« La zone d’intérêt » : Sandra Hüller, actrice de l’année, dans son rôle le plus sombre
L'actrice allemande joue l'épouse du commandant du camp d'extermination d'Auschwitz, dans un film où l'insouciance d'une vie bourgeoise côtoie la mort d'un million de Juifs européens dans ce camp entre 1940 et 1945
Indéchiffrable et intense, l’actrice allemande Sandra Hüller, nommée aux Oscars et aux César pour « Anatomie d’une chute », joue dans « La zone d’intérêt » l’épouse du commandant du camp d’extermination d’Auschwitz.
« Je ne dis jamais qu’un film que je fais est important mais, là, c’est le cas », assure-t-elle à l’AFP à propos de ce rôle sur la banalité du mal, où l’insouciance d’une vie bourgeoise côtoie la mort d’un million de Juifs européens dans ce camp entre 1940 et 1945.
Le film est extrêmement dérangeant pour le spectateur. Avez vous aussi ressenti ce malaise en jouant ?
« J’évite de répondre à cette question car c’est bizarre de dire que quelque chose a été dur quand on est à un tel endroit (à Auschwitz, ndlr), tout est à remettre en perspective. Quelle que soit la difficulté que vous ressentez à faire votre travail, ce n’est rien en comparaison de ce qu’il s’est passé réellement.
Les équipes étaient très respectueuses, chaleureuses, organisées. Avec Christian (Friedel, qui joue le commandant du camp), on se parlait beaucoup, on se demandait tout le temps si on agissait de façon juste, quelle était la vision de Jonathan (Glazer, le réalisateur), où étaient les limites.
Au final, je ne dirais pas que c’était dur. C’était pour un temps donné et ce n’était qu’un costume que nous enfilions. »
Qu’est-ce qui vous a convaincue que vous étiez dans le juste en tournant ce film ?
« C’est la personne même de Jonathan (Glazer). Sa vulnérabilité, ses doutes et le fait qu’il ne veuille pas faire un film sur l’Holocauste comme d’autres ont pu le faire. Pour lui, ce projet c’était tout.
Il a pris des décisions artistiques intelligentes, comme d’utiliser de multiples caméras pour créer une situation de surveillance permanente. De nous prendre nous, acteurs allemands, dans cette situation, même s’il ne s’agissait pas de dresser un portrait de ces gens mais de montrer un mécanisme, comment les gens agissent. Pour moi, il n’ont même pas nécessairement à être des SS, ça pourrait être n’importe quel couple. »
La montée de l’extrême droite dans le monde et la fragilité de la démocratie donnent-elles une résonance particulière à votre rôle ?
« Je ne dis jamais que le film que je fais est important mais, là, c’est le cas. Oui, c’est important de montrer que l’extrême droite, qui est un fascisme, conduit de toute façon à la violence. On ne peut pas mettre en place ce système sans faire du mal aux gens. C’est totalement lié à la violence, quoi qu’ils en disent. Même si les gens veulent juste leur petit jardin et vivre leur belle vie, ce n’est pas possible sans faire du mal aux autres. On doit être conscient de ça. »
Cela rejoint-il la raison pour laquelle vous êtes devenue actrice ?
« Jeune, j’ai fait ça juste par plaisir et par besoin de jouer. C’était la chose la plus plaisante que je pouvais choisir. Quand on grandit, de plus en plus de gens voient ce que vous faites et les responsabilités changent.
Au début, on n’y pense pas mais je me demande toujours quelle vérité je raconte : est-ce la vérité du texte de l’auteur ou la mienne ? Y a-t-il une connexion entre les deux ? La question de la responsabilité, d’être honnête et d’être politique dans ce que tu fais, de porter un message dans lequel tu crois, ça a toujours été là, mais la responsabilité s’accroît de plus en plus.
Moi, j’ai tout ce dont je rêve. Je n’ai pas de plan ni rien. J’espère que ce monde sera un peu plus en paix et qu’on va résoudre les problèmes qu’il rencontre. C’est beaucoup plus important que ma carrière. »