L’Allemagne trouve une descendance à des crânes de l’ère coloniale
Le Musée de préhistoire et protohistoire de Berlin a mené des analyses le cadre d'une série de mesures prises ces dernières années pour tenter de se confronter à son passé colonial
Des chercheurs ont identifié, grâce à l’ADN, une correspondance entre des crânes humains provenant d’ex-colonies allemandes en Afrique et des descendants actuels vivant en Tanzanie, un résultat qualifié mardi de « petit miracle ».
« Pour un crâne, il a été possible d’établir une correspondance génétique complète avec une personne de sexe masculin encore en vie aujourd’hui », indique la fondation du patrimoine culturel prussien (SPK), qui chapeaute les musées berlinois, dans un communiqué.
« Trouver une telle correspondance est un petit miracle », a estimé son président Hermann Parzinger.
Le Musée de préhistoire et protohistoire de Berlin a mené des analyses, en collaboration avec des scientifiques rwandais, sur quelque 1 100 crânes plus que centenaires pillés dans l’ancien territoire colonial allemand d’Afrique de l’Est.
Ce projet, lancé en 2017, s’inscrit dans une série de mesures prises ces dernières années par l’Allemagne pour tenter de se confronter à son passé colonial.
Dans la correspondance mise au jour, le titre « Akida » inscrit sur le crâne laissait supposer qu’il s’agissait d’un conseiller de haut rang de Mangi Meli, un roi de l’ethnie Chagga à la fin du XIXe siècle.
Pour une autre famille, issue également de l’ethnie Chagga, une concordance presque totale des lignées paternelles a été établie à partir de deux autres crânes examinés.
Les proches et le gouvernement de Tanzanie seront informés le plus rapidement possible de ces résultats, a précisé la SPK.
« Collection S »
Pour ce projet, une collection anthropologique d’environ 7 700 crânes, certains « en très mauvais état », a été récupérée en 2011 par la fondation auprès de l’hôpital de la Charité à Berlin. Ils ont été nettoyés et conservés « à grand frais ».
Beaucoup faisaient partie de la « collection S » (S comme squelette ou « Schädel » pour crâne en allemand) rassemblés par le médecin et anthropologue Felix von Luschan entre 1885 et 1920, avec l’intention d’étudier le développement et la diversité de l’être humain, y compris la recherche à caractère racial.
Concrètement, sur les 1 100 crânes analysés, 904 ont pu être identifiés comme originaires de l’actuel Rwanda, 197 de Tanzanie et 27 du Kenya.
Et pour huit d’entre eux, les chercheurs ont pu rassembler « assez d’informations pour qu’une recherche de descendants soit possible », poursuit la fondation.
La SPK a lancé alors une étude de génétique moléculaire, réalisée par l’université de Göttingen et s’est procuré des échantillons de salive de dix personnes de référence en Tanzanie, ce qui a permis au final de retrouver quelques descendants.
Le musée de la préhistoire mène actuellement des études similaires à partir de 500 crânes en provenance de colonies allemandes de l’ouest de l’Afrique. Les premiers résultats sont attendus fin 2024, précise la fondation.
Travail de mémoire
L’Allemagne a progressivement entamé un travail de mémoire sur son passé colonial ces deux dernières décennies.
Longtemps, cette responsabilité avait été « quelque peu été obscurcie par les grandes catastrophes du XXe siècle : les guerres mondiales et la Shoah », avait estimé Hermann Parzinger en 2021.
L’empire colonial allemand, plus petit que ceux des Français ou des Britanniques, s’étendait sur plusieurs pays africains, dont le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie, la Namibie et le Cameroun. Il a cessé d’exister après la Première Guerre mondiale.
Le pays a reconnu en mai de cette année-là avoir commis un « génocide » contre les populations des Herero et Nama en Namibie, dans ce territoire africain colonisé par l’Allemagne de 1884 à 1915.
Les exactions commises sont considérées comme le premier génocide du XXe siècle.
Auparavant, le pays avait déjà restitué à trois reprises des ossements de membres des tribus Herero et Nama, dans un geste de réconciliation.
L’an passé, le pays a aussi restitué des « bronzes du Bénin », originaires de ce qui est devenu aujourd’hui le Nigeria.
Ces sculptures et gravures, considérées comme des joyaux de l’art africain, avaient été pillées par les Britanniques à la fin du XIXe siècle et sont aujourd’hui exposées dans plusieurs musées européens.