L’abattage rituel juif sur la sellette
Bientôt interdit en Belgique, il est la cible de défenseurs de la cause animale. Pourtant, sa principale raison d’être consiste à donner la mort sans souffrance. Pour comprendre ce paradoxe, voici les éléments du débat

La Wallonie (Belgique francophone) vient d’interdire l’abattage des animaux sans étourdissement préalable à dater de juin 2018. Si une dérogation a été accordée pour la viande hallal et casher, elle est limitée dans le temps. Dès septembre 2019, il sera impossible de tuer une bête de boucherie selon les règles du judaïsme.
Car l’étourdissement est proscrit par la Torah : il inflige des blessures, qu’il soit effectué par gazage, tige perforante ou électronarcose. Or, la carcasse doit être « intègre » pour être consommable par les Juifs pratiquants.
C’est bientôt l’ensemble du plat pays qui devrait suivre le mouvement abolitionniste, se rangeant aux arguments de défenseurs de la cause animale qui font campagne en ce sens, notamment en Europe.
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En France, le débat s’est invité dans la course à l’Elysée quand l’ancienne candidate Marine Le Pen s’était prononcée en faveur de l’interdiction de l’abattage rituel.

Cela dit, la polémique n’a pour le moment qu’un impact limité en diaspora. En effet, les états où la sherita (méthode de mise à mort des bêtes conforme à la Loi juive) n’est pas autorisée à l’heure actuelle sont la Pologne, le Lichtenstein, l’Islande, la Suisse, la Norvège, la Suède, le Danemark et la Nouvelle-Zélande. Les fidèles concernés y sont peu nombreux. De plus, ces pays n’empêchent pas l’importation de viande casher.
En revanche, une exigence moderne se répand presque partout depuis le milieu du 20e siècle : la fin de l’enchaînement des animaux avant l’égorgement. Cet enchaînement était traditionnellement de mise dans les cultes musulman et juif, sans être justifié religieusement.
Il est proscrit aux Etats-Unis comme en Israël et le sera fin 2017 au Paraguay. 40 % de la viande bovine consommée en Israël provient de ce pays. C’est d’ailleurs Jérusalem qui a fait pression pour qu’Asuncion cesse d’entraver les bêtes. Il est probable que l’Argentine, autre exportateur de carcasses casher vers l’Etat juif, soit contrainte d’adopter la même mesure.
Dans le cas contraire, la Cour suprême israélienne pourrait s’opposer, en juin 2018, à la poursuite des importations de bovins en provenance du grand pays d’Amérique du Sud.

Si la disparition de l’enchaînement est largement approuvée, les communautés juives organisées à travers le monde se plaignent des attaques croissantes contre la sherita et sa pérennité.
En Hollande, une loi entrée en vigueur en janvier dernier oblige le sacrificateur à étourdir l’animal s’il n’a pas perdu connaissance dans les 40 secondes suivant l’égorgement. Cela signifie qu’il sera plus difficile de produire de la viande casher.
Plus rédhibitoire encore pour les professionnels : les bêtes abattues rituellement sont dorénavant non exportables et présentées comme telles au consommateur, dans des emballages particuliers. Elles doivent être vendues en magasin séparément des autres produits carnés.
Objectif : permettre aux détracteurs de l’égorgement sans étourdissement préalable de ne pas manger par inadvertance une viande tuée selon une méthode qu’ils réprouvent pour sa supposée cruauté. Cette précaution devrait vite s’étendre dans le monde occidental car elle est réclamée par un grand nombre d’associations et de mouvements politiques.
Est-elle légitime ? La sherita provoque-t-elle plus de souffrance animale que l’abattage conventionnel ?

Rappelons d’abord que le sacrificateur juif (shoret) coupe la trachée, l’œsophage, les artères carotides et veines jugulaires de la bête de telle sorte qu’elle meure le plus vite possible, précisément… sans douleur inutile. Il doit la vider de son sang, prohibé par la Torah, tout comme le sont les tendons ou le suif (résidu provenant de la fonte des graisses).
Le couteau utilisé répond à des exigences strictes en termes d’incision et de tranchant. Il existe aussi des coutumes, différentes dans les communautés ashkénazes et séfarades, qui concernent par exemple la prohibition de certaines carcasses jugées impures du fait de la présence de perforations dans les poumons. Sans oublier les bénédictions…
Ces règles complexes, édictées par la Loi orale compilée dans le Talmud (la Loi écrite, autrement dit les préceptes bibliques, ne les évoquant que de façon vague et générale), ont été codifiées par Maïmonide au 12e siècle dans son Michné Torah, l’un des livres de référence du corps rabbinique.
La sherita répond à un souci de perfection, d’hygiène et surtout d’humanité : éviter que l’animal ne perde la vie en passant par la terrible épreuve de l’agonie. Pourtant, elle est perçue par certains comme dépassée et plus douloureuse que les méthodes « laïques » pratiquées dans les abattoirs modernes.
Les premières voix en faveur de la suppression de la sherita ne sont pas nouvelles : elles datent des années 1860. Plusieurs enquêtes vétérinaires concluent alors que l’abattage rituel n’est pas plus inhumain que l’abattage conventionnel.
La Suisse vote néanmoins son interdiction en 1893, la Norvège en 1930 et l’Allemagne en 1933 (interdiction levée après guerre outre-Rhin). La Suède et l’Islande ne tardent pas à adopter la même mesure. En l’absence de fondements scientifiques, ces décisions sont motivées, purement et simplement, par l’antisémitisme régnant à l’époque sur le Vieux Continent.
Tout change en 1979 quand le Conseil de l’Europe impose l’étourdissement préalable au motif que les experts, cette fois, estiment majoritairement que cette technique est la meilleure pour atténuer la souffrance animale.

Toutefois, des dérogations sont autorisées en vertu de la liberté religieuse, mais elles sont appliquées diversement – on l’a vu – dans les pays de l’Union, même si les états abritant une communauté juive importante (Royaume-Uni, Allemagne et surtout France) ne sont menacés ni à court ni à moyen termes.
Des rapports publics préconisent certes, dans l’Hexagone, des réformes depuis la révélation de pratiques scandaleuses, mais ces conclusions récentes sur l’abattage dans sa globalité ne semblent pas en mesure de remettre en cause le poids du culte juif et l’influence de son représentant institutionnel, le Consistoire, qui endigue les attaques anti-sherita, qu’elles émanent des associations ou des partis (FN et Verts).
La France est d’ailleurs le pays européen abattant le plus grand nombre de bêtes de manière rituelle (15 % des bovins et 27 % des ovins), du fait de l’importance de la communauté musulmane mais aussi, dans une moindre mesure, de la progression constante du marché casher depuis une vingtaine d’années.
La vraie menace pour ce marché est l’étiquetage renforcé, qui se dessine à l’horizon, de la viande abattue rituellement et sa stricte séparation des autres produits carnés dans les grandes surfaces et les circuits de distribution. Actuellement, beaucoup de carcasses casher ou hallal non consommées par la clientèle religieuse sont écoulées et vendues sans mention particulière.
Si la situation change, les ventes se réduiront car les non pratiquants n’auront plus l’occasion d’acheter sans le savoir de la viande conforme aux prescriptions juives ou musulmanes. Cela provoquera une hausse des prix, déjà élevés dans ce secteur.
De leur côté, les vétérinaires ne sont pas unanimes, d’aucun mettant l’accent sur le caractère souvent indolore de la sherita, en particulier si le sacrificateur parvient à ne passer sa lame qu’une fois, comme il est recommandé dans les textes sacrés.

En 2010, le rabbin français Rivon Krygier, du courant « massorti » (autrement dit conservateur, situé entre les libéraux et les orthodoxes), écrivait : « Des associations dénoncent l’abattage rituel car l’animal est égorgé par le shoret quand il est encore vivant et conscient, ce qui soulève l’indignation (…). La prise en compte de la souffrance animale est une cause noble. Encore faut-il mener ce combat avec bon sens (…). Se focaliser sur le mode de mise à mort (…) est naïf, hypocrite et pernicieux. C’est ignorer ou minimiser ce qui se passe en amont dans les conditions de l’élevage intensif, qui se sont aggravées (…). C’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui doit être soumise progressivement à des critères éthiques plus civilisés ».
Notons à ce sujet que la sherita exige du temps pour ne pas blesser la bête, contrairement à la pratique usuelle dans les abattoirs, où les scandales récents sont principalement liés à des méthodes trop brusques et des cadences infernales.
Les rabbins insistent sur le fait que la lame du sacrificateur, extrêmement tranchante, est conçue pour tuer méticuleusement, en quelques secondes. Les flots de sang qui s’écoulent sont si importants que le cerveau de l’animal est vidé de ce sang à la vitesse de l’éclair et succombe quasi-instantanément. En principe…
Ils ajoutent que les forts tremblements « réflexes » de la bête non étourdie, qui indignent certains militants écologistes, ne signifient nullement qu’elle souffre. Ces tremblements seraient provoqués uniquement par la destruction des cellules nerveuses. Le cortex, centre de la douleur, cesserait donc de fonctionner.
Par ailleurs, l’étourdissement préalable au « pistolet » – très courant – n’est pas toujours effectué correctement et sans risque. Si, par accident, seul le cortex moteur est détruit, alors il y a paralysie sans insensibilisation : l’animal perçoit tout et souffre affreusement.
L’électro-anesthésie peut être trop longue et créer aussi une douleur. Globalement, la perte de conscience liée à l’étourdissement, y compris au gaz, n’est pas clairement établie par les spécialistes. Elle est variable.
C’est pourquoi les conditions actuelles d’abattage non rituel ne sont pas forcément préférables à la sherita pour l’animal.
Le projet DIALREL mis en place par la Commission européenne avait pour objectif d’apprécier les positions des associations et des représentants des cultes sur la question. Des débats et interventions diverses se sont déroulés entre 2006 et 2010.
Conclusion de la Commission : « Toutes les méthodes d’abattage comportent le risque d’un équipement inadéquat ou d’un manque d’expertise suffisante. »
C’est vrai aussi de la technique préconisée par la philosophe juive française et militante de la cause animale Elisabeth de Fontenay consistant à étourdir la bête de manière « non irréversible », pour l’anesthésier en restant dans le cadre de la sherita. Au demeurant, cette pratique poserait sans doute plus de difficultés qu’elle ne prétend en résoudre.
Il est donc impossible aujourd’hui de trancher définitivement dans un sens ou dans un autre : l’abattage juif comme conventionnel peuvent être efficaces et causer une douleur minimale, voire nulle – à condition d’être exercés dans des conditions optimales. C’est un problème humain, technique et organisationnel : les shoratim ne sont pas tous aussi performants et les employés des chaînes d’abattage classique non plus.
C’est pourquoi la controverse simpliste et binaire entre religieux et défenseurs des animaux, de plus en plus médiatisée, n’a pas grand sens du point de vue du bien-être des bêtes destinées à la consommation.
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