La visite controversée du président syrien à Paris
Ancien djihadiste lié à Al-Qaïda et à l’État islamique, Ahmed al-Charaa, est reçu ce mercredi par Emmanuel Macron

Depuis quelques jours, son nom plane au-dessus du petit monde politico-médiatique français : Ahmed al-Charaa. Le président par intérim de la Syrie est arrivé à Paris mercredi, où il doit rencontrer son homologue Emmanuel Macron.
Bien qu’il affiche une volonté de normaliser ses relations avec l’Occident, Ahmed al-Charaa traîne un passé des plus sombres. Ancien djihadiste, il fut affilié à Al-Qaïda, puis à l’État islamique, et a également été l’un des fondateurs du Front al-Nosra. Un parcours qui a contraint la France à déposer une demande d’exemption auprès des Nations unies, l’organisation ayant inscrit le nouveau maître de Damas sur sa liste des individus considérés comme terroristes, ce qui lui interdisait jusqu’alors de voyager.
À cela s’ajoutent des déclarations hostiles à la France attribuées à Ahmed al-Charaa, récemment exhumées : « Nous sommes heureux de constater qu’une secte déviante a été capable de mettre en œuvre une opération, couronnée de succès, à l’encontre des kufar (infidèles) », avait-il déclaré après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, qui avaient coûté la vie à 130 personnes au Stade de France, au Bataclan et sur des terrasses parisiennes.
La présidente des députés RN, Marine Le Pen, avait critiqué mardi la venue du président syrien, qu’elle décrit comme « un jihadiste passé par Daech et Al-Qaïda ».
« Stupeur et consternation », écrit la responsable d’extrême droite sur X, dénonçant « la provocation » et « l’irresponsabilité » selon elle du président de la République.
« Une fois encore, Emmanuel Macron abîme l’image de la France et discrédite son engagement, notamment auprès de ses alliés, dans la lutte contre l’islamisme », ajoute-t-elle.
« Les milices islamistes qui ont semé la mort parmi nos compatriotes au cours d’attentats sanglants, massacrent les minorités », précise encore Mme Le Pen.
« La réception du dictateur syrien islamiste par Emmanuel Macron à Paris est une faute ! », a estimé de son côté, également sur X, le président des députés UDR, allié du RN, Éric Ciotti.
Il a critiqué « une erreur fondamentale qui participe à la reconnaissance internationale d’un régime abominable ! ».
Face à la polémique, l’Élysée a tenté de justifier ce revirement diplomatique auprès d’Europe 1 : « Nous ne faisons pas l’impasse sur le passé de M. al-Charaa. Mais il a lancé un processus de transition. »
De son côté, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a précisé mardi soir sur TF1 : « Nous ne donnons pas de chèque en blanc. Nous jugeons sur les actes. J’ai moi-même rencontré Ahmed al-Charaa à Damas, le 3 janvier dernier. Nous avons exigé un engagement clair sur les armes chimiques — ce dossier a été partiellement traité —, un dialogue avec les Kurdes — il a été engagé —, ainsi qu’une meilleure représentativité du gouvernement. Si nous l’accueillons aujourd’hui, c’est précisément pour lui demander d’aller plus loin. »
Sa venue a lieu au moment où les nouvelles autorités syriennes, issues d’une coalition de groupes islamistes cherchent à obtenir la levée complète des sanctions héritées de l’ère Assad, et doit répondre aux demandes européennes de garanties en matière de respect des droits humains.
Les deux hommes auront des discussions portant sur « plusieurs questions bilatérales et régionales »,a déclaré à l’AFP un responsable du ministère syrien de l’Information, souhaitant garder l’anonymat car non autorisé à s’exprimer publiquement.
« Les questions de la reconstruction et des perspectives de coopération et de développement économiques en Syrie » seront au centre des discussions, a-t-il dit, ajoutant que l’accent sera mis sur les secteurs de l’énergie et de l’aviation.
Le 1er mai, le gouvernement syrien a signé un contrat avec le géant français de la logistique CMA CGM pour développer et exploiter le port de Lattaquié, dans l’ouest de la Syrie.
« Les discussions porteront également sur (…) les défis sécuritaires auxquels le nouveau gouvernement syrien est confronté, les attaques israéliennes répétées contre la souveraineté syrienne, ainsi que les relations avec les pays voisins », a ajouté le responsable.
Le président français « redira le soutien de la France à la construction d’une nouvelle Syrie, une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne », a annoncé mardi l’Elysée à l’AFP.
La présidence française a d’autre part évoqué sa « préoccupation particulièrement forte » de « voir resurgir des confrontations interconfessionnelles extrêmement violentes » en Syrie.
Des massacres qui ont fait 1 700 morts, majoritairement alaouites dans l’ouest du pays en mars, de récents combats avec des druzes, et des sévices documentées par des ONG, soulèvent des doutes sur la capacité des nouvelles autorités à contrôler certains combattants extrémistes.
Le gouvernement d’al-Charaa, ancien chef rebelle du groupe Hayat Tahrir al-Sham issu de l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie, tente pour sa part de présenter un visage rassurant à la communauté internationale qui l’exhorte à respecter les libertés et protéger les minorités.