenir membre de la cour.

Seuls les États peuvent rejoindre la cour, et les experts ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la « Palestine » est un État assez concret pour être éligible. Afin de déterminer si la « Palestine » a effectivement le droit d’accéder à la cour, Bensouda lancera probablement une procédure de consultations au cours de laquelle elle pourrait bien avoir à délibérer la question avec d’autres pays ou institutions internationales.

Certains experts sont convaincus que la CPI acceptera immédiatement la candidature des Palestiniens puisqu’elle a déjà laissé entendre qu’elle considérerait la Palestine un état si l’Assemblée Générale des Nations Unies la reconnaissait.

Le 29 novembre 2012, l’Assemblée Générale a voté à une large majorité en faveur d’accorder à « l’Etat de Palestine » le statut d’État non membre. Cela suggère que la CPI traitera aussi l’Autorité palestinienne de cette manière.

Une fois établi que la Palestine est effectivement un membre de la cour, et une fois qu’elle déposera des plaintes contre les Israéliens, la procureur peut décider de lancer ou non une enquête préliminaire sur les accusations. Elle n’est en aucune manière obligée de le faire, et pourrait bien décider de ne pas toucher du tout la question.

Il est très probable que Bensouda ouvrirait une enquête préliminaire, estiment les experts. Mais même si elle le faisait, une enquête complète serait loin d’être imminente.

« Je présume qu’ils lanceront une enquête préliminaire, explique Robbie Sabel, professeur de droit international à l’Université hébraïque de Jérusalem. Mais la procureur comprendra très vite qu’il s’agit d’une question entièrement politique, et qu’à moins qu’Israël ne devienne fou et qu’il ne décide de commencer à commettre des atrocités de masse, ce qu’il ne fera pas, la procureur sera réticente à poursuivre avec une réelle enquêtre criminelle ».

Afin de déterminer s’il y une « base raisonnable pour poursuivre » à partir de l’enquête préliminaire vers une enquête de grande envergure, la procureur prend en compte plusieurs considérations, parmi lesquelles :

La juridiction (temporelle, matérielle, soit de territoire et la juridiction personnelle) ;
L’admissibilité (la complémentarité et la gravité) ;
Et l’intérêt de la justice.

Même la question de la juridiction présentera de nombreuses difficultés pour le coup de poker palestinien. Tout d’abord, la CPI n’a généralement de juridiction que sur les crimes commis sur le territoire d’un État membre au moment où il a rejoint la cour. En d’autres termes, les Palestiniens ne devraient pas pouvoir se plaindre à La Haye de l’opération Bordure protectrice parce que la Palestine n’était pas un membre de la cour. La CPI n’aurait seulement de juridiction que sur les événements si les Palestiniens les incluent explicitement lorsqu’ils signent le Statut de Rome. Pour l’heure, on ne sait pas clairement quoi Abbas a signé mercredi à Ramallah.

Les plaintes sur Gaza sont encore plus compliquées parce que la CPI pourrait bien trouver que le Hamas, opposé à « l’Etat de Palestine », contrôle la zone et que la cour n’a donc pas de légitimité juridique dans la bande.

Il sera également difficile de déterminer la juridiction territoriale de la CPI. Puisqu’Israël n’est pas membre de la cour, tout événement se produisant sur le sol israélien est en dehors de portée de la cour. Que devrait faire la cour avec des accusations de crimes commis à Jérusalem Est ou dans la zone C de la Cisjordanie où Israël exerce son contrôle ?

Déterminer la juridiction dans de telles situations signifie entrer dans la question hautement politique de savoir où la frontière se situe entre Israël et la Palestine. La procureur pourrait bien ne pas vouloir s’approcher trop près de cette question, puisqu’elle touche plutôt de questions vieilles de décennies au centre du conflit israélo-palestinien que des poursuites pour crimes de guerre.

La condition nécessaire de la cour que les affaires soient « des plus sérieuses » pourrait aussi contrecarrer le but palestinien de voir des officiels israéliens sur le banc de accusés de crimes de guerre. « La juridiction de la Cour sera limitée aux crimes les plus sérieux qui concernent la communauté internationale dans son ensemble », précise l’article 5 du Statut de Rome. Selon le préambule du statut, la CPI a été fondée pour poursuivre les personnes pour « des atrocités inimaginables qui ont fortement choqué la conscience de l’humanité ». On peut douter que la cour considérera les actions d’Israël en Cisjordanie, et même dans Gaza, pertinente à cette description.

« Les implantations sont problématiques, mais sont-elles vraiment une ‘atrocité inimaginable ? Clairement pas, a déclaré Sabel, l’expert de l’Université hébraïque. Même si des gens sont tués, la CPI traite les meurtres de masse et les génocides. Ils décideront probablement de ne pas traiter ce sujet ».

On s’attend à ce que les Palestiniens se plaignent contre le « crime de guerre » d’Israël de construire des implantations à Jérusalem Est et en Cisjordanie. Selon leur interprétation des Conventions de Genève, transférer des citoyens israéliens dans des terriroires occupés constitue un crime de guerre.

Les habitants des implantations ne sont pas responsables des tranferts de populations. Les Palestiniens devraient donc trouver les personnes responsables des implantations : les dirigeants israéliens. « Les juger impliquerait une question politique, et je suspecte que la procureur ne le fera pas, explique Sabel. Mais on ne sait jamais ».

Les précédents de la CPI

Se rappelant l’opinion consultative de 2004 de la CPI (qui déterminait que la barrière de sécurité d’Israël en Cisjordanie était illégale), beaucoup d’Israéliens sont inquiets d’une possible poursuite devant la CPI.

Pourtant si les précédents peuvent fournir des indications, la cour a montré qu’elle prend ses missions sérieusement et qu’elle ne cherche pas à entrer dans une critique forcée d’Israël.

En mars 2012, elle a refusé d’examiner plus de 400 plaintes sur des prétendus crimes israéliens, en expliquant que la Palestine n’est pas un État et que la cour n’y a pas de base juridique.

En novembre 2014, après un examen préliminaire de l’assaut d’Israël de 2010 sur le Mavi Marmara à destination de Gaza qui avait entraîné la mort de neufs citoyens turcs, Bensouda avait déclaré que malgré les indications « raisonnables » que les troupes israéliennes avaient commis un crime de guerre, l’incident n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier des actions supplémentaires de la CPI.

Cela ne veut pas dire qu’Israël devrait minimiser la menace palestinienne de mener Israël devant la CPI. Même s’il s’agit d’une procédure complexe qui pourrait prendre des années, des mises en accusations et, en fin de compte, des condamnations contre des Israéliens ne sont pas impossibles.

Et même si les accusations ne menent à rien de plus que des enquêtes préliminaires, les Palestiniens utiliseront certainement cela pour de la future propagande.

Israël est déjà très impopulaire dans de nombreux endroits du monde et préférerait d’éviter d’autres gros titres mauvais. Pourtant, s’inquiéter excessivement n’est peut-être pas nécessaire. Devoir gérer les plaintes à la CPI sera une migraine non souhaitée, mais avec laquelle Israël pourrait bien vivre.

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