L’Agence internationale de l’énergie atomique dans une impasse avec l’Iran
Selon l'AIEA, les stocks d'uranium enrichi s'élevaient au 28 octobre à plus de 22 fois la limite autorisée par l'accord international de 2015
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a condamné mercredi la décision « extrême » de l’Iran de bannir plusieurs de ses inspecteurs, marquant une nouvelle dégradation des relations entre les deux parties.
Ce geste « sans précédent », annoncé en septembre, a « directement et gravement affecté » la capacité à contrôler le programme nucléaire iranien qui continue à monter en puissance, selon l’instance onusienne.
En ciblant des nationalités en particulier, la mesure est « extrême et injustifiée », assène l’Agence dans un rapport confidentiel consulté par l’AFP à une semaine d’une réunion du Conseil des gouverneurs à Vienne.
D’après une source diplomatique, huit experts, Français et Allemands notamment, sont concernés. Washington, Paris, Londres et Berlin ont d’une même voix appelé l’Iran à revenir sur sa décision. En vain jusqu’à présent.
Le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, a reçu mercredi un courrier de Téhéran, arguant de « son droit » de révoquer l’accréditation des inspecteurs tout en disant « explorer les possibilités » de revenir sur sa décision.
« L’Iran ne ferme pas complètement la porte, mais M. Grossi espérait davantage », a commenté un diplomate, évoquant un sentiment de « frustration ». Ce personnel dispose d’une « rare expertise et d’une connaissance des sites » difficiles à remplacer, a-t-il ajouté.
Sur les autres dossiers, l’organisation a également déploré le manque de coopération de la République islamique après des mois, voire des années de négociations infructueuses. « Une nouvelle fois, il n’y a pas eu de progrès », s’inquiète le chef de l’AIEA.
Il dénonce la déconnexion de nombreuses caméras de surveillance et l’absence d’explications au sujet des traces d’uranium découvertes en deux endroits non déclarés, Turquzabad et Varamin. Autant d’éléments qui entravent la mission de l’instance, chargée de « garantir le caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire ». Car l’Iran poursuit son escalade et dispose désormais de suffisamment de matière pour fabriquer plusieurs bombes atomiques, même s’il nie avoir de telles intentions.
Selon un second rapport, les stocks d’uranium enrichi s’élevaient à 4 486,8 kg à la date du 28 octobre (contre 3 795,5 kg mi-août), soit plus de 22 fois la limite autorisée par l’accord international de 2015 encadrant les activités atomiques de Téhéran en échange d’une levée des sanctions internationales.
L’Iran s’est affranchi progressivement des engagements pris dans le cadre de ce pacte connu sous l’acronyme JCPOA, en réaction au retrait des États-Unis décidé en 2018 par le président d’alors, Donald Trump. Des discussions menées à Vienne pour le ranimer ont échoué l’an dernier.
L’Iran a largement dépassé le plafond fixé à 3,67 % équivalant à ce qui est utilisé dans les centrales nucléaires pour la production d’électricité : il dispose de 567,1 kg (contre 535,8 kg auparavant) de matière enrichis à 20 % et de 128,3 kg à 60 % (contre 121,6 kg).
Dans le cas du seuil de 60 %, proche des 90 % nécessaires pour fabriquer une arme atomique, Téhéran a cependant ralenti depuis le printemps le rythme de production. « Il s’agit probablement d’une décision politique », estime le diplomate. Des experts y voient aussi le possible signe d’une volonté de l’Iran de désamorcer la situation, alors que des pourparlers informels avaient repris avec les États-Unis.
Ces dernières semaines, l’animosité entre les deux pays ennemis est cependant remontée d’un cran avec le conflit entre Israël et le Hamas palestinien, que Washington et Téhéran s’accusent mutuellement d’aggraver.
Après ce constat sans appel de l’AIEA, les puissances occidentales vont se concerter en vue du Conseil des gouverneurs. Lors de la précédente réunion, elles avaient brandi la menace d’une résolution mais le sujet est éclipsé par un agenda international chargé.
Malgré une escalade nucléaire impensable il y a encore peu de temps, Rafael Grossi a récemment regretté « un déclin de l’intérêt des États membres », une « banalisation » du dossier. Et a mis en garde le mois dernier contre un « échec » comparable au dossier nord-coréen.