La première trace de Yom Kippour parle du jour de l’affliction comme d’une lutte sectaire
Le professeur Yonatan Adler, auteur de "The Origins of Judaism", cite un passage des rouleaux de la mer Morte qui évoque les luttes pour l'autorité religieuse à l'ère hasmonéenne
Selon l’archéologue Yonatan Adler, la plus ancienne trace écrite de célébration de Yom Kippour se trouve dans un des rouleaux de la mer Morte, plus connu sous le nom de « Pesher Habakkuk ».
Il s’agit de l’un des sept rouleaux découverts en 1947, et l’un des plus célèbres. Au moment où les rouleaux ont été rédigés – au milieu du 2e siècle avant notre ère, en pleine période hasmonéenne – le Second Temple avait été reconstruit, mais le royaume juif était divisé en sectes et groupes politiques rivaux, dont les Sadducéens et les Pharisiens, adversaires acharnés.
« On y parle d’un prêtre cruel qui a poursuivi un professeur de vertu au moment de Yom Kippour, et qui se trouvait être l’un des dirigeants du groupe de Qumrân », explique au Times of Israel, peu de temps avant le Grand Pardon, celui qui enseigne au Département Terre d’Israël et archéologie de l’Université Ariel.
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Le groupe de Qumran, auteur des rouleaux de la mer Morte et d’autres artefacts, était probablement constitué d’Esséniens, secte de petite taille tournée vers le mysticisme. Adler ajoute que le « prêtre cruel » était probablement l’un des prêtres ou dirigeants hasmonéens, venu – peut-être accompagné de soldats – les admonester parce qu’ils célébraient, selon lui, Yom Kippour à la mauvaise date.
« Depuis les débuts la Torah, les gens se querellent autour de la façon de célébrer Kippour », dit Adler, ce qui a amené la constitution de plusieurs sectes dans les temps les plus reculés. Des divergences d’opinion sur le début du nouveau mois lunaire ont amené des groupes à célébrer des jours saints à un ou deux jours d’intervalle.
« Imaginez un peuple qui fête Yom Kippour un jour, et un autre, un autre jour », dit Adler. « Il y a eu des disputes et des bagarres. Manifestement, le Grand Prêtre considérait que Yom Kippour tombait un dimanche et les Qumrranites, un lundi. Il s’est donc rendu sur place le jour même, peut-être avec des soldats… Il voulait qu’ils ne célèbrent pas à cette date. C’est ce qui s’est passé à Qumrân, mais cela aurait pu être ailleurs. »
Le Talmud renferme une histoire semblable à propos de rabbins qui se disputent sur la date de Yom Kippour, note-t-il. Le calendrier juif des mois et jours de fête, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a été codifié vers 350 de notre ère, ce qui n’a pas empêché les débats et commentaires autour de diverses questions du calendrier de persister des siècles durant.
Le passage de Pesher Habacuk, unique rouleau qui mentionne explicitement Yom Kippour, dit en substance : « Son interprétation concerne le prêtre cruel qui a poursuivi le Maître de Justice et a répandu sur lui sa colère ardente là où il se trouvait relégué. Il est venu les trouver en ce jour de fête de Yom Kippour pour les admonester et leur faire renoncer à ce jour de jeûne, le repos de Shabbat. »
Au coeur des recherches d’Adler, développées dans son ouvrage « The Origins of Judaism », publié en 2022 aux Yale University Press, se trouve la théorie selon laquelle l’observance et la connaissance de la Torah ne se sont répandues que sous la dynastie hasmonéenne, de 140 à 37 avant notre ère. C’est à cette époque que les dirigeants religieux hasmonéens de Judée obtiennent leur indépendance des Séleucides grecs, avant de s’emparer de leur propre territoire, sur lequel ils imposent la loi de la Torah.
Selon Adler, si la Torah, c’est-à-dire les Cinq Livres de Moïse, existe avant les Hasmonéens, ce sont probablement les dirigeants qui en ont fait le « fondement idéologique et juridique » de leur royaume judaïque. Avant, « le peuple était juif… avec son temple, ses prêtres, ses sacrifices, l’hébreu… », mais d’une manière peut-être plus traditionnelle, sans la « spécificité » de la Torah.
On n’a pas trouvé de traces de l’observance de la Torah, comme le mikve (bain rituel) ou les tefillin (phylactères), avant la période hasmonéenne, note-t-il.
Dans la Torah, Yom Kippour est présenté comme le « Jour du Grand Pardon » ; la Bible ne fait pas réellement état du jeûne et on ignore dans quelle mesure les premiers Juifs le célébraient de cette manière. Des personnages comme Philon d’Alexandre ou Josèphe, qui tous deux ont écrit au 1er siècle de notre ère, mentionnent le jeûne des Juifs au moment de Yom Kippour, disant qu’il s’agit d’une coutume répandue et communément acceptée.
Le rouleau de Pesher Habakuk, plus ancien de plusieurs générations, est la plus ancienne référence au jeûne de Yom Kippour. Avant cela, dit Adler, on n’en trouve pas trace, et les sources bibliques indiquent que Yom Kippour n’a pas toujours été célébré.
Adler évoque plusieurs exemples dans son ouvrage, comme un passage du Deuxième Livre des Chroniques indiquant que le roi Salomon a célébré une fête durant sept jours au cours du septième mois (Tishrei), quelques jours juste avant Souccot. Les célébrations auraient donc logiquement eu lieu du huit au 14, sans mention de Yom Kippour le dixième jour de Tishrei. Par conséquent, le roi Salomon aurait pu « célébrer » le Jour du Grand Pardon, dit Adler.
L’universitaire, qui est également un rabbin ordonné par le rabbinat israélien, précise que ses recherches sur les origines historiques du judaïsme ne visent pas à « déconstruire » la religion. Le judaïsme est et a toujours été dynamique, en constante évolution. Il essaie de « comprendre ce qui s’est réellement passé », mais cela, pour lui, n’a aucun effet sur la signification de l’observance religieuse.
Yom Kippour « fait sens par ce qu’il est, c’est le tout dernier bouton d’annulation », dit-il. « C’est le moment de réparer nos torts, nos erreurs. C’est une idée incroyablement révolutionnaire. »
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