L’alyah de Salvador Dali
Le grand artiste a réalisé 25 oeuvres méconnues sur l'histoire du peuple d'Israël
En 1968, Israël fêtait ses 20 ans. Après une victoire éclatante lors de la Guerre des Six Jours, Samuel Shore, en charge des éditions Shorewood, décide de frapper un grand coup. S’inspirant du cadeau de Marc Chagall à la synagogue du Centre Médical Hadassah (Douze vitraux symbolisant les tribus d’Israël), Shore décide de faire appel à un autre génie du 20e siècle, Salvador Dali.
C’est ainsi que les éditions Shorewood commandent à l’artiste surréaliste une série de 25 œuvres graphiques symbolisant la signification du mot « Alyah », littéralement « montée vers la terre d’Israël ».
Ces tableaux seront produits à partir de gouache, d’aquarelle et d’encre de Chine sur papier puis reproduites par lithographie sur des pierres et publiées en édition limitée.
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Pour ces 25 lithographies publiées en 250 séries, Dali encaissera un chèque de 150 000 dollars de la part de Shore et d’ « Israël Bonds », un fonds de développement pour Israël basé à New York.
À travers ces 25 œuvres, Dali a illustré l’esprit du peuple juif depuis les premières années d’exil sous le règne Babylonien jusqu’à la Guerre d’Indépendance en passant par la diaspora et la Shoah, illustrant ainsi plusieurs millénaires d’Histoire du peuple juif.
On y retrouve aussi bien la figure biblique de Rachel, celle de Moïse et le temple de Salomon que l’ « Eliahu Golomb » et ses rescapés de camp de concentration ou encore Ben Gourion proclamant l’indépendance d’Israël sur le boulevard Rothschild.
Dali a puisé à la fois dans l’Ancien Testament et dans l’histoire contemporaine pour créer ces peintures admirablement exécutées. Néanmoins, certains experts ont mis en avant l’absence des grands thèmes de Dali comme l’atomique, le pop-art, la science, la peinture hyper-réaliste, la cosmologie et l’expérimentation.
David Blumenthal, professeur d’études judaïques, a tiré de cette absence une réponse aux questions concernant Salvador Dali et le judaïsme.
En effet, le personnage regorge de contradictions. Bien qu’ayant créé de nombreuses œuvres inspirées de la culture juive, la relation n’est pas claire. D’un coté, nous avons ce poème :
« O toi, peuple d’Israël, peuple élu,
fils d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
pour ton ardeur à maintenir les traditions,
pour la joie avec laquelle
tu célèbres et sanctifies tes festivités,
j’ai créé ce « Chandelier de la Paix »
et ce « Mur des Lamentations ».
Pendant qu’avec ta foi inébranlable
tu pries pour la gloire de tes ancêtres
et pour le triomphe de la vérité,
je veux que tu voies dans le rayonnement
de ces lumières claires et joyeuses,
un hommage à ton peuple »
D’un autre coté, sa femme Gala rejetait complètement ses origines juives, on la disait même antisémite. L’artiste était connue pour ses opinions monarchistes, fascistes et ses sympathies à l’égard de Franco. Il était également avéré que l’homme nourrissait une passion assumée qui consistait à s’enrichir et ainsi grâce à cette série, il aurait pu viser un « marché juif » prometteur.
Quand il s’agit de comprendre pourquoi la collection « Alyah » est si « pauvre » en comparaison au reste de son art, Blumenthal réfute tous les arguments cités ci-dessus et affirme que Dali a simplement réalisé de manière professionnelle une œuvre de commande, comme de nombreux artistes l’ont fait avant et après lui.
[« Le sable et le sabre » de Serge Gainsbourg était une chanson engagée mais néanmoins une demande de l’attaché culturel de l’ambassade israélienne.]
La plupart de ses œuvres datant de cette époque et des années qui suivirent n’ont d’ailleurs pas plus de génie mais témoignent d’une rigueur artistique constante, à l’instar de ses illustrations des « Paradis Perdus » ou de la « Divine Comédie ».
La série est présentée dans une logique thématique et historique de façon à créer une chronologie cohérente.
Elle commence avec la thématique de l’exil. On y retrouve Rachel qui pleure ses enfants morts ou exilés en Babylone après que Nabuchodonozor ait conquis Jérusalem et ait exilé le peuple juif pour briser sa force nationaliste. C’est une figure de lamentation, du peuple qui souffre, exilé de sa terre pour la première fois.
Cyrus II, empereur Perse, mettra un terme au règne Babylonien et renverra les juifs chez eux où ils pourront vivre comme ils l’entendent sous sa protection. C’est alors que sera reconstruit le temple de Jérusalem, deuxième illustration de cette série. On y retrouve le « Mur des Lamentations » [mur Occidental], lieu le plus symbolique du judaïsme où l’on y prie depuis la seconde destruction du temple par les romains.
Après quelques lithographies sur Israël concernant la terre avant l’indépendance, la série présente ces deux tableaux illustrant la Shoah. « Out of the Depths » (« Du fond de l’abîme ») est une citation du psaume 130, « Du fond de l’abîme je crie vers toi, Yaveh ».
L’oeuvre graphique présente de manière explicite l’horreur des camps avec les barbelés du sang et des flammes. « Thou hast laid me in the nethermost pit, in dark places, in the deeps » (« Tu m’as jeté dans une fosse profonde, Dans les ténèbres, dans les abîmes. ») est un autre psaume que Dali a choisi pour représenter l’enfer dans lequel les juifs sont plongés sous le régime nazi.
On dit que Ben Gourion n’a porté qu’une seule fois une cravate en public : Lorsqu’il a lu la Déclaration d’Indépendance d’Israël le 14 mai 1948. Dali illustre ce moment historique mais ne peut s’empêcher de poser sur les lèvres du chef de la Haggana des moustaches semblables aux siennes.
À ses cotés, Moshe Haim Shapira, ministre du nouvel État et Rabbi Yehuda Maimon, leader du parti religieux sioniste. Avec le tableau suivant, Dali passe de l’historique au symbolique avec l’ « Hatikvah », l’hymne national Israélien.
Le texte est écrit par le poète polonais et sioniste Naftali Herz Imber et la musique provient d’une mélodie populaire de Moldavie très proche du poème symphonique de Bedřich Smetana intitulé Vltava (la « Molday »). On retrouve sur l’oeuvre graphique les premières notes de l’hymne ainsi qu’une figure joyeuse qui danse au centre.
La série continue dans la joie comme la douleur avec des réjouissances autour d’une menorah géante (« Orah, Horah : Light, Joy »), la bataille des collines de Jerusalem (« The Battle of the Jerusalem Hills »), le deuil de Rivka Guber, une pionnière qui perdit ses deux enfants durant l’indépendance (« The Price – Bereavement »), mais également la victoire du peuple juif (« Victory: A Song of Thanksgiving ») où est également illustré le lourd tribut humain payé par Israël.
L’image finale est hautement symbolique et illustre l’alliance éternelle de Dieu avec son peuple (« Covenant Eternal : Circumcision »). On y retrouve la circoncision devant plusieurs personnes dont un soldat.
Dali a compris que le sionisme comme le judaïsme repose sur cette alliance.
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