La vie chaleureuse d’une vieille communauté juive dans une Sibérie glaciale
Le jour où une synagogue a été rendue aux juifs de Tomsk, le petit-fils de son gardien a révélé le rouleau de Torah que sa famille a gardé en secret pendant 90 ans
TOMSK, Russie — Au moment des toasts portés par les responsables juifs de Tomsk, le chef de la tranquille petite communauté juive de la ville sibérienne, Baruch Ramatsky, a soudainement montré un petit et ancien rouleau de Torah.
En observant les visages surpris du grand rabbin de Russie Berel Lazar, et du rabbin local de Tomsk, il était facile de comprendre que cet événement ne faisait pas partie des réjouissances prévues lors de la cérémonie en l’honneur de la restitution de la synagogue historique que les autorités communistes s’étaient approprié.
Appelée synagogue Cantoniste, ce bâtiment rendu à la communauté juive est une structure en bois peu solide – l’une des quelques-unes encore debout – qui a été construite il y a plus de 100 ans par un groupe de conscrits vétérans – les « cantonistes » qui ont eu l’obligation de servir pendant plus de 25 ans dans l’armée du tsar et enrôlés alors qu’ils étaient enfants.
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Un petit nombre de ces recrues juives particulièrement dévouées avaient résisté aux pressions systématiques pour qu’elles se convertissent. Mais, de manière ironique, ces soldats étaient considérés comme des « rustres » à leur retour chez eux, des décennies plus tard, et avaient été souvent relégués dans une section séparée, à l’arrière de la synagogue. En réponse, les « Cantonistes » de Tomsk avaient formé une communauté de leur côté.
Le grand-père de Ramatsky, qui a présenté la Torah lors de cette cérémonie, était le dernier gardien de la synagogue avant qu’elle ne soit prise par les Soviétiques dans les années 1930.
« Cela fait 90 ans que nous sauvegardons cette synagogue », a dit Ramatsk. « Et il est temps maintenant qu’elle sorte de la clandestinité ».
Avec le retour tardif de cette synagogue au sein de la communauté juive, la révélation de l’existence d’un rouleau de la Torah a constitué une métaphore puissante pour la communauté juive russe en général, qui, même après des décennies depuis la chute du rideau de fer, est encore en train de sortir prudemment de sa coquille. Comme les « Cantonistes » eux-mêmes, ce rouleau est un symbole unique de résilience face à l’adversité.
Lors de cet après-midi où les températures ont chuté en dessous de zéro, les membres de la petite communauté dynamique de Tomsk ont commencé à danser avec la Torah devant la synagogue après une cérémonie durant laquelle le maire de la municipalité, Ivan Klyayn, a remis symboliquement les clés du bâtiment à Lazar.
D’hier à demain
Tandis que les juifs de Tomsk se réjouissent devant cette ancienne synagogue en bois, environ 160 adultes, à 25 kilomètres de là vers le sud-est, lancement d’un week-end annuel de trois jours qui a pour objectif de renforcer le sens de la communauté et de l’identité juive chez des adolescents et de jeunes adultes.
Dans ce campus étendu situé au milieu d’une forêt sibérienne, impossible de ressentir une présence végétale, même sous l’épaisse couche de neige et de glace.
Les nombreux dortoirs qui accueillent les centaines de participants forment un cercle autour du bâtiment principal.
Là-bas, en plus des bureaux administratifs, il y a une cafétéria casher et un auditorium qui s’est rapidement transformé en studio de danse.
Une partie du mouvement Yachad, une initiative pour les jeunes au sein de la communauté juive russe, qui comprend le programme Eurostars – un groupe pour les jeunes adultes, appelé ZOOM – organise des activités hebdomadaires en Russie, en Biélorussie, en Azerbaïdjan et au Kazakhstan.
Comme de nombreux groupes nord-américains similaires, le mouvement est divisé au niveau régional, et les participants se relaient dans les différentes villes hôtes. Tomsk est associé à la région peu peuplée de la Sibérie – la plus grande, et de loin.
« A Tomsk, il y a un taux d’assimilation de 99 % », a estimé Kaminetsky, qui a accompagné le Times of Israel lors de cet événement. Kaminetsky est également le directeur jeunesse de la branche ZOOM locale.
« La majorité des participants ont seulement une mère juive [pas de père] et nous essayons de les faire avancer dans le judaïsme, sinon, la prochaine génération sera proche de zéro », a expliqué Kaminetsky.
« Ce programme est révolutionnaire pour notre communauté [à Tomsk] », dit Kaminetsky.
« Nous avons commencé sans personne et nous avons maintenant 40 jeunes qui participent sur une base régulière. Et ils ne se rendent pas seulement aux cours hebdomadaires – ils sont bénévoles, ils aident lors de tous les événements communautaires. C’est vraiment beau », a-t-il dit.
Collations, éclats de rire, accueil des nouveaux venus, l’ambiance est chaleureuse. Quelques mots en hébreu entendus dans les discussions en russe pour évoquer la vaste gamme d’activités et d’ateliers disponibles.
Filles et garçons se scrutent : en plus de l’éducation juive, ce rassemblement sert aussi de lieu de rencontres où les célibataires ont l’opportunité de trouver un partenaire juif.
« Je ne raterais cela pour rien au monde », s’exclame une participante de 19 ans, Alex. « J’ai fait 14 heures de train pour arriver depuis Omsk ».
Quand on lui demande si c’est elle, qui a parcouru la plus longue distance pour venir, elle rit : « Non, il y a des gens d’Irkutsk qui se trouve à environ 20 heures d’ici », répond-elle.
Kaminetsky ajoute que le programme a plusieurs conséquences, notamment le rajeunissement de la communauté vieillissante. Il déclare également que certains participants deviennent de plus en plus pratiquants, même si ce n’est pas le but de cette initiative.
« Certains observent un petit peu plus le Shabbat, certains se font circonscrire, certains se marient avec des juifs et d’autres vont à la yeshiva », dit Kaminetsky. « Mais c’est vraiment une affaire personnelle. Chaque individu suit le chemin qui lui est propre ».
Un éveil spirituel
Lorsque Kaminetsky, 23 ans, et son épouse Gitti sont arrivés à Tomsk pour la première fois depuis Israël, au mois de novembre 2004, la communauté était aussi fracturée que modeste.
Située à 15 kilomètres au sud-ouest de la ville fermée de Seversk – site du Siberian Group of Chemical Enterprises, des réacteurs et des usines qui produisent et stockent des ogives nucléaires – Tomsk a gagné sa réputation en accueillant certaines des meilleures universités en Sibérie.
Même si de nombreux juifs sont arrivés durant l’ère communiste en raison de quotas informels pratiqués sur les étudiants juifs dans les grandes villes comme Moscou, la majorité d’entre eux se sont rapidement assimilés.
Le rabbin a estimé que la population juive s’élève à environ 4 000 personnes.
Lorsqu’il est arrivé pour la première fois il y a 14 ans, il y avait trois bâtiments autour de la principale synagogue, assez décrépie, qui fonctionnaient comme lieux de culte supplémentaires – mais chacun d’entre eux n’était fréquenté que par quelques personnes.
A cause de cet éparpillement, aucun des lieux de culte n’accueillait suffisamment de fidèles pour la mise en place d’un quorum de prières.
La première chose réalisée par Kaminetsky a été de les réunir sous le même toit.
« Leurs désaccords n’étaient pas personnels, et ils n’étaient pas non plus idéologiques », a-t-il expliqué. « Tout le monde voulait faire les choses de son côté mais il n’y avait pas de problème grave ».
Alors, ensemble, la communauté nouvellement établie a oeuvré à réparer la synagogue. Le bâtiment est dorénavant restauré, il accueille une petite école d’hébreu qui sert à l’ensemble de la communauté et une cuisine casher.
Suivant l’exemple de Lazar, qui a offert des matzot pour Pessah à des moscovites non-affiliés qui avaient un besoin désespéré de produits alimentaires de base, Kaminetsky a fait passer des publicités sur les chaînes de télévision locales pour promouvoir la distribution gratuite de ces petits pains de l’affliction. Il est parvenu à élaborer une liste d’adresses mail d’environ 2 000 personnes juives qui, selon lui, ont des activités régulières au sein de la communauté.
« C’est incroyable », dit-il. « En ce moment, il y a peut-être dix personnes qui font vivre la communauté, c’est formidable ».
Quarante enfants fréquentent un jardin d’enfants juifs et 100 autres participants prennent part à un enseignement hors-programme. Plus de 80 autres personnes ont rejoint des programmes pour les adolescents et les jeunes adultes, jusqu’à l’âge de 28 ans.
Aujourd’hui, malgré son éducation, à son jeune âge, passée dans le doux pays méditerranéen d’Israël, le rabbin considère Tomsk, cette ville reculée, comme son véritable foyer.
« Quand je me rends en Israël – j’adore Israël, mais j’ai l’impression d’être un invité », a dit Kaminetsky. « J’adore être ici [à Tomsk], les enfants adorent être ici. Il est impossible de faire un bon travail si on n’adore pas l’endroit. Si on passe son temps à se dire qu’on vit en exil, alors on commence à avoir le sentiment qu’on vit vraiment en exil ».
Même s’il se sent chez lui dans cette ville reculée, son sens de l’appartenance est mêlé à son sens de la mission.
« Les juifs doivent pouvoir vivre là où c’est confortable pour eux », a dit Kaminetsky.
« Et s’ils veulent vivre à Tomsk, alors ils doivent jouir des mêmes infrastructures qu’un juif de France ou d’Amérique. Ils doivent avoir une école juive, des produits cashers, une communauté solide qui les entoure – c’est là l’objectif. Cela se construit petit à petit, mais finalement assez rapidement ».
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