L’Amazonie et les règles de la realpolitik
La romance entre le Premier ministre et le président du Brésil doit passer au second plan face au nécessaire sauvetage de l'environnement pour les futures générations
Que doit donc faire un pays quand l’un de ses alliés ou partenaires commerciaux se prête à des actes dénués de toute moralité ? Les règles de la realpolitik dictent ostensiblement de conserver un silence très diplomatique ou, tout au plus, de se laisser aller à des critiques retenues, généralement peu franches.
Car comme le dit le proverbe, l’idéologie et les valeurs ne doivent pas interférer avec les intérêts pratiques.
Mais certaines circonstances exigent toutefois une intervention dans les affaires d’un ami rebelle.
Et tel est le cas aujourd’hui alors que la forêt amazonienne est en train de brûler sous la gouvernance pour le moins peu scrupuleuse du président du Brésil, Jair Bolsonaro. Au cours des trois dernières semaines, d’immenses parties de cette forêt indispensable pour le climat se sont consumées dans le nord du Brésil – cinquième pays le plus important du monde en termes de taille et de population.
Le brasier est visible depuis l’espace.
L’Institut national de la recherche spatiale, au Brésil, a présenté des données satellite montrant que les feux de forêt, dans la région, ont augmenté de 85 % en comparaison avec l’année dernière à la même période. Les deux premières semaines de juillet ont vu la destruction de 1 000 kilomètres-carrés de la forêt – soit 68 % de plus que pendant tout le mois de juillet 2018.
Jeudi, l’institut a rapporté qu’il y avait eu presque 2 500 nouveaux départs de feu au cours des deux derniers jours (son directeur a démissionné, début août, après des attaques personnelles de Bolsonaro qui lui a également reproché de colporter des « mensonges » dans son rapport).
La forêt tropicale de l’Amazonie – qui se trouve à 60 % sur le territoire brésilien – fournit un cinquième de l’oxygène de la planète.
Des vidéos et des photos des flammes, des terres brûlées et des cadavres innombrables d’animaux circulent massivement sur les réseaux sociaux, accompagnées par les commentaires d’utilisateurs ordinaires partagés entre l’horreur et l’inquiétude.
Bolsonaro, climatosceptique convaincu et populiste de droite qui a œuvré avec force à renverser les mesures de réduction de la déforestation dans son pays a, pour sa part, eu recours à des explications apparemment sans fondement et purement dans le style de son héros, le président américain Donald Trump, en blâmant initialement la saison de sécheresse annuelle puis en clamant que des ONG non-spécifiées avaient été à l’origine des sinistres pour nuire à l’image de son gouvernement. Il a finalement, et tardivement, reconnu que peut-être « quelques » fermiers pouvaient être à l’origine des incendies, dans le but de nettoyer les terres pour l’exploitation forestière ou l’élevage de bétail.
Jusqu’à présent, le seul leader politique à avoir métaphoriquement tapé du poing sur le table est Emmanuel Macron. Le président français a appelé, avec le soutien plus récent de la chancelière allemande Angela Merkel, à ce que la question soit débattue lors du prochain rassemblement du G7 – une proposition que Bolsonaro a rejetée, la qualifiant d’intervention illégitime dans les affaires internes de son pays et estimant qu’elle témoignait d’un « esprit colonialiste déplacé ».
Jeudi, Macron a fait monter les enjeux lorsqu’avec le Premier irlandais Leo Varadkar, il a averti qu’il pourrait ne pas ratifier un accord commercial massif avec l’Amérique du sud en l’absence de mesures authentiques, de la part du Brésil, pour éteindre les feux.
La Norvège et le Royaume-Uni ont pour leur part fait savoir qu’ils retiendraient la somme de 60 millions de dollars en liquidités qui avait été promise pour promouvoir le développement durable des forêts du Brésil.
Macron a eu raison de se positionner clairement et d’intensifier les pression exercées sur Bolsonaro. D’autres responsables devraient bien suivre son exemple – même parmi ceux qui se considèrent comme appartenant au cercle politique des amis du président brésilien, et dont fait partie notre propre Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Netanyahu qui, récemment, a semblé placer la realpolitik au-dessus de tout le reste lorsqu’il a décidé de ne pas condamner les propos du président Trump sur la « déloyauté » supposée des Juifs qui votent pour le parti Démocrate, a également et jusqu’à présent gardé le silence au sujet de ce qui se présente comme une catastrophe environnementale de proportion mondiale.
Le Brésil est très éloigné de l’Europe et d’Israël – et plus proche des Etats-Unis – mais il n’y a aucune chance que Trump, lui-même climatosceptique, n’intervienne. Et pourtant, ces incendies sont notre affaire à tous. Le sujet transcende les frontières souveraines et les politiques traditionnelles de droite et de gauche.
La forêt tropicale amazonienne – qui se trouve à 60 % sur le territoire brésilien – assure un cinquième de la production d’oxygène de la planète. Il est un sous-produit de la photosynthèse par laquelle les plantes absorbent (et stockent) du CO2 atmosphérique pour produire ce qui est la base de l’alimentation que nous consommons chaque jour.
La quantité de dioxyde de carbone libérée dans l’atmosphère par les incendies accélère le réchauffement mondial, qui s’effectue à une vitesse sans précédent en raison des activités humaines. Il ne s’agit pas ici d’une opinion : C’est un fait scientifique établi. Comme le dit succinctement Robert M. Hazen, directeur exécutif du Deep Carbon Observatory (entre autres titres prestigieux) basé au Laboratoire de géophysique de Washington, au sein de l’Institution Carnegie, dans son nouveau livre « Symphony in C: Carbon and the Evolution of (Almost) Everything » qui a été publié au mois de juin, celles et ceux qui refusent la réalité du réchauffement climatique sont soit « ignorants, avides d’argent ou encore les deux ».
Pourquoi, dans notre petit pays où le réchauffement climatique exacerbe l’évaporation de nos ressources d’eau naturelles et où nos terres fertiles sont menacées de désertification suite au changement climatique, le sujet est-il tellement absent des esprits et des discours de nos politiciens, à l’exception d’une poignée d’entre eux ?
Alors pourquoi n’y a-t-il pas plus de responsables, dans le monde, qui s’expriment sur cette catastrophe environnementale, en proposant d’aider Bolsonaro en lui fournissant des équipements de lutte contre les incendies ou en boycottant les entreprises responsables de ces sinistres purement motivés par le gain – en particulier maintenant que Bolsonaro explique que le Brésil « n’a pas les moyens » d’éteindre les flammes seul ?
Pourquoi, dans notre petit pays où le réchauffement climatique exacerbe l’évaporation de nos ressources d’eau naturelles et où nos terres fertiles sont menacées de désertification suite au changement climatique, le sujet est-il tellement absent des esprits et des discours de nos politiciens, à l’exception d’une poignée d’entre eux ?
La realpolitik n’exige-t-elle pas notre intervention maintenant ?
Il est temps que tous les politiciens – encore concentrés sur le court-terme une nouvelle fois – commencent à écouter les clameurs venant du terrain qui ne cessent de croître en appelant à passer à l’action face au changement climatique et, dans le cas d’Israël, qu’ils ne se contentent pas d’adopter des lois et d’introduire des régulations. Ils doivent s’engager également à les mettre en oeuvre, conformément à des calendriers rigoureux.
Le faire profitera à toute la société et ce bien après leur départ de leurs postes à haute-responsabilité.
L’autrice de cet article est la correspondante « Environnement » du Times of Israel.
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