La « Route de la soie » réinventée par des médecins israéliens qui sauvent des Afghans
Des oncologues de l'hôpital Sheba travaillent avec des médecins de Kaboul et Lahore pour faire transporter et traiter au Pakistan des enfants atteints d'un grave cancer de l'œil
La première Route de la soie est un réseau de routes commerciales de 6 400 kilomètres de long qui s’est développé du deuxième siècle avant notre ère jusqu’au milieu du 15e siècle et qui doit son nom aux précieux textiles transportés depuis la Chine à travers toute l’Asie et à destination de l’Europe.
De nos jours, ce sont les médecins de l’hôpital Sheba, en Israël, qui avec leurs collègues afghans et pakistanais recréent une « route de la soie » autour de valeurs ô combien plus précieuses que des marchandises, à savoir les enfants afghans atteints d’une forme de cancer particulièrement agressive – le rétinoblastome -, pour lesquels les soins sont réellement vitaux.
Sortir des frontières de l’Afghanistan contrôlé par les talibans n’est pas chose facile, mais les huit heures de route entre Kaboul, la capitale afghane, et Lahore, au Pakistan, peuvent faire toute la différence entre la vue et la cécité, voire entre la vie et la mort, pour les enfants atteints d’une ou plusieurs tumeurs malignes de la rétine. La rétine est cette membrane située à l’arrière du globe oculaire chargée de transformer la lumière qui entre dans l’œil en signaux électriques que le nerf optique envoie à son tour au cerveau pour créer les images que l’on voit.
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Selon le professeur Didi Fabian, oncologue oculaire à l’hôpital Sheba, cette Route de la soie du rétinoblastome a jusqu’à présent permis de transporter 10 enfants afghans atteints de cancer à l’hôpital pour enfants de Lahore, où ils ont pu bénéficier d’un traitement indisponible dans leur pays. L’espoir est grand de prendre encore plus d’enfants en charge.
Le projet est soutenu financièrement et logistiquement par Sheba Global, division internationale du Centre hospitalier Sheba, et par une ONG britannique.
Le fait qu’Israël n’entretienne pas de relations diplomatiques avec l’Afghanistan ou le Pakistan n’est pas à proprement parler un obstacle.
« Nous travaillons en partenariat avec NOOR, l’Organisation nationale pour la réadaptation ophtalmique, gérée par la Mission afghane d’assistance internationale (AIM). Ils ont quatre centres dans le pays, mais ils ne sont pas à même de traiter le rétinoblastome. Même lorsque les parents peuvent conduire leurs enfants au centre principal NOOR de Kaboul et que le diagnostic est posé, on les renvoie chez eux parce qu’il n’y a rien à faire sur place », explique Fabian au Times of Israel.
C’est ce qui a décidé les membres israéliens, afghans et pakistanais du Groupe d’Etude International du Rétinoblastome, panel d’experts de la maladie créé par Fabian en 2017, à agir.
Ils savaient pertinemment qu’ils ne pourraient pas obtenir les mêmes résultats que dans les pays à revenu élevé, où la maladie est rapidement détectée et guérissable. Mais ils ont voulu améliorer la situation des pays à revenu intermédiaire et en développement, où les obstacles aux soins de santé font chuter le taux de survie en deçà des 50 %.
« Le rétinoblastome est considéré comme rare : il touche environ 8 000 enfants entre 0 à 5 ans chaque année dans le monde. Son occurence est proportionnelle à la population d’un pays et à son taux de natalité. Par exemple, Israël recense 10 à 15 cas par an, le Royaume-Uni une quarantaine et la France, une soixantaine. En Inde, on est à 1 500 et en Chine 1 200 », précise Fabian, qui est également associé à la London School of Hygiene and Tropical Medicine.
Le rétinoblastome est causé par des mutations du gène RB1 dans les rétinoblastes, ces cellules rétiniennes immatures. Il y a deux copies de RB1 dans chaque cellule. Il faut un changement dans les deux copies du gène d’un rétinoblaste pour qu’une tumeur se développe. Soixante pour cent des cas de rétinoblastome sont sporadiques, c’est-à-dire lorsqu’un enfant naît avec deux gènes RB1 normaux mais qu’une mutation se produit dans les deux gènes d’une cellule rétinienne. Dans ces cas, la maladie n’affecte qu’un œil.
Le rétinoblastome héréditaire représente les 40 % de cas restants. Il se transmet de parent à enfant et peut être familiale ou sporadique. Dans les cas sporadiques, on ne trouve pas d’antécédents familiaux. La mutation du gène RB1 se produit dans l’ovule ou le sperme avant même la conception du foetus – on parle de mutation germinale – et est transmise à l’enfant. L’enfant naît alors avec une copie de la mutation RB1 dans toutes les cellules de son corps. Plus tard, une mutation de la deuxième copie du gène RB1 se produit dans les cellules du rétinoblaste et provoque un rétinoblastome, et une ou plusieurs tumeurs se développent alors dans un, voire les deux, yeux.
Le but du programme de la Route de la soie du rétinoblastome est de faire le maximum pour la centaine d’enfants afghans diagnostiqués chaque année. Les enfants transportés au centre NOOR de Kaboul sont examinés par l’équipe de la Route de la soie du rétinoblastome via la télémédecine, et ceux qui sont diagnostiqués à temps et ont une chance d’être guéris sont prioritaires pour une prise en charge à Lahore.
Le diagnostic de la maladie est généralement posé par le médecin, alerté par un parent ayant remarqué dans l’oeil de son enfant une tâche blanche de la pupille, connue sous le nom de leucorie. Sous une lumière directe, la pupille semble rouge. En présence d’une tumeur de rétinoblastome dans l’œil, elle est blanche.
« Si le diagnostic est trop tardif, ou si le traitement n’est pas commencé rapidement après le diagnostic, la tumeur continue à se développer et sort de l’œil. Lorsqu’elle atteint le cerveau, c’est la mort assurée », explique Fabian.
Le traitement n’étant pas disponible au centre NOOR de Kaboul, la partie afghane de l’équipe fait en sorte d’obtenir les autorisations de sortie du territoire pour l’enfant et l’un au moins de ses parents, afin de se rendre au Pakistan où ils sont accueillis par un chauffeur, qui les conduit à l’hôpital de Lahore. Les familles séjournent dans un « lieu sécurisé », précise Fabian, aussi longtemps que nécessaire pour le succès du traitement de l’enfant.
Le traitement – qui, selon Fabian, est disponible à l’hôpital de Lahore – passe par de la chimiothérapie, de la chirurgie tumorale voire l’énucléation (l’ablation chirurgicale de l’œil) si nécessaire. Les équipes médicales de Kaboul, Lahore et Sheba en Israël décident ensemble de la conduite à tenir dans chaque cas de figure. La chimiothérapie peut être systémique, intra-artérielle (administrée directement dans l’artère ou le vaisseau sanguin qui alimente l’œil affecté en insérant un cathéter dans la région de l’aine de l’enfant) ou intravitréenne (injections directement dans la cavité oculaire).
Fabian précise que le programme prend en charge les familles pendant toute la durée de leur séjour à Lahore pour le traitement de leur enfant, parfois quelques semaines, parfois des mois. Le coût des traitements est pris en charge par le gouvernement pakistanais.
« Ce n’est pas comme pour une opération de la cataracte, après laquelle vous rentrez à la maison et tout rentre dans l’ordre. C’est un combat de longue haleine », explique Fabian.
Interrogé sur le suivi des enfants rentrés en Afghanistan, Fabian ajoute que le programme prévoit de les conduire régulièrement au Pakistan, au besoin pendant plusieurs années, jusqu’à la complète guérison.
« Il existe de nombreux scénarios cliniques et il est impossible de parer à toute éventualité. Parmi mes patients, 90 – pour ne pas dire 100% – ont besoin d’un suivi de très long terme et reviennent pour des examens supplémentaires sous anesthésie, parfois avec de l’imagerie », précise-t-il.
« Si un enfant a les yeux rouges, des larmoiements ou quelque chose de cette nature, les ophtalmologistes du NOOR peuvent l’examiner mais s’il faut une anesthésie pour évaluer la réponse au traitement, voir s’il y a des récidives, des rechutes ou de nouvelles tumeurs, alors il faut aller à Lahore. C’est cela aussi que le programme prend en charge : c’est prévu. »
La partie afghane de l’équipe réussit le plus souvent à obtenir les autorisations de sortie du territoire des familles. Mais que se passe-t-il dans le cas contraire ?
« Quelle est l’autre option : ne pas les traiter du tout ? » interroge le Dr Udi Reich, chef du service d’oncologie oculaire de l’hôpital Shaare Zedek, qui n’est pas membre du programme.
« Toute forme de traitement est préférable à l’absence de traitement », assure-t-il.
Reich pense que le laser et la cryothérapie peuvent être mis en oeuvre au sein des hôpitaux afghans.
« Je pense qu’ils ont les équipements nécessaires. Si ce n’est pas le cas, ils peuvent se les procurer sans trop de frais et cela ne requiert pas trop d’entretien. Les médecins afghans peuvent être accompagnés par des médecins israéliens et pakistanais sur la façon de faire », ajoute-t-il.
Fabian évoque le projet de bourse pour les ophtalmologistes afghans, pour leur permettre de venir se former dans des centres d’excellence au Pakistan et ailleurs.
« L’idéal serait de pouvoir disposer d’un centre de traitement du rétinoblastome en Afghanistan », conclut Fabian.
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