La présidente de la Cornell University démissionne
Dans une lettre adressée à la communauté universitaire, Martha Pollack cite des "défis inattendus et énormes" posés par la guerre à Gaza et par le mouvement anti-israélien
La présidente de la Cornell University, Martha E. Pollack, démissionnera le mois prochain de ses fonctions. Elle est la troisième dirigeante d’une université de l’Ivy league à annoncer son départ dans un contexte de débat féroce, sur les campus, autour de la question de l’antisémitisme et alors que d’énormes mouvements de protestation balaient les universités américaines, dénonçant la guerre qui oppose Israël au Hamas à Gaza.
Dans un courriel qui a été transmis à la communauté de l’université, jeudi, Pollack a cité « les défis énormes et inattendus » posés par la guerre et par les incidents liés à l’antisémitisme et à l’islamophobie qui ont eu lieu au sein de l’établissement d’enseignement supérieur. Elle a souligné que sa décision de se retirer était personnelle.
« Les événements locaux et mondiaux ont causé une souffrance énorme pour les étudiants de nombreuses origines, notamment pour nos étudiants juifs et israéliens, ainsi que pour nos étudiants arabes, palestiniens et musulmans », a-t-elle écrit. « Nous avons été vigilants, œuvrant à garantir la sécurité et le bien-être de tous les membres de notre communauté, quelle que soit leur origine ; une vigilance qui a été la mienne depuis très longtemps, bien avant les événements qui ont eu lieu l’année passée ».
Cette annonce de Pollack a suivi les démissions, ces derniers mois, des présidentes de l’université de Pennsylvanie et de l’université de Harvard. Les deux femmes avaient quitté leur poste suite à une audience organisée au Congrès où elles avaient refusé de dire si appeler au génocide des Juifs contrevenait aux règlements de leurs prestigieuses écoles.
Pollack n’a pas témoigné devant le Congrès depuis que la guerre à Gaza a commencé, le 7 octobre, une guerre qui avait été déclenchée par le massacre commis par le Hamas dans le sud d’Israël. Mais dans les semaines qui avaient suivi le début de l’offensive, son campus avait été le théâtre d’un incident antisémite qui avait été particulièrement médiatisé et elle avait subi les pressions d’un ancien membre du Conseil d’administration de l’école, qui lui avait demandé de démissionner.
Au mois d’octobre, un étudiant avait proféré de multiples menaces de mort à l’encontre de ses pairs juifs sur le campus, écrivant sur les réseaux sociaux qu’il ouvrirait le feu sur les occupants de la salle à manger casher de l’établissement. L’université avait annulé les cours pour organiser une « journée communautaire » – et l’étudiant avait été renvoyé. Il avait plaidé coupable au mois d’avril.
« Nous ne tolérerons pas l’antisémitisme à Cornell », avait écrit Pollack, à l’époque, dans un message adressé à la communauté du campus. « La virulence et le caractère destructeur de l’antisémitisme sont réels et ils ont un impact profond sur nos étudiants et sur nos employés juifs, ainsi que sur toute la communauté de Cornell. Cet incident souligne la nécessité de combattre les forces qui nous divisent et qui nous mènent à la haine ».
Le même mois, le professeur d’histoire Russell Rickford avait dit se sentir « euphorique » après l’attaque sanglante commise en Israël, le 7 octobre – ce jour-là, des milliers de terroristes avaient franchi la frontière par voie aérienne, maritime et terrestre, et ils avaient tué près de 1 200 personnes, des civils en majorité. Ils avaient aussi kidnappé 252 personnes, prises en otage à Gaza, se livrant à des atrocités et commettant des violences sexuelles à grande échelle.
Le professeur avait ultérieurement présenté ses excuses et il avait pris un congé exceptionnel.
Et au mois d’avril, Cornell avait été l’une des dizaines d’universités à être balayées par des mouvements de protestation, des étudiants pro-palestiniens dressant des campements pour dénoncer la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza. Plusieurs manifestants ont depuis été suspendus.
Au mois de janvier, un ancien membre du Conseil d’administration, Jon Lindseth avait appelé Pollack à démissionner en raison de son incapacité à s’attaquer à l’antisémitisme – il avait attribué cet échec à l’adhésion de la présidente aux politiques de Diversité, d’Équité et d’Inclusion (ou DEI).
Dans un courrier adressé aux membres du Conseil d’administration, Lindseth avait condamné « la réponse récente scandaleuse de la présidente à des actes clairs de terrorisme et à l’antisémitisme, en comparaison avec la riposte forte et rapide qui avait été la sienne lors de la tragédie George Floyd » en 2020, une tragédie qui avait entraîné un éveil national sur le problème du racisme, notamment au sein des forces de l’ordre.
« L’incapacité dont a fait preuve la présidente Pollack à agir avec conviction, avec clarté morale, a été un moment décisif où j’ai pu observer les effets préjudiciables du programme DEI sur toute une génération d’étudiants de Cornell », a-t-il poursuivi.
A l’époque, les autres membres du Conseil d’administration avaient pris la défense de Pollack. Mais cette dernière a toutefois écrit dans sa lettre qu’elle réfléchissait à partir depuis des mois – elle avait pris la barre de l’université il y a sept ans.
« En effet, j’avais commencé à réfléchir à cette possibilité à l’automne dernier et j’ai pris ma décision au cours des vacances du mois de décembre dernier », a-t-elle ajouté. « Mais alors que j’étais prête à le faire, j’ai dû attendre à trois reprises pour faire mon annonce en raison des événements qui se déroulaient sur notre campus et sur d’autres ».
Le doyen Michael I. Kotlikoff deviendra président par intérim de l’université le 1er juillet. Son mandat durera deux ans.
Lorsque Pollack était présidente, la Cornell University avait ouvert le campus Cornell Tech à Roosevelt Island, à New York, un campus de recherche qui travaille en collaboration avec le Technion, en Israël.
Pendant l’année universitaire 2023-2024, Pollack avait lancé la toute première « année thématique » de toute l’histoire du campus. Le thème, cette année, était la liberté d’expression et son courrier, écrit jeudi, a encouragé les étudiants à « développer plus d’aptitude à appréhender des points de vue différents », exhortant les jeunes « à écouter les personnes avec lesquelles nous sommes en désaccord ; à le faire en témoignant d’ouverture d’esprit et de curiosité intellectuelle ». Elle a ajouté que « en même temps, nous devons toujours réfléchir à l’impact de ce que nous nous disons les uns aux autres et nous devons savoir nous engager intelligemment dans le débat ».