La ville fantôme de Kiryat Shmona organise ses élections municipales sans ses électeurs
La course à la mairie, retardée de quinze mois à cause de la guerre, se déroule alors que près de 80 % de ses habitants ont été évacués dont beaucoup ne reviendront pas

Les élections municipales qui se sont tenues mardi à Kiryat Shmona – avec quinze mois de retard par rapport à la date initiale en raison de la guerre – ont été les plus étranges que j’aie jamais couvertes.
Les trois candidats à la mairie ont arpenté les rues d’une ville fantôme qui comptait autrefois 24 000 habitants. Tous trois ont tenté de rallier ceux qui n’étaient pas partis, ceux qui avaient accepté de revenir pendant la guerre, ou ceux qui étaient simplement revenus brièvement pour s’occuper de leur maison.
Au lendemain du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah a également commencé à attaquer Israël dans le nord. Cela a entraîné une évacuation massive sans précédent de quelque 70 000 habitants des communautés et des villes du nord proches de la frontière libanaise. Les habitants de Kiryat Shmona, à un peu plus d’un kilomètre et demi de la frontière, faisaient partie des personnes évacuées.
Aujourd’hui, près de 19 000 habitants de Kiryat Shmona, soit près de 80 %, sont dispersés dans tout le pays. Beaucoup n’ont pas l’intention de revenir. Il est probable que beaucoup d’entre eux n’étaient même pas au courant que des élections avaient lieu dans leur ville mardi. C’était une ville vide de ses habitants, qui organisait des élections sans électeurs.
Dans de telles circonstances, les candidats à la mairie ont dû faire campagne loin de Kiryat Shmona. Ils se sont rendus dans plusieurs des 500 communautés et 400 hôtels d’Israël où vivent actuellement les habitants déplacés de la ville et où la plupart des bureaux de vote ont été installés le jour des élections.
« Je me sentais comme un candidat aux élections législatives, cherchant des soutiens partout dans le pays, sauf à Kiryat Shmona », a déclaré Eli Zafrani depuis son quartier général de campagne.

Devant ses bureaux, une camionnette équipée d’un haut-parleur et de drapeaux était prête à partir pour une campagne de sensibilisation à la participation électorale dans toute la ville. Cela semblait quelque peu absurde dans cette ville fantôme.
Le chaos qui entoure les élections, organisées pour choisir à la fois un maire et son conseil municipal, a entravé la publication rapide des résultats définitifs. Les votes des bureaux de vote situés en dehors de la ville ne seront probablement dépouillés que dans les prochains jours.
Près de 5 200 personnes se sont rendues aux urnes dans les bureaux de vote de Kiryat Shmona. Le maire sortant Avichaï Stern a obtenu 39,2 % des voix, Zafrani 30,5 % et Ofir Yehezkeli 28,6 %. Afin de remporter la victoire, un candidat doit obtenir 40 % des voix. Sur la base de ces résultats partiels, Kiryat Shmona devra recommencer le processus lors d’un second tour.
Zafrani, 55 ans, est le candidat du Likud, et a tourné une vidéo de campagne avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu. « Il n’arrête jamais de me mettre des bâtons dans les roues au nom de Kiryat Shmona », a déclaré Netanyahu en guise de soutien.

Le soutien de Netanyahu à ce candidat est sujet à controverse. Dans une ville où presque tous les habitants ont fui par crainte d’une invasion du Hezbollah à la manière du Hamas, où de nombreuses maisons ont été détruites par des tirs de roquettes pendant la guerre, et où beaucoup se sentent abandonnés et négligés à ce jour, on ne sait pas si le Premier ministre est la meilleure personne pour se porter garant d’un candidat.
Cependant, la situation est complexe. Lors des dernières élections législatives, en novembre 2022, 50 % des habitants de Kiryat Shmona ont voté pour Netanyahu et le Likud. Les personnes que j’ai rencontrées mardi ont déclaré que voter pour Netanyahu et son parti était toujours dans leur nature. Même s’ils étaient furieux contre le Premier ministre et son gouvernement après la catastrophe du 7 octobre, plusieurs ont déclaré avoir changé d’avis depuis, à l’aune des victoires d’Israël contre le Hezbollah.
Mardi, l’armée israélienne a officiellement achevé son retrait du sud du Liban dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu, bien que des troupes demeurent dans cinq avant-postes pour le moment. Kiryat Shmona était calme, sans aucune tension dans l’air. « Je suis en colère contre Netanyahu », a déclaré un jeune homme qui se promenait dans la ville. « Mais je suis encore plus en colère contre ceux qui l’attaquent. »
D’un autre côté, le maire Stern, 39 ans, a construit sa campagne autour d’allégations contre Netanyahu. « Il aurait dû démissionner de son poste de Premier ministre immédiatement après le 7 octobre », a répété Stern tout au long de la guerre. Le jour des élections, les membres de la campagne du maire se plaignaient encore du traitement réservé par le gouvernement à leur ville.

Sur la base des premiers votes comptabilisés à Kiryat Shmona, il semble que ce maire au tempérament combatif n’ait pas été pénalisé politiquement. En ce qui concerne ses habitants, Stern a garanti des conditions relativement satisfaisantes aux résidents évacués.
Le maire dispose également de suffisamment de ressources et d’influence pour mobiliser ses électeurs. Il est en effet le plus grand employeur d’une ville où la plupart des usines ont soit fermé, soit déménagé dans des zones plus sûres. Le déloger ne sera donc pas chose facile.
Le troisième candidat, Yehezkeli, a été l’adjoint de Stern avant de devenir une figure de l’opposition et se présente maintenant contre lui à la tête d’une liste appelée « Nouvelle voie ». Yehezkeli, 45 ans, se tenait mardi devant le bureau de vote de l’école Metzudot, affirmant : « Kiryat Shmona n’a pas de père. » Les habitants qui se pressaient autour acquiesçaient.
« Nous sommes bloqués à Tibériade », a déploré Yehuda Dahan, qui est revenu dans la ville avec sa famille pour voter.

« Il y a tellement d’incertitude. Nous ne savons pas où envoyer nos enfants ni quand, ni s’il y aura des écoles ici ou non. On ne peut pas vivre comme ça. »
Les conversations avec les dirigeants locaux et les habitants de la ville révèlent que beaucoup de ceux qui sont partis se sont bien installés dans leur nouveau lieu de résidence, reçoivent des allocations généreuses du gouvernement et ont construit une vie confortable dans le centre d’Israël. Beaucoup n’envisagent pas de reprendre leur ancienne vie à Kiryat Shmona après un an et demi d’absence.
« Les résidents des hôtels de Tel Aviv s’amusent. À Eilat aussi. Mais ils n’aiment pas être à Tibériade », a déclaré un haut responsable municipal.
« Bientôt, l’État cessera de les financer, leur accordera une subvention unique, puis ils prendront l’argent et reviendront. La question est de savoir combien d’entre eux reviendront ? »

Mardi, Kiryat Shmona ressemblait à une ville qui ne demandait qu’à se réveiller – une belle endormie en Haute Galilée, avec un temps magnifique, face au mont Hermon, déjà enneigé à son sommet. Tout le monde comprend que le vainqueur de l’élection municipale devra reconstruire la ville et améliorer l’emploi, l’éducation, les soins de santé et la culture pour attirer à nouveau les habitants.
Plus important encore, ils devront assurer la sécurité de leurs résidents. La date limite du retrait de l’armée israélienne du sud du Liban s’est écoulée sans heurts, malgré l’élimination de Muhammad Shahin, haut responsable du groupe terroriste palestinien du Hamas, au Liban lundi.
La question est de savoir ce qui adviendra ensuite. À Kiryat Shmona, certaines maisons sont encore en ruines après avoir été directement touchées par des roquettes. Ces images continuent de dissuader les habitants et leur rappellent brutalement le danger de vivre dans une ville située si près de la frontière.
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